
Collage Musta Fior
Depuis la fin du trafic fret, Bordeaux, ville maritime avant tout, n’entretient qu’un lien très distant avec le Canal latéral à la Garonne. A Toulouse, l’histoire de la ville est indissociable de celle des canaux, au nombre de trois, qui la traversent : le Canal de Brienne, le Canal du Midi, et le Canal Latéral. Même si avec les crues actuelles, elle surveille plus la Garonne.
par Marianne Peyri, Thomas Belet sur www.frituremag.info
Le Canal latéral ? Quel Canal ? Force est de reconnaître que les Bordelais, mis à part une poignée de férus de patrimoine fluvial, n’ont pas de lien particulier avec le canal latéral à la Garonne. Ce dernier,-rappelons-le pour leur défense-, se termine à Castets-en-Dorthe à plus de…50 km en amont de Bordeaux. Le tracé s’est en effet achevé dans cette zone limitrophe entre Gironde et Lot-et-Garonne. A cet endroit, les navires rejoignent la Garonne plus facilement navigable en raison de l’effet des marées et peuvent alors filer jusqu’à l’Atlantique situé tout de même à plus de 150 km. “De quoi tordre le cou à un lien fantasmé, notamment chez les Toulousains, d’un Canal latéral qui assurerait une liaison de la Méditerranée jusqu’à l’Atlantique. Le Canal débouche sur la Garonne bien en amont de Bordeaux et de l’Océan” note Philippe Delvit, maître de conférences à l’université des sciences sociales de Toulouse, auteur d’ouvrages sur le canal et la Garonne (1). « Le rapport de Bordeaux au Canal est donc très différent de celui entretenu à Toulouse où il traverse la ville, abrite des lieux de sorties sur des péniches, attire notamment, en amont de la ville, des cyclistes et des promeneurs. Pour les Toulousains, le lien quotidien et affectif est fort. Ce n’est pas le cas à Bordeaux ».
En Gironde, certains promeneurs poussent bien jusque dans le Val de Garonne pour flâner sous les allées de platanes ou pour s’embarquer à Fourques sur une gabarre. Mais ils sont une minorité, les Bordelais, se laissant happer surtout par les plages océanes. Le seul lien actuel pourrait être le ballet au large des quais bordelais de quelques plaisanciers audacieux du canal qui s’aventureraient sur la Garonne. « Mais ce qui n’arrive pas. Tous les plaisanciers s’arrêtent à Castets-en-Dorthe. Il faut un permis fluvial pour aller sur la Garonne que la plupart n’ont pas. De plus, les bateaux de location l sont à fond plat, ce qui ne convient pas à une navigation sur le fleuve », indique Jacques Noisette, chargé de la communication à Voies Navigables de France-Sud-Ouest.

Une ville focalisée sur son trafic maritime
A dire vrai, à Bordeaux, ville historiquement maritime, premier port français au XVIIIe siècle et actuellement 8e port maritime de France, tous les regards sont essentiellement tournés vers une Garonne aux effluves iodées, marquées par des marnages importants et les coefficients des marées, une Garonne regardant vers l’Océan et tournant le dos au canal. Même si l’effervescence maritime du XVIIIe siècle est loin, chaque année, plus de 1200 cargos- céréaliers, pétroliers, minéraliers…- escalent encore sur les sept terminaux du port, essentiellement d’ailleurs sur ceux d’Ambès et de Bassens, à quelques kilomètres en aval de Bordeaux. Le tonnage total atteint les 8 à 9Mt par an. S’y ajoute un trafic purement fluvial tel celui des éléments de l’Airbus A380 (voir article p ?), ou ceux de diester, de céréales et d’huiles, pour un tonnage de 133 000t en 2012. Mais aucun fret de marchandises ne transite aujourd’hui via le Canal. « Pour rejoindre la Méditerranée et expédier des marchandises, le port de Bordeaux a toujours privilégié la voie maritime, plus intéressante pour massifier les flux », précise Philipe Delvit.

De fait, l’utilisation du Canal latéral par les Bordelais s’est limitée essentiellement à quelques trafics de remonte de produits pétroliers au cours du XXe siècle. En revanche, les trafics de descente, de l’intérieur des terres vers Bordeaux, n’ont pas manqué d’alimenter l’activité de certaines entreprises girondines ou de booster le trafic maritime, notamment l’export de vins vers l’étranger. Cet impact économique sur la capitale girondine était particulièrement prégnant durant les années 1960, soit la période glorieuse du fret. A cette époque, se trouvaient près de 200 bateaux naviguant, des céréaliers, des pinardiers, des minéraliers pour un total d’environ 600 000 t annuelles de marchandises.
Un gabarit trop petit
La crise pétrolière de 1973 ajoutée à l’arrivée de l’autoroute Bordeaux-Toulouse, a mis fin à ce dynamisme de fret. Les derniers trafics, notamment de vins, ont vivoté durant les années 80 pour s’arrêter définitivement dans les années 90. Ceux de céréales ont perduré jusqu’en 2004. « Mais en raison du gabarit trop petit du canal, ne pouvant accueillir que des bateaux de 30m de long et de 5,80 m de large, le fret n’a jamais vraiment fonctionné. Dès 1914, les professionnels de la navigation considéraient ce gabarit comme obsolète. Même la modernisation des écluses au gabarit Freycinet dans les années 70 n’a servi à rien », précise l’universitaire toulousain.
A l’heure actuelle, aucun projet de reprise de fret n’est à l’ordre du jour. « On sent cependant un frémissement. Avec l’augmentation du prix du pétrole, certains chargeurs se posent la question » témoigne Jacques Noisette. Autre signe des temps : VNF vient d’intégrer le comité de développement du port de Bordeaux. Ce dernier compte en effet relancer le trafic sur la Garonne, de granulats, de diverses marchandises à destination du centre ville ou de conteneurs entre la pointe de l’estuaire et jusqu’à Langon pour mieux toucher justement l’hinterland toulousain. Le canal pourrait-il à l’avenir s’inscrire dans cette nouvelle politique portuaire ? Rien de moins sûr.
Cap sur le tourisme
Depuis les années 90, les collectivités locales et régionales d’Aquitaine, elles, ont choisi de miser avant tout sur l’aspect touristique et la restauration de l’ouvrage : confortement des berges, travaux sur écluses et ponts…. De 1994 à 2006, l’Aquitaine a ainsi déboursé plus de 5,6 M€ pour son canal. De 2011 à 2013, travaillant désormais en partenariat avec l’Etat et la région Midi-Pyrénées, le conseil régional d’Aquitaine a prévu, via un contrat fluvial régional, une enveloppe de 3,4 M€. Depuis la création de la voie verte au milieu des années 2000, de nombreuses communes en Aquitaine ont réaménagé leurs ports, créé des services, transformé des maisons éclusières en restaurants. Un vrai vent de dynamisme se fait sentir sur le Canal latéral, mais dont le souffle, il faut le reconnaître, n’atteint guère les rives bordelaises.

Les quais à Bordeaux
« Du haut des allées Jean-Jaurès, la statue de Pierre-Paul Riquet vous contemple ». C’est en ces termes qu’aurait pu s’exprimer Napoléon s’il avait du mener une campagne militaire à Toulouse. La présence de la statue du fondateur du Canal sur les allées Jean-Jaurès, principale artère de la ville, illustre l’importance des canaux pour la capitale Midi-Pyrénéenne. Son histoire est intimement liée à celle des canaux, qui ont largement contribué au développement économique de Toulouse. La ville-centre est non seulement traversée par le Canal du Midi, mais aussi par Canal Latéral et le Canal de Brienne, soit une longueur totale de 13 kilomètres. Egalement classé au patrimoine mondial de l’Unesco, ce dernier rallie la Garonne aux autres canaux au niveau des Ponts-Jumeaux, au Nord de la ville. C’est en ce point que le Midi devient Latéral, pour entamer son trajet vers la façade Atlantique. Bordée de véritables voies sur berges, le parcours de l’artère navigable est pourtant loin de vivre un parcours paisible dans sa traversée de Toulouse. Malgré son intérêt touristique indéniable, le port de l’embouchure, où se rencontrent les trois canaux, est enjambé par la rocade, sur la sortie la plus empruntée de Toulouse. Pas vraiment le lieu idéal pour se laisser aller aux flâneries...
Une autoroute en centre-ville
Pis ! Dans les années 60, un sérieux projet a failli aboutir au remplacement du Canal du Midi par une structure routière ! Un non-sens environnemental aux yeux des toulousains d’aujourd’hui, attachés à leurs footings le long des berges, qui était pourtant soutenu par les services de l’Etat, à l’époque du tout-auto. Dans son ouvrage « Toulouse, 12 défis pour notre ville métropole », l’ancien maire Jean-Luc Moudenc rappelle le rôle joué alors par Pierre Baudis pour arrêter le projet au moment de son élection en 1971 : « Contrairement à une légende bien tenace, ce qui aurait été un massacre inacceptable a bien été programmé. C’est ce que prévoyait le schéma d’aménagement urbain de 1965 dit « schéma Badani ». Le pont de la rocade sur la Garonne est dans l’axe du déversoir des Ponts-Jumeaux. Des bretelles devaient remplacer la jonction des deux canaux... D’où le débouché assez sec au débouché du pont de la rocade rive droite, quand il fut interdit de détruire l’ouvrage de Pierre-Paul Riquet. Je crois fondamental de rappeler l’action de Pierre Baudis, car la mémoire s’est un peu perdue du rôle éminent qu’il a joué à ce sujet », croit savoir le possible candidat UMP aux municipales de 2014. Pourtant trois ans plus tard, le nouveau maire Pierre Baudis prévoyait d’implanter une autoroute à quatre voies le long des berges de la Garonne. Un projet qui avait même reçu l’aval du Conseil municipal avant qu’une contestation des associations ne mettent à mal le projet, dix ans plus tard, en 1983...avec l’élection du fils, Dominique Baudis.
Artisan de la contestation contre le projet de voies sur berges le long de la Garonne dans les années 70, et actuel président de l’Union des comités de quartiers de Toulouse, Jean-Jacques Fournier n’en reste pas moins attentif à la préservation de l’ouvrage : « Il semble enfin y avoir une certaine prise de conscience des politiques pour préserver ce patrimoine mais il faut voir ce qui sera effectivement fait. Malheureusement, les abords ont déjà été massacrés un peu partout sur Toulouse par des constructions sans aucune cohérence. Sans compter qu’ils sont en train de supprimer la magnifique vue qu’il y avait depuis le Canal de Brienne sur l’église Saint-Pierre des Chartreux et Saint-Pierre des Cuisines avec la construction de la nouvelle école d’économie ».
Nouvelles liaisons avec la gare
Pour l’heure, les Toulousains attendent toujours les premières orientations du plan prévu par Joan Busquets, l’urbaniste catalan qui s’est vu confier les clés du réaménagement du centre-ville. Mais la mairie reste muette sur le sujet... Et laisse pantoise quand au travail effectué sur l’avenir de la perle de Riquet. Rien ne filtre sur le sort qui sera réservé aux canaux et à ses abords alors qu’un comité de pilotage a été créé en 2011 auprès de la communauté urbaine pour travailler sur cette question. Parmi les futures échéances, le quartier de la gare, traversé par le Canal du Midi, est en pleine mutation. L’arrivée future de la ligne LGV, toujours en suspens, laisse augurer des changements de grande

ampleur autour de l’ouvrage classé au Patrimoine mondial. Un peu plus loin, la nouvelle ligne de tramway, prévue jusqu’au Grand Rond, à proximité du Port-Saint Sauveur, pourrait ensuite longer le canal pour desservir la gare Matabiau. Ce n’est pour l’instant qu’une hypothèse qui, pour Jean-Jacques Fournier, « paraît difficile à mettre en œuvre tant il faut s’adapter aux contraintes posées et son classement. »
Entre autres projets, la mairie entend développer le tourisme aux abords du port Saint-Sauveur, avec l’installation de guinguettes. L’an dernier, l’une d’entre elles y avait élu domicile, pour la période estivale. Enfin, le futur quai des savoirs, dans le même quartier du Grand Rond, est attendu par les acteurs du Réseau fluvial toulousain. Pierre Cardinale, une figure de la batellerie toulousaine s’étonne que rien n’ait encore été prévu pour mettre en lien le Canal et le Quai des savoirs, qui sera situé à quelques encablures du Port Saint-Sauveur : « Il y a une véritable intelligence fluviale à Toulouse, avec une histoire et des acteurs reconnu pour leur savoir-faire au niveau national, et il serait dommage de s’en priver. On a un peu tendance à oublier le Canal dans ce projet, et nous espérons que la municipalité saura prendre en compte cette richesse technologique ». Autant d’éléments qui tendent à montrer que l’histoire de Toulouse s’est écrit et s’écrira avec le Canal. Mais aujourd’hui plus tournée vers son fleuve que vers l’oeuvre de Riquet. Celui-ci avait rêvé d’un vraie cité lacustre, mais Toulouse ne sera certainement jamais Amsterdam. A moins d’un réveil soudain des responsables politiques, qui préfèrent souvent naviguer en eaux calmes, surtout à un an d’échéances importantes.
Longueur canaux à Toulouse
Canal Latéral : 3,5 kilomètres
Canal de Brienne : 1,6 kilomètres
Canal du Midi : 8 kilomètres
(Source : VNF)
(1)« Garonne, de la rivière à l’homme » (Ed.Privat 1998), « Le temps des bateliers : gens et métiers de la rivière » (Ed. Privat, 1999) et co-auteur de l’ouvrage « Le Canal Royal de Languedoc : Le partage des eaux » (Ed. Loubatières, 2009).
Le Canal latéral en Aquitaine
103 km traversés
2 départements (Gironde et Lot-et-garonne)
37 communes
22 sites d’écluses
4 ponts canaux
96 ponts routiers dont 49 bow-string