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Billet de blog 4 décembre 2013

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Le musée qui va faire sortir Rodez du noir

Rodez, chef lieu de l’Aveyron, perché sur sa butte, à quelques pas du plateau de l’Aubrac. Vous ne connaissez peut-être pas encore, et pourtant, bientôt peut être « le monde entier » viendra découvrir la petite ville de 27 000 habitants. Peut-être, car la cité vit un changement colossal. Un gigantesque musée d’art contemporain en l’honneur du peintre vivant le plus renommé au monde est en construction au cœur de la ville : le musée Soulages.

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Rodez, chef lieu de l’Aveyron, perché sur sa butte, à quelques pas du plateau de l’Aubrac. Vous ne connaissez peut-être pas encore, et pourtant, bientôt peut être « le monde entier » viendra découvrir la petite ville de 27 000 habitants. Peut-être, car la cité vit un changement colossal. Un gigantesque musée d’art contemporain en l’honneur du peintre vivant le plus renommé au monde est en construction au cœur de la ville : le musée Soulages.

  • L’intégralité du reportage est à découvrir dans le magazine N°20 sorti cette semaine

par Grégoire Souchay sur www.frituremag.info 

Il était une fois, à Rodez, un maire qui aimait la culture et qui connaissait le travail d’un artiste contemporain mondialement célèbre, Pierre Soulages. Celui-ci, outre ses qualités artistiques, avait le bon goût d’être natif de la ville. « Ma première rencontre avec Pierre Soulages date de 1978 », raconte Marc Censi, maire de droite de 1983 à 2008. « Je suis tout de suite tombé en admiration devant le travail de l’artiste sur le noir et la lumière ». Alors, une fois aux affaires, Censi va « travailler au corps » Soulages pour faire naître l’idée d’un lieu en son honneur à Rodez. On ne parle pas encore d’un musée. Car les élus des huit communes environnantes « ne voyaient pas forcément l’intérêt d’une telle ambition ». Il faut donc dégainer pour les convaincre des arguments économiques et touristiques : « Nous n’allons pas continuer à voir passer 12 millions de touristes dans l’Aveyron, quand 300 000 s’arrêtent à Rodez ! » s’exclame Censi. Sauf que, pour capter ce flux, il faut repenser complètement et très rapidement l’aménagement du foirail, cet immense espace au centre-ville de Rodez. Au programme donc, un musée d’art contemporain au milieu d’un grand jardin public, un centre des Congrès, assorti à un cinéma, un parking souterrain et une salle des fêtes rénovée, le tout à quelques pas des autres musées de la ville (Fenaille et Denys-Puech) et du centre historique. « C’était un grand projet cohérent, avec des atouts économiques indéniables », continue à penser Marc Censi.

Pour quelques millions de touristes de plus

Cela n’empêche pas des voix discordantes de se faire entendre : tandis qu’à gauche, on pointe la « mégalomanie du projet », à droite, dans le propre camp du maire, certains rechignent à dépenser vingt millions pour le musée d’art contemporain. Là encore, les arguments économiques font mouche : « des centaines d’emplois créés, de l’activité pour la ville toute l’année ». Progressivement, l’idée fait son chemin. Le 13 septembre 2005, après de longs mois de discussions, Pierre et Collette Soulages procèdent officiellement à la donation de 500 pièces de l’artiste à l’Agglomération du Grand Rodez, avec l’engagement de construire un musée dédié dans les cinq ans. Le label « Musée de France » est attribué dans la foulée et le 6 juillet 2006, le Conseil de l’Agglomération vote à l’unanimité en faveur du projet. Dans la ville, la population ne se manifeste pas par un enthousiasme débordant, c’est peu de le dire. Au café de la Paix, aux abords du centre-ville, dans un bar plus rock que baroque, je rencontre René Duran. Ecrivain, poète, chroniqueur dans la feuille de chou locale, Le Nouvel hebdo, il fut à l’initiative des premiers débats contre le projet : « il fallait voir comment on nous l’a présenté : un projet gigantesque bouleversant tout le centre-ville avec un coût énorme et tout ça pour des expositions d’art contemporain, sacrément peu accessible au public. Forcément, c’était mal perçu. »

Sentiment confirmé par Jean-Claude Leroux, ancien responsable de l’association des Amis du Musée Soulages. « Ceux qui, comme moi, défendaient le projet culturel dès le début étaient très rares. Soulages lui-même gardait une certaine méfiance envers la ville qui, comme il le soulignait, ne l’avait jamais accueilli ». Pour les plus initiés, c’est sa femme Colette qui a eu un rôle prépondérant dans sa décision.
2008 : Le maire passe, le musée reste
Puis vinrent les municipales de 2008. Marc Censi, élu sortant, choisit de se retirer de la vie politique. La ville vit alors un changement d’époque. Pour la première fois depuis 55 ans, la mairie passe à gauche et Christian Teyssèdre, du PS, l’emporte. Mais du passé, pas de table rase. Le musée est là, ficelé, l’appel d’offre auprès des architectes est lancé. Et forcément, comme l’explique Ludovic Mouly, alors président PS de l’Agglomération, « dire non au projet à ce moment-là aurait été irresponsable. Nous avons cherché à réorienter l’ensemble vers une dynamique culturelle plus populaire ». Le projet de centre de Congrès est abandonné au profit du multiplexe – auquel on ajoute une discothèque – et de la salle des fêtes. Et pour le musée : banco. Une équipe catalane, RCR Arquitectes, est choisie au terme d’un concours rassemblant les plus grands architectes mondiaux, afin de travailler à l’intégration du musée dans le paysage, selon le souhait de Pierre Soulages lui-même. Enfin, en juin 2009, le Conseil d’Agglomération approuve l’investissement de 21,4 millions d’euros (hors taxes) pour le réaménagement du foirail et la construction du musée.

Depuis, les travaux, malgré deux ans de retard, suivent leur cours et le musée longtemps hypothétique est sorti de terre. Il se dresse, imposant sur un flanc de la butte, avec ses tons ocre et noir, grand parallélépipède planté au cœur de la ville. 2500 personnes ont pu visiter le chantier, dont le Président de la République lui-même, en compagnie du conservateur, Benoît Decron, qui ne ménage pas ses efforts pour faire découvrir le travail de l’artiste. Mais qu’en est-il de la population ? Que va-t-elle faire de ce musée ? Car comme l’affirme le conservateur, « un tel projet ne peut se concevoir sans la population de la ville qui l’abrite ».

Les habitants : « Une bombe pour réveiller la ville »

Or justement, il suffit de discuter quelques minutes au marché du bourg pour constater combien le musée Soulages ne fait toujours pas l’unanimité : Non, je n’aime vraiment pas  ».« Qu’on en finisse », « ils feraient mieux de brûler » et « mettre les sous dans les poches des gens », « on s’en fout royalement », « on dirait un blockhaus ». Comme le résumait un élu avec humour, le principal problème du musée, c’est Rodez et les ruthénois ! ». Encore ce vieux conservatisme catholique rouergat ? René Duran nuance : « La ville change. On n’a plus cette séparation si franche entre les bas-quartiers populaires et le centre historique bourgeois ». Lui s’est opposé au musée Soulages car « copier de la surenchère architecturale et urbanistique n’est pas forcément voué au succès ». Il s’inquiète aussi : « Rodez est une petite ville où il n’y a pas de débat esthétique, artistique. Avec Soulages, que vont devenir les créateurs locaux ? ».

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