
par Philippe Gagnebet sur www.frituremag.info
En abrogeant cette semaine trois des plus importants permis de forages, le gouvernement donne raison à une mobilisation et une lutte qui ont débuté dès le mois de janvier. Cadeau empoisonné de Jean-Louis Borloo avant son départ, l’exploitation de ces gaz a rencontré une opposition inédite. Récit des premiers mois des "Non Gasaran"
La fronde est partie, comme souvent, d’un petit village du Larzac, Nant, concerné par un permis de forage. Dès le mois de janvier, un collectif se met en place et diffuse l’information dans les différents réseaux, « La
France a octroyé trois permis de prospection en mars 2010 (10.000 km2 en
Aveyron, Hérault, Lozère, Ardèche et Drôme). Pour José Bové, député
européen et voisin dudit village « dès le début de la lutte, j’expliquais pour imager l’ampleur
des travaux que la seule solution pour les industriels était de noyer le village
de St Jean du Bruel dans la vallée entre le Larzac et les Cévennes pour
stocker l’eau, et de faire une sortie de l’A75 dans mon hameau à Montredon,
actuellement desservie par une petite route mal goudronnée et tellement
étroite qu’il n’y a pas de marquage au sol ! (...) à la moindre déclaration
de travaux, nous nous mobiliserons pour bloquer les camions, de façon non-violente et à visage découvert, à notre habitude ».

S’y ajoute le permis d’exploration dit « de Cahors » qui suscite une vive
opposition, et perturbe les ambitions de la société 3 Legs Oil & Gas, en
attente de l’autorisation préfectorale. Nathalie Kosciusko-Morizet, en visite
à Sarlat le 17 février, a dû recevoir une délégation et, le 24 février, le collectif
lotois a pu remettre au préfet une demande en faveur de l’arrêt du permis
et des explorations sur l’ensemble du territoire français.Une mobilisation qui semble avoir surpris autorités publiques et compagnies pétrolières, pour lesquels le Larzac restait l’indicateur privilégié de la résistance citoyenne. Une manifestation réunira 1000 personnes le 26 mars à Cahors (Lot).
La mobilisation des collectifs
Le 26 février, ils sont plus de 15000 à manifester à Villeneuve de Berg (Ardèche). Du jamais vu. Associations, partis politiques, chasseurs, élus, riverains, ils sont côte à côte contre la destruction de leur territoire. Un représentant d’un collectif raconte que ce sont les bénévoles de la LPO qui comptaient les manifestants (une habitude prise pour recenser les oiseaux...) et que les chasseurs s’occupaient de la sécurité.

Des pyramides d’alerte sont mises en place, la nuit, des bénévoles surveillent les terrains concernés aux cas où les industriels débarqueraient.
Le 11 mars, Le Premier ministre François Fillon prolonge le moratoire décidé par NKM sur la recherche et le forage de gaz de schiste jusqu’au 15 juin, dans l’attente de deux rapports commandés par le gouvernement. Un rapport a été commandé et devra livré ses conclusions avant cette date Dans un courrier adressé aux ministres de l’Ecologie, de l’Intérieur et de l’Economie, François Fillon précise que le moratoire visera désormais les permis de recherche et les autorisations de travaux. Dans le cas d’autorisations de travaux déjà délivrées, ceux-ci seront suspendus.
Gasland, le docu qui alarme
Le 6 avril sort en Francele documentaire Gasland. Un beau jour,Josh Fox, le réalisateur, reçoit comme des milliers d’américains,un courrier d’une compagnie gazière. Elle lui propose de céder quelques terres de sa maison
en Pennsylvanie aux puits de forages gaziers contre la modique somme de 100 000 $. Pas question pour cet amoureux de la nature que son petit lopin
bucolique, où coule la rivière Delaware, se transforme en usine à gaz. Non content de refuser l’offre juteuse, Josh Fox veut en savoir plus et part à la rencontre dans d’autres Etats des familles qui ont accepté les foreuses au
bas de leurs fenêtres.
Lefilm est un succès planétaire et est projeté alors dans les
dizaines de réunions d’information organisées. On y découvre les animaux malades, rougeurs cutanées, migraines fréquentes, pertes sensorielles, lésions cérébrales, neuropathie, leurs témoignages font rêver. Tant de substances chimiques extrêmement dangereuses pour la santé que les
rares filtres des habitants peinent à épurer. Certains sont obligés de
se faire livrer de l’eau potable.
Un rapport qui dit « vraiment non ! »
Début mai, André Picot, toxico-chimiste, Président de l’Association Toxicologie-Chimie, livre dans Friture Mag ses propres conclusions dans un rapport
indépendant. Pour lui, le rapport commandé aux Mines ne suffit pas. En quoi son bilan est-il nouveau ? « Tout d’abord, alors que les recherches de l’EPA
(Agence américaine pour la Protection de l’Environnement) s’appuient sur les lois américaines sur la qualité de l’eau et de l’air, celles de son association
se basent sur la toxicité des produits, s’appuyant sur la classification
européenne des produits cancérogènes chez l’homme, élaboré par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer) émanation de l’OMS.
Sur les 400 produits répertoriés par l’EPA, le toxico-chimiste en
a analysé 200, dont une vingtaine sont connus pour leur grande toxicité à long terme. Dix d’entre eux ont un effet fortement cancérogène pour
l’homme, par exemple le benzène et le formaldéhyde qui, à eux deux, « devraient suffire à en interdire toute utilisation. Ils seraient peut-être déjà à l’origine de leucémies en Pennsylvanie, notamment chez les jeunes
enfants », insiste le chercheur. Son rapport circule aujourd’hui au niveau européen, notamment au Parlement.

La loi est votée
Le 12 mai, l’Assemblée nationale adopte une proposition de
loi UMP interdisant la technique de fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. Le Parlement vote le 30 juin la loi visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures
par fracturation hydraulique et à abroger les permis de recherche fondés sur cette technique. Pour autant, rien n’est fini. D’abord parce que les trois projets de loi initiaux (déposés par l’UMP, le PS et l’ancien ministre de l’écologie Jean-Louis Borloo) n’ont jamais fermé la porte à l’exploration et à l’exploitation des gaz de schiste. Ensuite parce que les lobbys industriels
sont intervenus auprès des députés pour édulcorer le texte retenu. Résultat : seul le procédé dit de fracturation hydraulique, dénoncé par tous, est interdit.
Mais rien n’empêcherait les industriels de contourner la loi en utilisant d’autres termes pour désigner cette technique, et en précisant bien que les produits chimiques utilisés sont « très dilués et utilisés dans la vie quotidienne ».
Le plus grand permis de France en Midi-Pyrénées
Depuis plusieurs mois, on parle également du permis dit de « Beaumont-de-Lomagne (Tarn-et- Garonne). Il s’agit en réalité d’une demande de permis déposée par les Américains de BKN Petroleum. Cette demande, pas encore instruite, porte sur une surface de 10 405 km², la plus importante pour un permis en France, et touche 8 départements. Le Gers est un des 6 départements de Midi-Pyrénées qui serait touché. Le président du Conseil général, Philippe Martin, co-rapporteur de la mission parlementaire sur les gaz de schiste, dont les conclusions, divergentes selon les deux co-rapporteurs, ont été rendues le 8 juin dernier. L’UMP pense que l’exploration de ces ressources ne doit pas être définitivement condamnée, ce qui rejoint la position du gouvernement sur
ce dossier. Pour Philippe Martin au contraire, « la France doit renoncer à extraire de son sous-sol les hypothétiques gaz et huiles de schiste qui s’y trouveraient (…), car dans le cas contraire elle tournera le dos à la nécessaire transition environnementale qu’impose l’état de la planète et celui de nos
ressources naturelles.
Un été à fond les gaz
A Lézan, dans le Gard, du 26 au 28 août, plus de 15000 personnes sont
venues à l’appel des collectifs contre le gaz de schiste. De véritables
états généraux citoyens pour envisager l’avenir énergétique.
Chaque jour, quatre chapiteaux accueillaient des débats passionnés, tables rondes et ateliers invitaient spécialistes, militants associatifs, auteurs, politiques, à venir exposer leurs constats et leurs propositions. L’appel de Lézan pour une convergence énergétique synthétise ces exigences : l’énergie n’est pas qu’un pur problème écologique mais un enjeu du vivre ensemble.

Et maintenant ?
Mi-septembre on apprend que La compagnie texane Schuepbach Energy LLC a jeté l’éponge face à trois micro localités des Cévennes gardoises, Bonnevaux, Aujac et Malons-et-Elze. La société pétrolière renonce à poursuivre les communes devant le tribunal administratif. Les Américains avaient intenté un recours administratif pour faire annuler les arrêtés communaux du printemps dernier qui interdisaient sur leur territoire l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste par la technique de fracturation
hydraulique. Bonnevaux, 102 habitants, avait été la première à être attaquée au tribunal.
Dans le même temps, le groupe pétrolier Repsol s’apprête à réaliser des forages dans le Golfe de Gascogne, notamment en Biscaye (Pays Basque sud). Les forages se produiraient dans des zones qui abritent une riche biodiversité. Ils toucheraient, par exemple, le canyon de Capbreton, qui abrite
des écosystèmes avec de nombreuses espèces d’intérêt écologique,
ou la zone marine protégée de San Juan de Gaztelugatxe.
Mais en ce début octobre, le gouvernement abroge le trois permis
accordés à Total et aux Américains de Schuepbach à Montélimar, sur le Larzac et en Ardèche. Les 61 autres permis d’exploration - dont 49 d’hydrocarbures dits conventionnels, quatre concernant le pétrole (« huiles ») de schiste, et huit pour les gaz de houille - n’ont pas été inquiétés.
La bataille du sous-sol n’est pas terminée. Ailleurs, les collectifs
sont toujours en alerte.