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Billet de blog 5 octobre 2012

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Laguiole : appellation d’origine incontrôlée

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Le 19 septembre dernier, le maire et quelques habitants et artisans de Laguiole ont débaptisé leur commune. Une opération médiatique spectaculaire afin de dénoncer une décision de justice qui empêche le village de se réapproprier son nom et qui permet en toute légalité à un entrepreneur du Val-de-Marne de s’en servir pour vendre des couteaux, des barbecues ou des montres made in China. La commune devra verser 50 000 euros de dommages et intérêts à l’entreprise parisienne.

Par mathieu Arnal sur www.frituremag.info

Laguiole, village de 1 300 âmes, au cœur de l’Aubrac aveyronnais. Une commune réputée pour son fromage, son pavé de bœuf et son couteau. Un prestige qui tient d’un savoir-faire exceptionnel mis au point par l’artisanat laguiolais et thiernois. Certains sont même siglés par les célèbres designers Starck ou Wilmotte, ce qui explique parfois son prix élevé. Problème de taille : la marque en tant que telle n’existe pas. Elle n’a jamais été déposée et se trouve dans le domaine public. Une absence de protection hautement préjudiciable… Gilbert Szajner l’a bien compris et flaire l’aubaine. En 1993, cet entrepreneur de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) achète le nom et dépose la « marque » Laguiole auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) pour vendre sous cette appellation toute une gamme de produits d’arts de la table mais aussi dans des segments plus variés, allant des outils du jardin au textile en passant par les stylos. Choquée par cette appropriation, la mairie de Laguiole ne négocie pas à l’amiable avec l’entrepreneur et l’attaque en justice en 1999. Le tribunal juge alors que le nom de Laguiole concernant les couteaux est un terme générique car il existe plus d’une centaine de fabricants de Laguiole à travers l’hexagone dont à Thiers (Puy-de-Dôme), l’un des plus importants sites de coutellerie. En dehors des couteaux, l’entrepreneur parisien est en revanche le premier à penser à valoriser ce nom et le déposer qui est considéré comme légitime, à savoir l’entreprise Laguiole Licences. Ainsi, il peut monnayer des licences sur des gammes d’accessoires de plus en plus diversifiées au grand dam du village de l’Aubrac. En 2010, la commune tente un nouveau procès, invoquant l’instrumentalisation du nom de Laguiole pour induire en erreur les consommateurs sur l’origine des produits et accusant la société saint-maurienne de « parasitisme » économique. Le Tribunal de Grande Instance de Paris qui a rendu son jugement le 15 septembre dernier, a rejeté ses motifs, faisant valoir qu’il n’y avait pas atteinte à la renommée du village (la plupart des couteaux sont fabriqués hors de son territoire jusqu’en Pakistan et en Chine) car les couteaux de Laguiole ne sont pas l’apanage de Laguiole et qu’un manque à gagner économique n’était pas prouvé…

Des licenciements à prévoir

Une décision qui n’est évidemment pas du goût de Vincent Alazard, le maire du village. « Nous allons faire appel de la décision du TGI et mobiliser l’ensemble des élus locaux. Nous avons le soutien d’Anne-Marie Escoffier, la ministre déléguée à la Décentralisation et attendons la visite de Sylvia Pinel, la ministre de l’ Artisanat, du Commerce et du Tourisme ». Une décision de justice qui hypothèque en grande partie l’avenir de la Forge de Laguiole qui fabrique et vend 120 000 couteaux par an et emploie 100 salariés. Thierry Moysset, son gérant est alarmiste. « Si je veux diversifier mon cœur de métier et fabriquer une gamme de fourchettes, je suis hors-la-loi ! C’est ahurissant ! Moi qui souhaite développer de l’emploi sur le territoire, je serai contraint de licencier si on ne légifère pas d’urgence ! Nous ne sommes pas dans une économie libérale mais dans une économie confiscatoire. Je ne suis pas pour interdire les produits manufacturés étrangers. L’idée est de donner le choix au consommateur en identifiant clairement le produit. Protéger l’origine du produit permet de protéger le savoir-faire et le territoire qu’il y a derrière. » Un projet de loi sur la protection des consommateurs, actuellement en cours de navette au parlement (rejeté en seconde lecture à l’Assemblée nationale), étend les indications géographiques protégées (IGP) aux produits manufacturés alors qu’elles ne concernent actuellement que les produits alimentaires, et permet aux collectivités territoriales d’être informées lorsqu’une marque est déposée avec leur nom.

AOC, AOP, IPG : une histoire de labels
 L’Appellation d’origine contrôlée (AOC) a été institué afin de protéger des produits intimement liés au territoire sur lequel ils étaient produits. D’abord utilisée pour les vins pour protéger les territoires viticoles français, l’AOC s’est progressivement étendue à tous les autres produits alimentaires. En 1992, deux Indications géographiques, l’Appellation d’origine protégée (AOP) et l’Indication géographique protégée (IGP) ont été créés par les pouvoirs publics européens, reconnaissant chacun à leur façon un lieu et un mode de production. Le premier s’inspirant de l’AOC, est le signe d’une qualité liée à un terroir et une tradition. Certains terroirs sont reconnus pour conférer aux produits une typicité bien particulière, résultat de facteurs naturels, climatiques, physiques et humains. L’Appellation d’origine protégée valorise les produits et les modes de production issus de cette zone géographique bien définie. Quant à l’Indication géographique protégée, elle est le signe que le produit a un territoire d’origine. Le produit, issu d’un territoire bien délimité, possède une caractéristique singulière du fait d’une qualité ou d’une réputation reconnue, principes attribués essentiellement à cette origine géographique. Ce signe est donc fortement lié à un savoir-faire localisé ou à une tradition, identifiable et attribuable aux caractéristiques naturelles et humaines de la région.

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