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Billet de blog 5 décembre 2011

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Paroles d’un provincial exilé à la "Capitale"

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Ludo S. sur www.frituremag.info

Pauvre ignare que j’étais, imbécile presque heureux d’être né quelque part. Reclus dans ma contrée reculée, je vivotais alors dans l’ignorance attachante propre aux peuplades primitives. Heureusement, un beau matin d’automne, je me suis délivré du cloaque de ma conscience. Sabots pleins de glaise et baluchon à l’épaule, je me suis mis arpenter les routes de France pour franchir ma ligne Maginot selon laquelle au-dessus de Bordeaux, c’est le Noooord.


Non, ne me jetez pas la tuile rouge, chers compagnons tout fiers d’appartenir aux berges rosées du canal du Midi désormais sans platane. J’ai fauté, j’ai migré vers la capitale... A moi les arrondissements en colimaçon, la terrasse du Café de Flore, les déambulations dans le quartier latin, les bouquinistes du bord de Seine. A moi les métros aériens, les brasseries avec serveurs à l’ancienne, les siestes au jardin des tuileries, les danses coquines du moulin rouge, les heures de chine aux puces de Saint-Ouen et les crackés de la place Stalingrad. Oui camarade Occitan, j’ai cédé en ces temps de vache maigre au pouvoir de la centralité économique et culturelle. Vivre le rêve parisien comme avant moi les basques, le bretons, les auvergnats, les berrichons ou les algériens, dans leur ruée vers l’emploi.
Et je fais désormais partie de ces 57 000 jeunes provinciaux qui se gagnent chaque année la terre promise, c’est ce qu’explique une récente étude(1). Oui, oui provinciaux.

C’est là que j’ai enfin compris. A peine ai-je franchi le pas de la porte Maillot que la ville lumière m’avait sorti du tunnel de ma France profonde. A ma surprise, je ne venais pas de Toulouse, je venais de Province. Délicat fourre-tout hérité de l’Ancien Régime qui dessine un pays bipolaire entre île de France aux trésors, entourée d’une mer de petits « pays vaincus » - à en croire l’étymologie latine - plus ou moins animés. Et tant pis si les départements existent depuis 1790… Dans la hiérarchie des modes de vies, il y a Paris et le reste.
Alors j’eus bien envie de prendre des airs de Claude Sicre et de crier haut et fort « je n’habite pas en province mais à Toulouse ». Mais à quoi bon ? je devais enfin me rendre à l’évidence, ici on n’est plus chez les ploucs régionalistes qui dissolvent leur identité culturelle dans le ratafia local et le suivi saisonnier de compétition ovalique. Ho non ici la culture, ça s’empoussière, mon bon monsieur, sur les murs pâles des expositions temporaires d’un Grand Palais, d’une Pinacothèque, d’un Centre Beaubourg et d’autre MAC… Heu pardon, Musées d’Art Contemporain. Hein vous z ‘en avez pas de ça chez vous, en régions, des MAC ? …Oui maintenant je dis « vous » pour me distinguer. Il faut que je fasse vrai parisien, vous comprenez ? Comment ça, géo-traître ? Rien à voir… J’essaie juste de jouer la carte de l’assimilation, c’est tout. J’ai même essayé de parler pointu un jour, une heure, une seconde, j’sais plus. Mais y’a rien à faire. Dès que j’ouvre la bouche, ça suinte la graisse de canard et ça bave le jus de violette à pleins tonneaux. Apparemment, ça émoustille plutôt l’amateur de velib’.

- Et d’où nous vient ce petit accent qui chante ?
- De Toulouse.
- Ha. Je me disais bien que t’avais l’accent du Sud. Continue de nous parler, t’es notre petit rayon de soleil.
- Ah ouais ? et ça te dirait de connaître son coup ? Histoire de voir que chez nous, y’a pas que les mémés qui aiment la castagne. Car chez nous c’est comme une chanson de Nougaro. On parle rocaille, on dit con à chaque fin de phrase et on reste des heures assis sur un banc, du moins quand on ne fait pas la sieste entre deux cassoulets.
- Ouais là-bas t’es loin du stress parisien, il y a un côté village en plus, non ?

Cliquer sur l’image pour visualiser le PDF complet "la France vue par..."

Oui c’est comme un grand village qui ne ressemble pas à la Louisiane mais qui s’appelle le Sud où tout le monde se connaît. C’est parce qu’on joue à la pétanque toute la journée à se demander si on tire ou on pointe. D’ailleurs Marseille, Bordeaux, Montpellier, Toulouse, Tarbes, Pau, Nice, Avignon, Sète, Perpignan ne sont que des quartiers sans spécificités régionales, toutes englobées sous le label générique SUD. En plus il fait beau toute l’année. Plus belle la vie, quoi. Quelle ingrate cette Nadine, employée à la mairie de Frontignan, qui ose prétendre que « le soleil ça fait pas tout ». Se rend-elle seulement compte de sa chance ? Le chômage, le surendettement, les crédits, les factures non payées, on le vit mieux sous le soleil. C’est bien connu la misère y est moins pénible. Revoilà la France coupée en deux, cette fois par une SUN BELT déterministe, ligne de front dans un conflit NORD-SUD.

D’autres essaient de se sortir de ce parisianisme ostentatoire par une sorte de litanie de compliments folklorisés les plus dégoulinants de condescendance envers des « vrais gens » qui « ont su rester simples et dignes ». Il n’y a guère qu’eux pour rappeler les évidences du genre « faut pas croire que tout se passe à Paris, il y a des choses très bien qui se passent en régions ». Trop contents de visionner à chacun de leur séjour outre-périphérique un remake de Bienvenue chez les Ch’ti, ils viennent glaner des bribes d’une culture vivante dont ils sont cruellement en manque.
A croire que les menus traditionnels des restaurants gascons à nappe à carreaux soudain élevés au raffinement du patrimoine national- pour touristes et français centripètes en mal de gastronomie des terroirs, ne suffisent pas à rassasier leur appétit de pittoresque et d’authentique.
Et l’on comprend mieux toutes ces séries et ces téléfilms frappés du syndrome Eddie Murphy(2) où l’on flatte l’exotisme des terroirs avec des abrutis au grand cœur qui ont des accents à couper au couteau suisse et avec des beaux héros s’exprimant comme des animateurs télés ; Jean-Michel Apathie non compté. Au nord des gens froids mais hospitaliers ; au sud des grandes gueules à la joie de vivre. Au milieu, Paris. Pleine d’austérité certes, mais celle des belles personnes, réfléchies et distinguées.

Pourtant les lutéciens pure souche se font plutôt rares ici bas. Paris reste, c’est là le paradoxe, la ville la plus peuplée par des immigrations régionales3. Chacun porte un temps ses origines régionales en bandoulière jusqu’au jour où ils sombrent dans l’hygiénisme linguistique, à l’instar du joual à Montréal. Comme si la basse grisaille du ciel parisien polissait les aspérités culturelles par peur de tomber dans le territo-culturo-tradi-nationalisme. Sorte d’épuration identitaire au nom d’une intégration fédératrice. Assimilation destructrice ou communautarisme sectaire comme horizon culturel ? En fait, j’ai plutôt de la peine pour ces gens qui assèchent le torrent de cailloux qui roule sur leur langue, comme disait l’autre. Et ce, afin d’avoir l’accent de ceux qui n’en ont pas. Ils entretiennent le mythe quasi fondateur d’un Paris sans accent loin du banlieusard, né à six stations de RER qui peine à se croire plus titi que le parigo. Il faut redoubler d’efforts et de clichés pour redorer la fable du parisien « authentique », celui des films en noir et blanc, celui des musettes enguirlandées. Le pilier de bastringue, le marlou de Ménilmontant ou l’ouvrier des usines Renault se fait depuis belle lurette chasser en première, deuxième couronne à grand coup de promotion immobilière par les bobos « assoiffés des quartiers populaires ».

Alors on cultive comme on peut l’image du parisien Métro Boulot Dodo patibulaire. Comme dit la pub, le Parisien, mieux vaut l’avoir en journal que chez soi ? Allez sans rancune Parigo si l’on cède nous aussi à la guéguerre nord-sud. On ira se tailler une petite tête de veau de la paix. Pardonnez la « Province » si elle vous voit comme bourgeois, intellectualistes et hautains ; c’est son côté anti-capitaliste primaire.

(1)« L’Île-de-France reste la région la plus attractive pour les 18-29 ans », Institut d’Aménagement et d’Urbanisme, Note rapide Société, n° 561, Août 2011. http://www.insee.fr/fr/insee_region...
(2)L’image du Noir nécessairement bouffon, rigolard, « cool relax », et toujours de bonne humeur. Sans parler de la doublure française de sa voix qui emprunte l’accent d’un blédard ouest-africain, version Michel Lebb. Jusqu’à preuve du contraire E. Murphy est naît à Brooklyn, aux Etats-Unis.
(3) « L’Île-de-France a toujours le taux de migration nette (régionale) le plus élevé pour les 18-29 ans en France métropolitaine “, selon l’étude de l’IAU.

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