
Le projet de Bruno Granja d’installer des studios américains de cinéma sur l’ancienne base militaire de Francazal, aux portes de Toulouse, serait-il en passe d’être compromis ? Nous décrivions les « acteurs du scénario » et soulignions aussi les zones d’ombre du projet en juin dernier. Aujourd’hui, moins de deux mois avant la date limite pour répondre à l’appel d’offres, celui-ci semble plus que jamais remis en cause. Une question revient chez de nombreux observateurs régionaux : l’architecte de Cugnaux aura-t-il les épaules et le soutien nécessaire pour mener à bien son entreprise ?
par Armelle Parion sur www.frituremag.info
La date butoir approche. Il reste moins de deux mois pour répondre à l’appel d’offre lancé cet été en préfecture, concernant la reconversion de la zone sud de Francazal. Et pourtant, Bruno Granja, l’architecte de 37 ans qui défend l’installation des studios du géant Raleigh sur les 25 hectares concernés n’a jamais été aussi peu loquace. Il ne répond presque plus au téléphone, si ce n’est pour promettre de fournir des informations plus tard. « C’est normal d’être discret, alors que la procédure d’appel à projets est en cours », s’est-il justifié auprès de Friture Mag. « Vous n’avez pas à vous inquiéter. Le projet est en bonne voie ». Silence radio aussi du côté des élus locaux, qui ont pourtant presque tous soutenu à ses débuts un projet porteur pour l’économie de la région. Philippe Guérin, le maire de Cugnaux, n’a pas souhaité nous répondre. Sa position est d’autant plus délicate que Raymond Granja, le père de Bruno Granja, est en charge du développement économique au sein de son conseil municipal. Le maire de Toulouse et président de Toulouse Métropole Pierre Cohen aurait fait part en juin dernier à Bruno Granja de ses doutes sur la capacité de l’intéressé à mener à bien son projet. Malgré plusieurs tentatives, nous n’avons pas pu joindre non plus Claude Raynal, le maire de Tournefeuille et conseiller général du canton de Tournefeuille.

L’avocat de Granja s’est retiré
Le décalage entre l’euphorie de l’hiver et du printemps derniers et le silence qui entoure maintenant le projet est manifeste. Le 12 avril, l’Elysée accordait son feu vert au projet de Bruno Granja, signant un décret pour céder la parcelle de 25 hectares de l’ancienne base. Malgré une superficie revue à la baisse par rapport au projet initial, demeurait l’ambition de créer 5000 emplois directs et 5000 emplois indirects grâce à l’implantation des studios. Surfant sur cette bonne nouvelle, Bruno Granja s’est même rendu au festival de Cannes cet été pour rencontrer les grands noms du cinéma.
De son côté, Maître Jacques Lavergne a continué à accompagner le projet, qu’il a toujours jugé « économiquement et techniquement réalisable », recevant tour à tour la Chambre de Commerce et d’Industrie, les dirigeants américains de Raleigh, ou encore le directeur de cabinet de François Hollande, alors qu’il était candidat. Mais l’avocat a décidé d’abandonner son client mi septembre. « La dernière fois que j’ai parlé du projet avec Granja remonte au 6 juillet. Depuis, je n’ai plus touché au dossier. J’ai préféré me dégager de cette affaire pour des raisons personnelles. Je n’avais plus le sentiment d’être utile », explique laconiquement l’avocat. Selon une source proche du dossier, l’architecte aurait annulé à plusieurs reprises des rendez-vous avec de potentiels partenaires économiques au niveau local et régional. « Des gens avaient besoin de lui. Certains ont la haine ici », témoigne cette même source.
Pourtant, Jean-Louis Chauzy, le président du CESER, le conseil économique social et environnemental de la région continue à croire au projet. « Ceux qui n’y croient pas sont les Parisiens de la FICAM (Fédération des Industries du Cinéma, de l’Audiovisuel et du Multimédia), qui veulent tuer le projet. Les dirigeants de Raleigh sont toujours motivés. Le tour de table se prépare avec des financeurs privés de la Région » », rassure Jean-Louis Chauzy. Le projet serait dans les mains de l’Elysée, plus particulièrement suivi par le ministre du Redressement Productif Arnaud Montebourg et par le président du Sénat, originaire de la région, Jean-Pierre Bel.
Partenaires inconnus et concurrence probable
Malgré l’abandon de son avocat, Bruno Granja a-t-il réussi à s’entourer de partenaires solides ? D’après un connaisseur du dossier, le porteur de projet aurait fait appel à des techniciens d’aménagement, et même à un policier pour les questions de sécurité. La Caisse des Dépôts et d’autres banques nationales se seraient engagées dans l’affaire. Selon nos confrères de Midi Presse, qui citent une source proche du dossier, le financement serait même bouclé, avec 200 millions d’euros, mais toujours aucune trace visible de ces financements. Un chiffre bien supérieur aux estimations d’il y a quelques mois, qui avaient tablé sur 120 millions d’euros. Les studios de Luc Besson, inaugurés à Paris il y a deux semaines, représentent, quant à eux, un budget de 180 millions d’euros. Studios auxquels Granja n’aurait jamais cru, et qui pourtant, risquent de compromettre la naissance des studios toulousains. On peut en effet se demander si l’existence de la Cité du Cinéma laisse de la place pour un second projet de ce calibre en France.

Les premiers plans du projet de Raleigh Infographie Idé pour la DDM
De plus, d’autres entreprises françaises seraient intéressées pour s’emparer du site toulousain. Plusieurs témoins, ainsi que nos confrères de La Voix du Midi (dans son édition du 4 octobre), parlent de Vinci. Après avoir investi dans les studios de Besson, l’entreprise postulerait pour éviter de voir s’installer la concurrence à Toulouse. De plus, l’appel d’offres, tel qu’il est rédigé, ne s’adresse pas exclusivement au projet de cinéma de Bruno Granja. Il mentionne « des activités économiques et culturelles à développer sur le site ». « Il n’y a pas d’autre projet », affirme pour sa part Jean-Louis Chauzy, pour qui l’usage des 25 hectares est « fléché » à destination des studios de cinéma.
« Nous sommes perplexes sur l’aboutissement de ce projet, d’autant plus qu’on n’entend plus parler de Raleigh », lâche quant à lui Bernard Gineste, le président du collectif Francazal, qui s’est toujours opposé à l’installation d’une activité aéroportuaire sur l’ancienne base, et soutenait le projet de cinéma comme une alternative crédible. « Le projet de studio de cinéma et tout le bruit qu’on fait autour permettent de masquer la seule activité certaine qui est en train de s’installer pour 45 ans au moins, si l’on n’y fait pas obstacle : l’aéroport mixte de Toulouse Francazal. » Des rumeurs peuvent en effet laisser imaginer que SNC Lavalin, qui gère depuis 2011 l’aérodrome civil, pourrait aussi déposer un dossier, pour tenter de récupérer tout le site. De son côté, la Préfecture nous a indiqué qu’elle « ne souhaitait pas, à l’heure actuelle, communiquer sur le sujet ».
Un passé d’homme d’affaires peu reluisant
Le passé de Bruno Granja, quant à lui, ne laisse pas augurer un dénouement positif. En juillet dernier, il a fait l’objet d’une suspension administrative de son cabinet d’architecture par le conseil régional de l’Ordre des Architectes, sans doute parce qu’il ne s’était pas acquitté de ses cotisations. L’architecte a par ailleurs tenté plusieurs fois de monter des affaires, aux côtés de son père, Raymond Granja. Ce dernier a forgé sa réussite en montant la société Irrijardin, ensuite revendue, mais a aussi été confronté à d’importants problèmes financiers, en tant que président du club de football JS Cugnaux dans les années 2000. Le club a finalement fait faillite. Son fils Bruno, lui, n’a pas de réussite professionnelle à son actif. « J’ai fait sa connaissance au milieu des années 2000, lorsqu’il est venu présenter la maquette de son projet d’hôtel à Cugnaux, sur la zone d’activités de l’Agora », se souvient un ancien élu de Cugnaux. « Mais ça ne s’est jamais fait, car Bruno Granja n’a pas réussi à trouver les financements », ajoute ledit élu. Depuis un an et demi, 11 sociétés lancées par le père et le fils se sont retrouvées en liquidation judiciaire. « Bruno Granja a mis son argent personnel dans le projet. Il a des partenaires qui le soutiennent. Je ne l’aurais jamais suivi sans aucune garantie », rétorque Jean-Louis Chauzy, le président du CESER. Si l’architecte de Cugnaux a investi ses deniers personnels dans le projet Raleigh, où a-t-il trouvé cet argent ?
Quelle que soit l’issue de cet ambitieux projet, il a généré beaucoup d’espoirs dans le milieu du cinéma, à Toulouse. « Les professionnels n’attendent qu’une chose : que la situation se débloque », concède Brice Semis, le directeur du Pôle Emploi Spectacles de Midi-Pyrénées. Tous les professionnels du cinéma de la région s’informent depuis plus d’un an auprès du Pôle Emploi sur ce projet de studios. « Certains m’ont même demandé des formations en anglais, pour se préparer à l’arrivée de Raleigh. Quelques techniciens de Paris appellent. Il est évident que ce projet représente une réelle opportunité. C’est même un rêve », ajoute Brice Semis. ll faudra attendre l’ouverture des plis en préfecture le 30 novembre pour savoir si, malgré les confusions qui entourent le projet, le rêve deviendra réalité.