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Billet de blog 8 mars 2014

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Hommage à Claude Nougaro

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4 mars 2004 – Il y eu un frisson de l’air…et un ange malicieux te prit par la main pour t’accompagner vers des voies divines, où de célestes alexandrins bercent le sommeil des poètes disparus… Tu resteras pour moi un artisan des mots, un chanteur-compagnon à la belle ouvrage, un mec authentique. Je t’aime pour ça, pour cette sincérité, pour tes rimes vraies et ta chaude voix qui swingue méchamment ! … Je t’avais écrit des acrostiches, en voici une que j’ai composée de St Sernin à Capitole, pour venir l’accoucher sur l’un de tes trois livres d’or et déjà bien noircis ! Adieu Claude.

Par Patrice Pernot* sur www.frituremag.info

Comme un astre sur orbite,
Les ailes déployées,
Ange des mots, tu quittes,
Une terre mouillée
De larmes bien écrites
Et de pleurs maquillés.

Nous boirons à ta prose,
On dansera sur toi,
Un chant de Ville Rose
Grimpera vers les toits,
A l’aube où chaque chose
Retrouve son éclat.
Oh Toulouse … c’est toi !

Claude Nougaro venait de nous quitter. Je fus soudain submergé par une émotion incontrôlable, comme sans doute un grand nombre d’inconditionnels. Nous venions de perdre un être cher, comme un membre de notre famille.
Pour moi c’est un père spirituel qui disparaissait. Je l’ai rencontré pour la première fois en 1978, un soir, dans un bar de la place Saint Georges, chez Roger et Rémi, où nous refaisions le monde. Un choc ! Je venais d’écouter, sur un vinyle incontournable à mes oreilles, son dernier album studio « Plume d’ange » une pure merveille qu’il m’arrive de conter, et qui représente pour moi tout le talent et toute la sensibilité d’un Claude Nougaro que finalement le grand public ne connaît pas.
Roger me présente à lui : ’’un de mes jeunes habitués, qui aime le verbe…’’ et Claude Nougaro de s’adresser à moi : ‘’ Nous n’avons rien à nous dire, alors, causons un peu…tu aimes les mots, toi aussi ? Eh bien mon petit, tu n’es pas sorti de l’auberge !...’’ et nous n’en sommes sortis de cette auberge, sans nourriture terrestre, mais au combien nourrissante pour moi, que vers 5 h du matin. Nous n’étions plus que quelques-uns et nous deux au coin du comptoir, partageant quelques mots et moi buvant les siens entre deux gorgées de whisky ...
Ce temps qu’il m’accorda en toute simplicité, camaraderie presque, fut un privilège !
Je n’ai pas saisi dans l’instant à quel point cette rencontre compterait dans ma vie.


Façade Nougaro à l'angle des rues Pargaminières et Valade à Saint-Pierre crédit Mathieu Arnal

Tous ceux qui ont approché, rencontré, connu l’homme, ne peuvent être restés indifférent à cette poésie musicale qui émanait de lui. Esthète et épicurien des mots, ‘’ciselés comme des émaux  ‘’, un épicurisme axé sur la recherche d’un bonheur et d’une sagesse au travers de l’écriture dont le but est d’atteinte de toute évidence la tranquillité de l’âme. Il transpirait des gouttes de jazz et de vers entremêlés, mais pas un seul instant alambiqués comme l’ont prétendus certains ; il est le parfait représentant de l’art populaire dans ce qu’il a de plus noble, de plus aristocratique comme il disait, empreint de simplicité, de beauté, mais aussi bien sûr d’un talent évident. C’était un artisan des mots qui faisait son travail du mieux qu’il pouvait avec le découragement parfois de l’ouvrage imparfait qu’il remettait sur le métier, inlassablement. Il ‘’griffonnait ‘’ ses plans, cherchait furieusement entre le dessin et l’écriture la justesse des mots qu’il voulait assembler et partager. C’est en tout cela qu’il m’est apparu comme est un exemple.

Dans ses contradictions humaines, il n’y a aucun snobisme, et son désir ardent d’être un poète par-dessus tout l’a écarté du show business, des scènes complaisantes. En suivant son étoile, qui le prédestinait à mettre sa poésie dans ses chansons, il traversa parfois le désert, incompris d’un public qui, hélas, sacrifie souvent le fond à la forme. Cela dit comme tous les poètes, les vrais, les maudits dirons nous, il n’écrit pas spécialement pour le public mais plutôt pour un peuple intime, dit-il, pour lui-même, pour combattre et exorciser une nature angoissée.
Il y puise l’encre indispensable à sa plume féconde qui nous donnera tant de joyaux. Son œuvre est riche de chansons qu’il faut entendre, et lire, pour mesurer toute la précision d’horloger qui fait tourner avec magie les engrenages de cette poésie. On ne peut les nommer toutes tant il y en a, Le cinéma, Une petite fille, Le jazz et la java, A bout de souffle, Un été, Tu verras, Cécile, Île de Ré, Oh Toulouse, Nougayork, Rimes…. Plusieurs de ses albums seront disques d’or, récompensés par des prix divers et par deux Victoires de la musique.
Mais l’important pour Claude, le souffleur de vers, c’est que la vie rime à quelque chose, surtout avec la poésie. ‘’La poésie c’est mon dada et l’utopie mon topo‘’ Un poète reconnu à présent par ses pairs. Il va enfin pouvoir dire ses textes dans ‘’les fables de ma fontaine‘’ comme ce poète qu’il est vraiment.

Claude Nougaro restera un artiste hors normes, un oiseau forçat enchaîné à sa plume, un géant, semblable au prince des nuées, un albatros, un roi de l’azur, parfois maladroit mais d’une extrême authenticité.
Il échappe ainsi à jamais aux lois temporelles et comme le dit Hélène, son épouse, ‘’ il passera le temps ‘’ car ses chansons, sa poésie, ses textes nous donnent un éternel bonheur et résonnent avec une évidence charnelle, dans un rythme qui a le sens de la vie.

*Patrice Pernot vit dans le quartier Arnaud-Bernard à Toulouse et travaille à son compte dans la rénovation du bâtiment et l’expertise. Ancien journaliste halieutique, ce passionné de pêche à la truite aime à ses temps perdus aussi bien jongler avec les mots qu’avec son piano. Depuis plus de 35 ans, il voue un culte à Claude Nougaro, qu’il a rencontré à plusieurs reprises.

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