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Billet de blog 9 janvier 2012

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Un centre social autogéré pour orienter les plus précaires

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Toulouse - Centre social autogéré

C’est l’histoire d’une rencontre entre des travailleurs sociaux en colère et des squatteurs sensibles à leurs revendications : mettre à l’abri des grands précaires et des familles vivant dans la rue. C’est aussi l’histoire d’un combat, qui va porter ses fruits et fera peut-être des petits.

par Anne Dhoquois sur www.frituremag.info


Goudouli, c’est le nom d’un poète occitan et d’une rue d’un quartier cossu de Toulouse. En quelques mois, c’est aussi devenu le nom d’un lieu, occupé par des travailleurs sociaux et des squatteurs confrontés à une situation d’urgence : mettre à l’abri des familles et des grands précaires, de plus en plus nombreux à mourir dans la rue. Selon Anabelle Quillet, conseillère en économie sociale et familiale et membre du Groupement pour la défense du travail social (GPS) qui réunit depuis 2008 des travailleurs sociaux et sanitaires, un chiffre l’atteste : « en un an, on a dénombré 22 décès à Toulouse contre 7 ou 8 les autres années ». La raison à cela ? Des demandes en hausse et un budget pour l’urgence sociale en baisse. « La politique du gouvernement, c’est le logement d’abord, adapté à des publics déjà autonomes. La stabilisation, c’est bien pour ceux qui en bénéficient, mais ça exclut les plus fragiles qui ne parviennent plus à avoir de places via le 115 », résume Bruno Garcia, coordinateur de la veille sociale.

De fait, à Toulouse, le 115 ne donne pas suite à 163 demandes d’hébergement par jour, un chiffre qui a doublé en un an. Et pour avoir gain de cause, rappeler et rappeler encore sans se décourager est une règle de base à laquelle les grands précaires ne se plient pas. « Un grand précaire, c’est une personne qui cumule les problèmes et les pathologies. Du coup, ce sont des gens jugés peu désirables dans la plupart des foyers car souvent alcooliques, psychotiques… », explique Pierre Cabanes, infirmier et membre de l’équipe mobile sociale et de santé. Pour autant, deux lieux situés au centre de Toulouse les accueillaient de temps en temps… jusqu’à leur fermeture en décembre 2010 et leur remplacement par un nouveau centre d’accueil en périphérie et donc inaccessible pour la population concernée. « On veut foutre la misère en dehors de la ville », constate Bruno Garcia.
Sauf que le constat va devenir colère, et la colère générer des actions militantes en cascade. Le GPS monte alors en puissance. Une grève d’abord, sans résultat. Puis l’occupation de la cathédrale Saint-Etienne à Toulouse. Rien n’y fait. Les travailleurs sociaux et les quelques SDF qui les accompagnent sont expulsés manu militari. Mais l’action alerte le collectif inter-squat, le réseau des squatteurs de Toulouse, qui leur propose de l’aide : trouver un lieu vide et l’occuper. « La situation nous pousse à la radicalisation, commente Bruno Garcia. Nous avons basculé dans l’illégalité, c’est dire le malaise du secteur ».

Mise à l’abri

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Ledit lieu est vite repéré. Il s’agit d’anciens locaux de l’AFPA rue Goudouli. Deux immeubles spacieux avec tout le confort sont investis le 26 avril 2011, l’un par le GPS, l’autre par le Créa (Collectif de réquisition, d’entraide et d’autogestion). Celui-ci est aujourd’hui occupé par huit familles dont 16 enfants, âgés de 8 mois à 21 ans, et des membres du collectif. Ici, on ne demande qu’une chose : rester dans les locaux, aucune subvention ne sera demandée à quelque institution que ce soit. Le Créa organise la vie collective avec gestion de la nourriture (essentiellement donnée), organisation d’activités culturelles pour les enfants, entretien d’un potager dans le jardin qui sépare les deux bâtiments, etc. Quant à la dynamique à l’œuvre, Foued du Créa la résume en une phrase : « notre campagne, c’est « O enfant à la rue » ». Et pour y parvenir, Foued précise : « nous ne reconnaissons pas la propriété ; à Goudouli, nous sommes chez nous. Le peuple a construit ces bâtiments, ça lui appartient, nous nous sentons légitimes à vivre ici. Et puis, nous répondons à un besoin. »
Dans l’autre bâtiment aussi, on répond à un besoin : « mettre à l’abri des personnes en danger car très abimées après des années de rue », explique Pierre Cabanes. Elles sont dix-sept aujourd’hui à y vivre, des hommes exclusivement, connus depuis longtemps des services sociaux, âgés de 30 à 70 ans. Et même si certains sont partis en raison de conflits avec d’autres résidents, la plupart commencent à se sentir chez eux à Goudouli.

Des règles de vie adaptées

De fait les règles de vie établies par le GPS sont en phase avec le public concerné : lieu à taille humaine, ouvert 24 h/24, aucune limitation de durée, aller-retour avec la rue possible, consommation d’alcool et état d’ébriété tolérés ainsi que la présence d’animaux. Anabelle Quillet l’affirme : « Goudouli, ce n’est pas un hébergement d’urgence mais un logement adapté. On a créé un site idéal, celui que l’on réclame depuis dix ans. » Et il pourrait bien faire des petits. D’abord, parce que la préfecture, qui a attaqué en référé pour occupation illégale, a perdu devant le tribunal administratif. Le genre de jugement qui pourrait faire jurisprudence. Ensuite parce qu’un groupe de travail pour modéliser ce type d’établissement et monter un projet définitif s’est mis en place ; leurs conclusions seront rendues dans deux ans. Une victoire inespérée pour le GPS qui a, du coup, créé une association – « La Maison Goudouli » - pour mieux gérer l’endroit durant la phase intermédiaire. Depuis décembre dernier, l’Etat et la fondation Abbé Pierre les subventionnent permettant l’embauche de travailleurs sociaux et d’animateurs, dont certains résident à Goudouli sept jours sur sept. La mairie de Toulouse fournit la nourriture pour les deux repas journaliers et une convention d’occupation a été signée avec la Préfecture. Mais, selon Anabelle, cette officialisation ne modifie en rien « l’esprit de la maison » ; les bénévoles du GPS, qui pendant plusieurs mois se sont relayés pour s’occuper des résidents et qui continuent à être très actifs dans l’animation du lieu, y veillent.

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