S’ils ne sont pas vignerons, la terre est leur métier. Aux portes de Cahors, Claude et Lydia Bourguignon, experts en microbiologie, recréent le vignoble disparu qui fit la gloire de ces coteaux aujourd’hui oubliés, à contre-sens de la viticulture moderne. Un plaidoyer pour une autre façon de cultiver, qui se traduit aussi par une véritable passion pour l’histoire de ce vignoble au passé tourmenté. Entretien.
- L’intégralité de cet entretien paraîtra dans le numéro d’été de Friture Mag. Sortie prévue mi-juin par Christophe Pélaprat sur www.frituremag.info

Friture Mag : On vous connaît en tant que microbiologistes de renom, mais comment peut-on vous définir, qu’est-ce qui caractérise votre démarche ?
Lydia Bourguignon : Nous sommes agrologues, nous faisons de l’agrologie – pas de l’agronomie. L’agros logos, c’est la connaissance du sol.
Claude Bourguignon : On pourrait dire aussi biologistes des sols. On n’impose pas notre loi au champ, on regarde surtout l’aspect biologique du sol, notre but est de montrer aux agriculteurs que, si l’activité biologique est bonne (encore faut-il qu’elle existe), ils peuvent réduire considérablement leurs apports.
L.B. : Notre approche consiste à leur faire comprendre qu’ils ont un capital qu’ils ne connaissent pas et qu’ils gèrent mal, ce qui accroît leur dépendance aux intrants et aux semences. Quand on connaît son capital, on le place mieux. Mieux connaître son sol peut aller jusqu’à un changement de culture.
À l’INRA de Dijon en 1990, les idées et les recherches ne correspondaient pas à ce qu’on voulait : il y a 20 ans, l’écologie, l’environnement, on n’en parlait pas beaucoup. Cela nous a amenés à quitter l’institut pour créer un laboratoire de consulting pour, ou plutôt au service des agriculteurs et des vignerons.
C.B. : Nous sommes le seul laboratoire d’analyse microbiologique des sols. Ailleurs, ce sont plutôt des analyses physico-chimiques qui sont faites, à la faveur des produits vendus aux agriculteurs.
L.B. : On a rendu les agriculteurs dans une ignorance qui nous a stupéfaits, on leur a enlevé tout esprit critique sur les produits et leur utilisation. Les multinationales les aliènent complètement, c’est un véritable carcan. Il n’y a aucune liberté de l’agriculture.
La profession resterait soumise à une certaine « culture agricole » ?
C.B. : Complètement, on peut même parler d’une propagande stalinienne ! Le dernier refuge du Stalinisme, c’est l’agriculture : on nous affirme que « sans engrais, ça ne poussera pas », que sans Monsanto et les OGM, on va tous mourir de faim. Alors que les OGM sont une catastrophe écologique, leur arrivée en Argentine a fait multiplier par quatre les doses de pesticides, les sols sont complètement morts... Et, pour l’instant, les OGM n’ont pas répondu aux attentes.
L.B. : La plupart des vignerons n’en veulent pas. On veut faire travailler des chercheurs sur les OGM de la vigne alors que la profession ne le demande pas. C’est de la fausse démocratie.
C.B. : Dans un organisme comme l’INRA, 400 millions sont consacrés à la manipulation génétique et seulement 200 000 € à l’agriculture biologique qui marche plutôt bien, permet à des gens de vivre, a une clientèle… On nous dit : vous êtes des criminels en préconisant l’agriculture biologique, vous allez faire mourir la moitié de la planète. Mais malgré la révolution verte qu’on a connu, il n’y a jamais eu autant d’hommes qui souffrent de la faim. On nous accuse de vouloir affamer la planète alors qu’elle l’est déjà !
L.B. : Il y a aussi la facture publique de la maladie, les cancers, le mauvais état sanitaire. Beaucoup réalisent que leurs grand-parents, malgré une alimentation moins diversifiée, se portaient mieux que nous. Dire que l’espérance de vie s’allonge, c’est un véritable mensonge médiatique, on n’a pas le droit de dire ça.
Pourquoi devenir vigneron dans le Lot ?
L.B. : En 93, Mr Belmont, maire de Goujounac, a fait appel à nous pour replanter de la vigne. Une étude lui préconisait de tout détruire, de défoncer les sols, à un coût important. D’une âme paysanne, il supportait mal d’entendre que son sol n’était pas bon avant même d’y avoir touché. Nos analyses lui ont notamment conseillé de faire du blanc, plutôt rare sur le Cahors. C’est actuellement le plus côté de ses vins.
Après cette expérience et être venus plusieurs fois dans la région, on s’est aperçu que cette zone de Cahors avait des terroirs fabuleux, mais complètement abandonnés. Cela nous a amenés à lire ce territoire.
C.B. : On a découvert le drame de l’effondrement de ce vignoble, qui a été le deuxième de France avant le phylloxéra. Selon les écrits, entre 60 000 et 80 000 hectares de vigne ont été réduits jusqu’à 200 ou 400 ha en 1950. Ce fut la plus importante catastrophe viticole française, ça nous a assez impressionnés.
Bien plus tard, à la création de l’AOC Cahors, dans les années 70, le vignoble en pleine mécanisation ne reprendra pas les grandes cultures d’autrefois sur les coteaux.
L.B. : Ils replanteront 25 000 ha mais beaucoup dans les premières terrasses de la vallée, autrefois utilisées pour le maraîchage. D’où certainement une qualité médiocre du vin, mais peu de cadurciens veulent l’entendre.
C.B. : Ils ont perdu ce savoir viticole, qu’on a décidé de retrouver. Il faut aller chercher des vieux pieds de Malbec, retisser un tissu oublié… C’est comme de l’archéologie.
C’est l’occasion de mettre en pratique les méthodes que vous préconisez…
L.B. : On travaillait déjà avec beaucoup de vignerons et on s’est dit qu’ici pourrait être la vitrine de tout ce qu’on fait au laboratoire. Nos clients n’appliquent pas toujours tous nos conseils, ils restent libres de leurs choix, là nous pourrons faire tout ce que les autres ne veulent pas faire. Ici, on ne défoncera pas le terrain, on mettra le porte-greffe qu’il faut, on mettra les blancs où il faut, on choisira la taille…
On a mis six ans à réunir les terrains, principalement des friches. On a simplement déssouché, on y a mis des céréales pendant deux ans, et l’on a appliqué la technique du bois raméal fragmenté (BRF) pour revaloriser des sols quasiment désertiques. Les rameaux des arbres enlevés, mais aussi des déchets de taille venus de la déchetterie de Catus, ont été épandus : 4 cm de BRF sur 7 ha, sans labourer. C’était plus qu’innovant, ici ils ont cru qu’on avait utilisé des OGM et des produits.