A force d’avoir la tête sous l’eau, Friture s’est mis en quête de bulles d’air culturelles. L’eau et la culture, deux sources indispensables de vie. Une bonne raison pour faire cause commune en apparence. D’ailleurs en associant les deux mots, nos cerveaux n’ont fait qu’un tour, des airs d’accordéon s’y sont incrustés et la question est apparue comme une évidence : mais où sont les guinguettes ?

par Nicolas Mathé sur www.frituremag.info
La culture au bord de l’eau... A Toulouse, il y a bien Rio Loco en bord de Garonne et ce n’est pas anodin mais à bien y réfléchir, il n’y en a pas tant que ça des notes de musique qui s’échappent des courbes sinueuses de la « rejetonne à Riquet ». Pourtant, l’ombre des futurs ex-platanes ne serait-elle pas un refuge à guinguettes idéal ? Cette question, nous ne sommes pas les seuls à nous l’être posé. Richard Tissinier en a presque fait un sacerdoce. Pendant près de 10 ans, il a cherché à Toulouse et aux alentours le moindre coin de berges, Garonne et Ariège comprises, en vue d’implanter une guinguette. En vain. Musicien, ancien membre de la fanfare des beaux-arts et de groupes comme les Nékrevisses, il a créé l’association Renouveau des guinguettes en 1987. « J’ai cherché partout, j’ai demandé des autorisations à Véolia, on a fait faire un nombre incalculable d’études mais ça n’a jamais marché. Il y avait toujours un truc qui clochait, ou les maires n’étaient pas intéressés ». Faute de lieu fixe, l’association a organisé des soirées dans divers endroits, recréant le plus fidèlement possible l’esprit des guinguettes d’antan. « On appelait ça la Guinguette Aneuneu, les gens jouaient le jeu, s’habillaient, il y avait vraiment beaucoup de monde qui nous suivait ». Le dernier bal organisé par l’association eut lieu en 1999 mais Richard Tissinier parle encore de cette période avec des yeux brillants. « Chez mes parents, il y avait des livres et des vieilles photos, c’est comme ça que je suis tombé dans l’imaginaire des guinguettes : la musique, la danse, les moule-frites, les barques, la pêche… Et surtout le fait que parents, grands-parents et enfants soient réunis. Aujourd’hui, on ne fait plus rien en famille ». Sa passion l’a aussi poussé à s’intéresser à l’histoire : « dans les années 40, il y avait pas mal de guinguettes en bord de Garonne ou d’Ariège mais c’est vrai qu’il n’y a jamais rien eu le long du Canal du Midi ». Richard a trouvé des traces de guinguettes à Blagnac datant de 1901, à Venerque ou encore Pinsaguel. Rien à Toulouse même. « Pour moi le seul endroit dans la ville où on pourrait monter une guinguette, c’est vers l’écluse, proche du Pont Saint-Michel », estime Richard Tissinier.
Et il n’est pas le seul sur le coup. L’endroit est également convoité par Hervé Sansonetto, l’emblématique patron du Bikini à Ramonville. « C’est vrai que j’ai toujours rêvé de monter une guinguette et cet endroit serait magique pour ça, mais je crois que cela restera à l’état de rêve ». Son Bikini à lui a toujours été au bord de l’eau (d’abord en bord de Garonne, puis aujourd’hui du Canal) mais c’est surtout le côté populaire et convivial qu’Hervé met en avant : « je trouve qu’il manque un lieu ouvert à tout le monde, loin du luxe, des VIP et de toutes ces conneries où on se retrouve, on bouffe et on danse. Le Bikini d’avant était une ancienne guinguette, ça s’appelait le Moulin Rouge. D’ailleurs, je l’ai toujours considéré comme une guinguette moderne, on remplaçait juste le musette par du hardcore ».
Un mythe bien présent mais peu visible
Partir à la recherche des guinguettes est une expérience assez particulière. Une quête d’un passé idéalisé qui, de nos jours, confine presque à la chimère. Beaucoup en parlent mais personne ne les voit vraiment. « Je crois qu’il en reste une du côté de … », « il paraît qu’il y aurait un projet vers… », entend-on régulièrement en abordant le sujet. Il y a aussi des histoires incroyables comme celle de Gilbert Vivien et de sa maison bleue. Un troquet-guinguette situé en bord de Garonne, au niveau du pont de Blagnac monté de manière totalement informelle et tenu

depuis près de quarante ans par cet homme centenaire. La maison bleue a subi maintes foudres, celles de la Garonne ou de l’administration qui a fait détruire une partie de ses installations, mais elle vivote encore. Cet été une "Ephémère guinguette" s’est aussi montée du côté de Lacroix Falgarde, en bord d’Ariège aux portes de Toulouse. L’expérience, aboutie après de nombreuses démarches avec la mairie, a été concluante, et devrait être reconduite l’année prochaine.
Si les guinguettes sont aussi insaisissables que des anguilles, c’est également lié à leur aspect saisonnier et donc souvent éphémère. Beaucoup de tentatives ne durent que le temps d’un été. En 2011, l’association Blablabla a par exemple instauré un projet de guinguette expérimentale sur les rives du Canal à Villevigne, tout près de Villefranche de Lauragais. Sur le même lieu, l’association a cette année en tête l’ouverture d’un fablab bio. De quoi comprendre tout de même que la guinguette, dans l’esprit de beaucoup, est passé du statut de ringardise à celui d’expérience alternative et collective. Il faut dire aussi que le mot est souvent utilisé à tort et à travers. Ainsi, il suffit que l’on parle de l’ouverture d’un snack au port Saint-Sauveur à Toulouse et on qualifie le projet de guinguette. Sur ce sujet, l’association Culture Guinguette, créée il y a vingt ans pour sauvegarder le patrimoine de bord de l’eau partout en France, est très vigilante. « Ne s’appelle pas guinguette qui veut, précise Christine de Klerk, chef de projet au sein de l’association. Il y a des critères à respecter comme être au bord de l’eau, proposer une restauration, mais aussi une programmation de musique vivante ainsi que de bals ». Depuis sept ans, l’association a entamé un travail de recensement des guinguettes mais si Christine De Klerk assure qu’au niveau national, il y a un regain d’intérêt très marqué, elle admet ne pas avoir connaissance de guinguettes aux abords de Toulouse et avance des possibles raisons à cette absence : « déjà, il y a la contrainte des zones inondables mais il faut savoir qu’historiquement, les guinguettes se sont développées en dehors des villes. Les bords de Marne ont été prisés tout simplement pour éviter l’octroi, l’impôt alors en vigueur sur Paris. Et puis la guinguette, c’était la sortie familiale à la campagne ».
Effectivement, il faut s’éloigner de la métropole et de ses tentacules pour trouver enfin le graal. A Argens, dans l’Aude, cela fait sept ans que Nathalie Gourdou a installé son restaurant nommé…La Guinguette. « C’était un snack depuis 20 ans, quand on a repris, on a trouvé que lieu se prêtait à la guinguette, sous les arbres, en bord de Canal », explique-t-elle. Nathalie a donc voulu faire les choses bien en proposant des plats typiques comme les cuisses de grenouilles flambées au pastis et organisait jusqu’à présent au moins un concert par semaine. Mais tout n’est pas si simple : « on a un bail avec la mairie du village et on a été obligé de restreindre les concerts à deux par mois pour des raisons de nuisances sonores ». De même, la guinguette d’Argens, ouverte d’avril à septembre, doit, au moment de la fermeture, faire très attention à laisser place nette pour cause de patrimoine classé à l’Unesco.
Convivencia, le phare culturel du Canal
Bref, entre un passé uniquement tourné vers le transport de marchandises et un présent dans lequel les élus ont souvent peur d’écorner la carte postale, pas étonnant que les guinguettes se fassent rare le long du Canal du Midi. Pour autant, depuis plus de 15 ans, l’ouvrage n’est plus tout à fait un désert culturel. Avec ses péniches qui se frayent un chemin parmi les sites touristiques comme le Somail et sa fameuse librairie, le festival Convivencia s’évertue à redonner une fonction sociale et culturelle à un canal jusqu’alors tombé en désuétude. « Nous sommes le seul évènement d’envergure et itinérant à mettre en valeur ce patrimoine fluvial qu’est le canal » revendique Anne-Marie Casadei, chargée de communication de l’association Convivencia. Chaque année donc, les péniches du festival naviguent et jettent l’ancre pour concocter à chaque étape des fêtes populaires avec restauration, concerts d’artistes locaux et internationaux et même parfois des débats. « A part quelques incontournables, les étapes changent chaque année, précise Cécile Héraudeau qui s’occupe, elle, de la programmation et de la médiation culturelle. En fait, il y a vrai travail sur le long terme et un dialogue avec les collectivités qui nous accueillent. Il faut qu’il y ait une volonté d’adhérer à nos principes, ensuite, on compose avec les envies et les idées de chaque mairie. Notre devise c’est « faire avec » ». Gratuit, le festival dépend donc du soutien des collectivités traversées et s’il a pu arriver parfois quelques incompréhensions, le travail effectué sur le territoire porte ses fruits. « On est sur une bonne dynamique, le public s’élargit. Et dans certains villages, on sent qu’il y a une attente. Les populations sont contentes de nous retrouver. A la Redorthe, par exemple, il y a 800 habitants et nous avons 1000 spectateurs, les gens sont vraiment impliqués, le maire fait un discours quand on arrive. On est leur temps fort de l’été », avance Cécile Héraudeau. Considéré parfois comme la fête du village, Convivencia insiste tout de même sur la différence entre le fait de proposer un orchestre reprenant les plus grands succès de Goldman et la volonté de faire découvrir des artistes et des esthétiques estampillées musique du monde. Et si c’était ça le nouvel esprit guinguette, une fête populaire, familiale ainsi qu’une invitation au voyage ? « Mais on recrée vraiment une guinguette à chaque étape, s’enthousiasme Anne-Marie Casadei. Et on soigne les détails avec des guirlandes, etc…Les gens se restaurent, boivent un coup, surtout ils viennent se rencontrer et se parler ». Les bords de Garonne ou du Canal s’impatientent de ré-entendre les flonflons.
- L’origine des guinguettes et la légende des bords de Marne
On trouve plusieurs origines au mot guinguette. Le verbe guinguer, c’est-à-dire sauter, renvoie d’abord à la guigue et donc à la danse. Mais ce serait aussi le résultat de la déformation du mot Guinguet du nom d’un clos produisant un vin « peu cher et faisant dire des bêtises ». Bref, la guinguette est devenue un lieu où l’on associe vin et danse, un endroit où l’on va se réjouir. Avant l’agrandissement de Paris en 1860, les premières guinguettes se trouvent en bord de Seine, juste au-delà des barrières de la ville, pour échapper à l’octroi, l’impôt sur les marchandises entrant dans Paris. Puis avec l’industrialisation et grâce au développement des lignes de chemin de fer vers l’Est parisien, les bords de Marne vont être de plus en plus prisés. « L’Ile de France était alors un énorme vignoble, ajoute Christine De Klerk, de l’association Culture Guinguette. Il y avait un chemin de halage en bord de Marne pour approvisionner Paris en vin. Les guinguettes installées-là étaient en quelques sorte directement à la source et proposaient du vin moins cher ». Les Parisiens vont alors venir en masse découvrir les joies de la campagne dans les nombreux établissements de Nogent-sur-Marne, Joinville-le-Pont ou encore Saint-Maur.
- Pour aller plus loin : www.culture-guinguette.com
