
L’annonce de la fermeture de six classes et la perte de près de 180 élèves, soit un quart des effectifs du lycée professionnel (LP) Jolimont de Toulouse, inquiète et révolte les enseignants. Chacun s’interroge sur les réelles motivations, alors même que le LP amène les élèves à la réussite et participe à la cohésion sociale de la Cité.
par Christophe Abramovsky sur www.frituremag.info
Lundi matin, la grande majorité des personnels présents a voté une journée de grève pour préparer la lutte. Le jeudi précédent, les enseignants des sections tertiaires du lycée professionnel apprenaient stupéfaits, par le proviseur Gérard Monpays, la suppression des formations secrétariat et commerce.
« On perd 180 élèves sur trois ans, soit un quart des effectifs du lycée professionnel. Cela correspond à 18 postes d’enseignants au bas mot ! » s’indigne une enseignante de Lettres-Histoire. Dans la salle des profs, ce lundi matin, l’ambiance est électrique. Certains enseignants qui n’ont pas cours sont là pour s’informer, pour comprendre, pour se mettre en mouvement. « C’est un véritable séisme, la direction n’a pas tenu au courant les équipes pédagogiques » déclare une prof de français. « Je vais redevenir TZR (Titulaire en Zone de Remplacement) après 20 ans d’ancienneté. C’est un véritable retour en arrière » se révolte une enseignante de secrétariat qui voit subitement son poste disparaître.
Interpellé, le Proviseur affirme avoir eu l’information la veille et comprendre le mécontentement des « collègues ». Il avoue même n’avoir pas son mot à dire et être un simple agent exécutif de l’Etat. À l’instar des militaires, il ne fait, dit-il « qu’obéir aux ordres de sa hiérarchie, en appliquant les décisions prises plus haut… »
Un lycée professionnel qui réussit
Pourtant, défendre le lycée professionnel apparaît comme une évidence ! Jacques Lutran, enseignant d’espagnol, rappelle la fonction sociale de Jolimont et le rôle déterminant du lycée pour nombre d’élèves en difficulté. Il rappelle que le prix de l’éloquence, si apprécié par le Recteur d’Académie, a été remporté l’année dernière par la jeune Anissa, élève de bac pro commerce. Tout un symbole pour cette jeune fille issue d’une famille modeste. Le professeur d’espagnol ne peut comprendre que l’on efface aussi rapidement le travail des équipes pédagogiques qui ont mis en œuvre autant de projets d’ouverture sur l’international, notamment avec les sections européennes. « Les élèves de commerce fournissent un vivier important pour ces projets. On a aussi monté un partenariat avec l’ARCALT (festival du film d’Amérique Latine toulousain) et nos élèves de secrétariat et de commerce font partie du jury. Pourquoi briser une dynamique qui amène les jeunes à la réussite ? Nous avons un des meilleurs taux de réussite au bac pro de l’Académie ».
« Mettre en danger la cohésion sociale »
Et si le lycée professionnel se place si bien dans la réussite à l’examen, c’est aussi parce qu’il mise depuis des années sur la mixité sociale. Le risque, d’après Hervé Cadéac, enseignant de Lettres-Histoire « c’est de mettre en danger la cohésion sociale sur un territoire ». En effet, le métro arrive à proximité du lycée, ce qui permet à des élèves des quartiers Reynerie, Mirail, ou Empalot d’accéder à un établissement perçu positivement autant par les familles que par les professionnels, futurs employeurs de ces jeunes. Ici, la mixité sociale n’est pas un vain mot. Elle est mise à l’épreuve chaque jour et permet encore que l’ascenseur social fonctionne.
La suppression des sections tertiaires, plus féminines, déséquilibre également la mixité de genre. L’attractivité du lycée tient aussi au fait qu’il y a autant de jeunes filles que de garçons. Cette mixité est un plus indéniable pour la réussite scolaire, autant que pour l’apprentissage du vivre ensemble. L’ouverture au sein du lycée technologique et général de classes plus féminines ne jouera pas dans la mixité du lycée professionnel. Car, il y a bien deux univers qui ne se côtoient pas ou très peu ; le lycée technologique et général et le lycée professionnel. Chacun fonctionne comme une entité à part. Le label « cité scolaire » n’est en fait qu’une bannière brandie pour fabriquer de l’image… La réalité est toute autre.

Les équipes pédagogiques prises de cours au départ s’organisent et tentent de démêler des informations souvent opaques provenant de diverses sources. L’omerta est en train d’éclater, les logiques apparaissent et le problème local du lycée Jolimont dessine une stratégie bien plus globale.
On comprend alors que la démocratie tant vantée dans les cours d’éducation civique ne s’applique en aucune manière pour l’Education Nationale. Le rectorat, en lien avec la Région, transforme la carte des formations sur Midi-Pyrénées. La politique des pôles de compétences entre progressivement en application sur le territoire. Jolimont deviendrait dans ce grand dessein le pôle santé, social et biotechnologie. Comment ne pas faire le lien avec l’Oncopôle, les laboratoires Fabre ? Comment ne pas s’interroger sur la logique qui fait de l’élève de la future main d’œuvre employable et non plus un futur citoyen critique et ouvert sur le monde ? Comment ne pas lier cette logique-là avec le programme ECLAIR, pour l’instant en « expérimentation » dans les collèges et écoles du réseau d’éducation prioritaire, et qui donne les pleins pouvoir au proviseur pour embaucher et débaucher le personnel, qui en fait finalement un véritable patron d’industrie ? Les questions fusent et la gronde gagne les enseignants.
La fermeture de ces six classes préfigure l’école de demain et marque l’idéologie qui préside désormais ; celle d’une éducation pragmatique et managériale au service de l’économie.
Les enseignants et les personnels du LP Jolimont ne comptent pas en rester là. La lutte se poursuit ; mercredi 7 décembre à 14h30 une délégation va se rendre au rectorat. Vendredi 9, une journée de grève a été programmée et un rassemblement dès 8h30 est prévu devant le rectorat afin de faire pression lors du Comité Technique Académique qui devrait entériner la décision de fermeture… ou pas ?