
C’est en 1989 que les Instituts d’Etudes Politiques décident de prendre leur autonomie de l’Etat. L’IEP devient dans les années 2000 une formation à part entière. Ce virage radical dans les ambitions de l’IEP, c’est l’autonomie, à la fois dans la pédagogie et dans le budget. Mais ce tournant amorce aussi le début des difficultés. Jusqu’à aujourd’hui avec une fac en sursis., exemple à Toulouse
par Grégoire Souchay sur www.frituremag.info
Pour mettre en place de telles nouveautés, il aurait fallu des moyens. Sauf que comme le rappelle Philippe Raimbault, le directeur de l’IEP, « la mise en place de 4e et 5e années se sont faites à budget constant ». Et même si une partie a été rattrapée dans les dotations suivantes, le constat demeure : l’IEP manque de moyens. Il faut pourtant coûte que coûte créer les masters, alors l’IEP embauche, sur ses fonds propres, et signe contrats sur contrats. Alain Roussel, du service reprographie a toujours en mémoire cette époque où « on avait plus de 50% du personnels sous contrat ». Mais le directeur d’établissement rappelle « qu’un service de l’insertion professionnelle, un webmaster, c’est presque indispensable aujourd’hui. Par principe, on demande des postes chaque année » mais jamais de quoi rattraper le retard accumulé. Pas de doute, la RGPP est passée par là. Dans un élan d’audace, en 2009 le conseil d’administration décide alors de prolonger les contrats de 10 mois à 12 mois, pour réduire la précarité. Ce qui n’empêche pas la pression sur le personnel de s’accentuer.
Officiellement off
Un détail à souligner. Alors qu’au final les « révélations » sur la situation actuelle de l’IEP ne sont pas fracassantes au point de faire tomber une direction, nous avons eu énormément de mal pour trouver des témoignages, et encore plus à visage découvert. Et quand nous sommes allés trouver des anciens ou présents employés ayant été victimes de souffrance au travail ou poussés à la porte assez peu délicatement, tous avaient peur de s’exprimer. Comme si un « devoir de réserve » les empêchait de s’exprimer sur leurs expériences. Pour toutes ces raisons, et pour éviter de leur faire encore plus de tort, nous ne donnons ici l’identité d’aucun d’entre eux et avons croisé les témoignages pour éviter toute reconnaissance possible.
Contre vent et incendie
A l’été 2011, un couperet : avis défavorable d’exploitation. En cause, un morceau de plafond qui s’est effondré, et une architecture globale plutôt en mauvais état. Pourtant, des travaux de mise aux normes avaient été faits : électricité, amiante aussi, c’était semble-t-il réglé. Mais c’est Toulouse 1 qui est propriétaire des locaux et l’IEP n’a pas les moyens d’intervenir quand cette fois ce sont les plafonds, les planchers eux-mêmes qui ne conviennent plus aux normes actuelles. Le bâtiment semblerait-il brûlerait en 30 minutes au lieu de 90. Conséquence : la présence obligatoire d’agents de sécurité incendie, postés en permanence à l’IEP, « au cas où ». Mais même sans feu, les bétons, les structures de base du bâtiment ne seraient plus aux normes. Et pour cause, un bâtiment conçu à l’origine pour accueillir 700 étudiants ne peut accueillir le double d’effectif. Et si dès les années 2000, le déménagement était prévu, en aucun cas l’on ne se doutait d’un tel état de vétusté comme l’exprime le directeur : « tous les avis d’exploitation depuis plus de vingt ans étaient favorables ».

Fac sans domicile fixe
Alors, pour rester ouvert, l’IEP a dû embaucher des agents de sécurité incendie, via une entreprise privée, Pégase, pour un coût de 25 000 euros par mois. Le directeur l’admet : « Ce n’est absolument pas tenable financièrement à moyen terme ». D’où la nécessité de trouver des locaux très rapidement. Fin décembre, l’Etat apporte son aide avec une avance de trésorerie de 6 millions d’euros à Toulouse 1 pour acheter des anciens bâtiments EDF, juste à côté de la Manufacture des tabacs. Une solution partielle, permettant de délocaliser une partie des cours. Mais en l’absence d’amphithéâtre, impossible de quitter le bâtiment original. En pendant ce temps, le déménagement, prévu en 2015 prend du retard. L’IEP doit en effet prendre la place de la Toulouse School of Economics à la Manufacture des tabacs, et celle-ci déménagera dans un nouveau bâtiment … à l’endroit même où se déroulent des fouilles archéologiques, un vrai casse-tête.

IDEX : loin des yeux, loin du projet
A ce contexte tendu vient se greffer un nouveau problème : les fameux IDEX et la fusion des universités. En tant que membre associé du PRES, l’IEP n’a pas vraiment voix au chapitre. « L’IDEX a été fait dans le plus grand secret » déclare Philippe Raimbault et dans le projet présenté le 8 décembre, la fac est étonnamment absente. La raison ? « on ne sait pas si on nous rattache au collège droit/économie ou à celui des ingénieurs. » De fait, l’originalité de l’IEP fait tache. Pas de quoi inquiéter le directeur néanmoins, prêt à des concessions : « nous ne jouerons pas les Asterix solitaires » plaisante-t-il. Somme toute, il n’a pas grand chose à craindre. Pluridisciplinarité, investissement sur la recherche, ouverture à l’international, préparation aux concours de l’ENA, diplômes au dessus de la moyenne et frais d’inscription qui vont avec ... Quelque part l’IEP aussi a saisi le « vent de l’histoire ». Il ne faudrait juste pas que ce tourbillon emporte avec lui les fondations matérielles du si prestigieux Institut d’Etudes Politiques de Toulouse.
Tout va très bien, madame la directrice
« Un personnel très investi dans le fonctionnement de l’IEP » Sous-entendu heureux de le faire. A voir : Arrêts de travail, dépressions, départs plus ou moins volontaires, la santé professionnelle n’est pas au beau fixe . Difficile ici d’obtenir des données chiffrées car « le bilan social n’a pas été fait depuis 2006 » soulève Patrick Piera, représentant des personnels, récemment réélu. « c’est en cours et devrait être finalisé au printemps » affirme la direction. Mais les cas difficile sont légions : « du jour au lendemain, on m’a dit de quitter l’établissement ». « J’ai démissionné, on était tous épuisés », « on nous demandait de faire les choses sans nous dire comment ». Un chiffre peut être pour mesurer l’ampleur des difficultés : sur quatre années, près de 80 personnes différentes se sont succédées sur une quarantaine d’emplois contractuels. « Il y a eu un nombre non négligeable de titularisation » affirme le directeur. « Certains sont partis simplement parce qu’il n’y avait pas de possibilité d’avancer dans sa carrière ici ». Une chose est sûre, de 2007 à 2009, une dizaine de postes ont disparu et les rythmes se sont intensifiés, ce qui n’arrange pas la situation.
Et pour les étudiants, c’est le « bordel »
Les "iepiens" ont beau être râleurs, les motifs de mécontentement ne manquent pas. A commencer par les frais d’inscription, près de mille euros, sécurité sociale comprise, augmentés en 2007, et occasionnant pétitions, assemblées générales et occupation des locaux pendant plus d’une semaine. L’origine d’une certaine animosité entre étudiants et administration. Les cours maintenant, avec une refonte de la maquette pédagogique et quelques incohérences dans les contenus, avec des cours plus que semblables sur plusieurs années, et une désaffection pour les amphithéâtres. On passera sur les habituels problèmes de salles déjà occupées, de cours annulés au dernier moment, la majeure partie venant des désorganisations internes de l’administration. Dernier conflit en date, le nouveau régime d’assiduité, voté à la hâte dans l’été, prévoyant des retraits de points systématiques pour chaque absence injustifiée. « Pour l’administration, travailler à côté de ses études n’est par exemple pas une justification valable » explique Robin Devret, de la Fédération Syndicale Etudiante. La direction elle, comme toujours, rassure : « un statut de l’étudiant salarié est en cours de discussion ». Et sur l’ensemble : « ce qu’un employeur attend d’un étudiant d’un IEP, c’est cette capacité à parler de tout, à travailler en équipe et à s’adapter au contexte ». Nul doute que les "iepiens" sont passés maitres en la matière.