Après Claude Sicre et les Fabulous Troubadours, le désert ? Pas faux si l’on écoute la radio et les grands média traditionnels, mais loin d’être vrai quand on creuse un tant soit peu. A Toulouse et dans les environs, la culture occitane se porte bien, merci pour elle. Les projets sont nombreux et une nouvelle génération, à l’aise avec la tradition, est en train de la moderniser le plus naturellement du monde. Pour eux, pas besoin de long discours sur le renouveau occitan, ils le pratiquent au quotidien.
par Nicolas Mathé sur www.frituremag.info
Jusqu’à l’année dernière, le dimanche soir en passant à la Dynamo, on pouvait assister (et même participer) à des scènes étonnantes. Dans cette salle de concert plutôt branchée du centre-ville toulousain, on voyait des gens de tous âges, enfants, personnes âgées, danser en ronde comme lors d’un bal de plein air à la campagne. « L’idée était de faire un vrai bal populaire autant fréquenté par des vieux punks, des tradeux de l’Ariège ou des mecs branchés que des familles. Avec aussi l’envie de mettre en avant la nouvelle scène occitane, faire débarquer en centre-ville une musique répertoriée campagne. J’ai voulu décloisonner tout ça », explique Jérémie Courault, alias Djé Balèti, musicien d’origine niçoise, initiateur du concept des bals de la Dynamo. Mise en sommeil faute de temps et d’énergie, l’expérience n’aura duré que deux ans mais elle aura été riche en enseignements. Alors qu’on ne voyait rien venir depuis la percée des Fabulous Troubadours et de Massilia Sound System, elle aura montré que la culture occitane est plus que jamais vivante. Mieux, il suffit de pousser les portes de deux lieux emblématiques de l’occitanisme à Toulouse pour se rendre compte que les projets fourmillent. Aucun n’a encore attiré les projecteurs comme ont pu le faire leurs illustres prédécesseurs mais une génération de trentenaires à l’érudition occitane impressionnante est assurément en train de reprendre le flambeau.
Dans les locaux de Radio Occitanie, on retrouve ainsi deux des trois membres de Ministéri del Riddim, groupe issu du T’inquiètes Sound System, collectif à géométrie variable dans lequel ont évolué Lou Davi ou Djé Balèti. Guillaume Gratiolet, alias Master G, le DJ, anime la matinale de Radio Occitanie. Mourad, chanteur originaire de Rodez, a rejoint le groupe en 2011. « Je ne parle pas l’Occitan mais je suis ancré dedans depuis mon enfance. En fait, ce sont les Occitans qui sont venus me chercher », rigole-t-il. Hocine, le troisième larron, vient de Mazamet, dans le Tarn. Ensemble, il mélangent les langues (occitan, arabe, berbère, français, anglais) et les styles. « Hocine est spécialisé dans le hip-hop, par exemple, mais on ne sample pas n’importe quoi. On cherche des trucs du coin et la montagne noire, d’où il est originaire, est truffée de poètes occitans, on va naturellement vers ça, on réadapte des textes de troubadours en hip-hop ou en reggae », explique Guillaume.
Le collectif Dètz, lui, tient ses quartiers dans un bureau de l’Ostal d’Occitània. A l’initiative d’un groupe de jeunes diplômés passionnés d’audiovisuel, le projet a démarré en 2010 à l’Estivada de Rodez, afin de couvrir en vidéo le festival. Aujourd’hui, via le site www.detz.tv, le collectif à élargi son champ d’exploration et s’est transformé en un laboratoire d’expérimentation vidéo en Occitan. On y retrouve des chroniques culturelles, des interviews et de nombreux délires. « Le but est de combler le vide médiatique en ce qui concerne l’Occitan. Tout en décomplexant le rapport à la création audiovisuelle, on essaye d’avoir un regard nouveau et plein d’humour sur la culture occitane. On est vraiment dans l’expérimentation et dans l’audace », avance Caroline Dufau, l’une des deux salariées de l’association avec Valentin Belhomme. Ainsi, à l’image des Y’a Bon Awards, Dètz organise depuis deux ans les Cogordas Awards, récompensant les dérapages sur les langues et cultures minorisées. Le collectif s’est également trouvé un bien curieux sponsor avec la Banana del Segalar, un type de banane issue de cette région entre Tarn et Aveyron mais qui, poussant droit, nécessiterait une machine afin de la courber. « C’est typiquement ce qu’on aime faire, on a tourné des vidéos en jouant sur les codes et l’image du Patois avec des vieux en béret. Ça marche à fond », s’amuse Valentin Belhomme.
« On ne demande rien, on a tout »
Chacun à leur manière, Djé Balèti, Ministéri del Riddim ou les membres du collectif Dètz sont les nouveaux promoteurs de la culture occitane. Pourtant, chez eux, point de drapeaux ni de banderoles. C’est peut-être le point commun de cette nouvelle génération qui, sans être dans la revendication, simplement en s’exprimant en Occitan, a envie d’assumer pleinement sa double voire multiple identité. D’ailleurs, la plupart ne se considèrent pas comme des héritiers. « A la base, je n’ai rien à voir avec l’Occitan, assure Djé Balèti. Je m’y suis intéressé en arrivant à Paris après avoir grandi à Nice, comme une sorte de réaction à la réputation de merde que l’’on colle à cette ville. C’est venu aussi par la musique, je jouais du blues en anglais mais j’avais besoin de quelque chose de plus intime. J’ai alors découvert l’espina, un instrument traditionnel, ainsi que le Nissarte, le patois niçois, et j’ai compris ce que ça voulait dire d’ « être d’un endroit » ». Caroline Dufau, elle, a eu beau baigner dans cette culture, elle raconte la même histoire. Un exode au Québec à vingt ans. Beaucoup d’ardeur à expliquer qu’elle n’était pas de Paris et la prise de conscience de posséder une vraie culture. Un déclic qui l’a poussée a apprendre la langue . La langue, c’est à l’école des Calandrettes que Valentin l’a apprise. Il a même poussé jusqu’à la licence d’Occitan : « il y avait ce côté « je connais une culture qu’on apprend pas à l’école ». L’Occitan, c’est notre underground à nous mais ce n’est pas une fin en soi, c’est un moyen ».
Si les nouveaux troubadours travaillent au renouveau occitan, sur le terrain de leurs expérimentations, ils constatent tout du moins un regain d’intérêt. Un intérêt que Guillaume Gratiolet inscrit dans un mouvement plus global, et très occidental, de retour aux racines. « Quand tu recherches l’histoire de l’endroit ou tu es né, dans le coin tu tomberas forcément sur l’Occitan », résume-t-il. Effectivement, tous sont unanimes pour dire que les valeurs que l’on accole généralement à la culture occitane ne lui sont pas propres et se retrouvent dans de nombreuses cultures régionales. Joie, vivre-ensemble, ouverture...Le constat que dressent en contrechamp cette nouvelle génération d’occitanistes est celui d’un pays centralisé qui a construit son roman national en faisant la guerre aux différences, un pays obnubilé par la mono-culture, la mono-religion et qui a toujours autant de mal à intégrer et à admettre le pluralisme. Un climat qui transforme le simple lecteur des nombreux trésors que recèle la littérature occitane en un militant malgré lui. Pas étonnant, donc, de retrouver dans leurs discours des affinités avec la Jamaïque. « En parlant de son quartier, avec le patois de son quartier, Bob Marley est devenu universel, l’Occitan doit servir à échanger avec les autres », explique Valentin Belhomme. « Et quand on voit les réactions qu’il y a eu quand les annonces du métro sont passées en Occitan ou encore celle des vieux paysans qu’on a pratiquement forcé à abandonner leur langue, on se dit quand même que ça sera long », lance Caroline Dufau.
Mais le temps est généralement du côté de ceux qui l’abordent avec sérénité. Lors de la dernière grande manifestation occitane, la figure tutélaire Claude Sicre résumait bien la pensée de ses successeurs. Il brandissait une pancarte sur laquelle il avait inscrit : « on ne demande rien, on a tout ». Effectivement, cette génération qui redoute comme la peste l’enfermement ne rêve pas d’une Occitanie puissante et conquérante mais simplement que l’on arrête de s’étonner de les voir être ce qu’ils sont.

Collage Herbot