
Multi-instrumentiste, jazzman, créateur du festival d’Uzeste et scateur de renom, Bernard Lubat détonne dans le milieu du jazz pour son franc-parler, et sa critique acerbe de la société actuelle. Reconnu pour son talent, parfois critiqué pour ses coups de gueule intempestifs, Bernard Lubat est un musicien conscient, un jazzman engagé. Nous l’avons rencontré cet été dans son univers, à l’occasion du festival Musicalarue de Luxey, un village des Landes qu’il fréquente depuis son enfance. Entretien.
par Thomas Belet sur www.frituremag.info
Bernard Lubat bonjour, ou peut-être devrais-je dire Monsieur le commandeur requis de l’ordre de la grande gidouille dans le collège de pataphysique. Entre vos multiples casquettes, comment vous définiriez-vous ?
Et patati, et pataphysique. Vous savez, j’ai jamais su choisir entre le sérieux et le pas sérieux. Si je devais me définir ? En fait je ne me définirais surtout pas : pas d’étiquette, pas d’identité révélée, que du devenir, de l’inconnu, de la transformation du souci en souci de la transformation.
Pourtant, de l’identité vous devez en avoir quand on sait le rapport que vous entretenez avec votre ville d’Uzeste* ?
Au final, personne ne sait vraiment ce qu’est l’identité. On ne fait que nous rabâcher cette notion en y mettant un peu ce qu’on veut. De toute façon, l’identité n’est pas quelque chose d’arrêtée, de fixe. C’est un cliché à un instant T. Au final la planète est une communauté universelle, le reste n’est qu’une question de cultures.
Le métissage est-il justement quelque chose qui vous guide dans votre cheminement musical ?
Ce qui m’attire dans la musique est celle que je n’arrive pas à jouer. Je suis toujours dans cette recherche du plus loin. La notion de désir ne me quitte jamais. On n’a qu’une vie, et il faut faire le trajet à fond. Il faut mourir « envie ». C’est ce que j’ai découvert en m’intéressant justement à cette question de l’histoire de l’art musical. J’y ai compris le lien qui existait entre chaque évolution musicale, par le biais de l’expérimentation. La musique a commencé dans les cavernes, et c’est encore aujourd’hui loin d’être fini ! L’histoire de la musique reflète l’histoire de l’humanité. C’est dommage que Mozart ou Beethoven ne soient pas ici... Eux ce sont de vrais punks ! Et Jean-Sébastien Bach, c’est un destroy de première catégorie. C’est une des choses qu’on essaie de montrer aux jeunes à Uzeste, en essayant de les faire rencontrer leur propre histoire et non pas celle de l’industrie et du commerce. On essaie d’être jazz-concubin et non pas jazz-consanguin.

Vous semblez entretenir un rapport assez fort avec Luxey et le festival Musicalarue ?
J’ai passé une partie de ma jeunesse ici, on s’occupait de la fête communale avec François Garin (N.D .L.R. aujourd’hui encore président de l’association Musicalarue). Petit à petit on a fait que cette fête se transforme en festival, car on a tous dû partir à un moment donné pour vivre, pour survivre. Dans les années 50, il y avait 10 cafés dans ce village, un dancing, des usines... Ce n’était pas le désert comme maintenant. Ici c’est un lieu assez troublant d’un point de vue de la diversité, et ce n’est pas par hasard que j’y participe tous les ans, car je suis un de ceux qui à partir d’Uzeste ont fait que ce festival Musicalarue existe ici à Luxey. On a fait partie des premiers soubassements d’avant Musicalarue. C’est pour cela que ce festival Musicalarue m’interpelle.
Vous pensez que la musique est un moyen de recréer justement du lien dans des endroits isolés ?

Oui enfin c’est difficile de recréer du lien quand il n’y a plus personne ! Je reviens justement de Notre-Dame des Landes, où je me suis rendu pour leur festival d’été, et là d’un seul coup on a retrouvé ce qui faisait l’essence même des festivals, la contestation. Les festivals, comme celui de Woodstock pour prendre le plus connu, sont nés de la contestation du monde établi, de la société en place. Ce n’est pas moi qui le dit, je l’ai lu pas plus tard qu’il y a huit jours dans Libération, où une double-page parlait justement de la transformation de ces festivals qui sont nés de la contestation, de l’esprit critique, et qui sont aujourd’hui des entreprises de divertissement, de loisirs. Nous à Uzeste, on continue à contester, on ne veut pas devenir une entreprise de loisirs. L’esprit critique, et n’importe quel philosophe le dirait, c’est à cultiver, c’est la constitution de n’importe quel individu. Sans ça, on est dans la soumission volontaire. Alors qu’est-ce qu’on fait ? On accepte d’être soumis, ou on réfléchit à exister ?
Pour revenir à la musique, quel regard portez-vous sur les musiques actuelles ?
La musique actuelle, du moins celle qu’on entend partout, est pour moi représentative du libéralisme financier capitaliste, y compris et même surtout le rock’n’roll. Aujourd’hui le rock’n’roll, ce sont des faux rebelles et des vrais cocus. Ça vend des millions de disques, des tonnes de matériel et de sonos géantes, ça vend des lumières, ça vend de la frime et de l’intox. L’histoire de la musique ça n’est pas ça. Pour l’instant, c’est le capitalisme qui a gagné, et toutes les musiques qu’on entend partout aujourd’hui sont représentatives de cette société qui vend des produits et de la marchandise. C’est pas la liberté, ni la sensibilité ou l’intelligence, il ne s’agit que d’acheter. N’existez plus, mais achetez. Alors pour le lien, tu repasseras. Donc moi, je cherche ce qui nous libère, et pour se libérer il faut se confronter. Ce n’est pas le consensus qui nous libère, mais le « dissensus ». Si on n’accepte pas le dissensus, on ira vers la guerre civile. L’artistique a toujours été de la contestation. L’art a été inventé pour créer ce qui n’existait pas. Il faut inventer et non pas reproduire des clones comme on voit partout. Imiter limite.
Vous parlez d’art et des arts, le festival d’Uzeste tire une de ses particularités de son côté pluridisciplinaire, est-ce une force à vos yeux ?
Je ne sais pas si c’est une force mais c’est une nécessité ! Le divers est nécessaire. A Uzeste, on a compris qu’il ne fallait pas que de la musique pour essayer de comprendre cette complexité. La musique n’est pas que de la musique, sinon c’est du domaine du loisir, pour nous endormir. Ce qui m’intéresse dans l’art, est ce qui me réveille et me pose question. A Uzeste, nous posons la question de la littérature, de la musique, du texte, de la philosophie, de la politique, du syndicalisme, tout ce qui au final est constitutif de notre société. On n’est pas un camp pour reposer les gens, pour qu’ils croient au Père-Noël pendant trois-quatre jours en pensant que tout va bien, qu’il se bourrent la gueule en se disant « Youpi, chouette ». C’est ça le lien ? Pas pour moi en tous cas. Je pense que le lien est davantage dans la pensée, quand il développe de la conscience. Alors là oui, c’est du lien et de l’échange. Un échange qui ne change pas n’est pas un échange.
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