Par Pierre Samson sur www.frituremag.info
On pensait le cow-boy, genre qui fit les beaux dimanches soir de l’ORTF, disparu depuis longtemps ; mais il faut croire qu’il a la vie dure. Si le garçon vacher ne fait plus rêver, le troupeau qu’il mène pâturer reprend du poil de la bête ou, plus exactement du poil du pinceau. Peinturlurés comme des Pawnee, cinquante-deux moulages de Cows font parade à Toulouse. La baptiser « parade des vaches » aurait sans doute trop appuyé l’aspect bouseux de la bête. Le paysan et son bétail sont supportables tant qu’ils font le bonheur du pré ou les santons dans la ferme aseptisée du salon de la porte de Versailles. La disparition programmée des éleveurs français, leur désespoir et son lot de suicides - quatre cents paysans rien qu’en 2011- sont moins fun. Ils ne sont pas conviés à la fête.
L’avatar de la Cow-Parade ne craint ni la spéculation sur le prix du tourteau de soja, ni le lobbying des céréaliers pour lui faucher l’aide européenne sous les pattes. La fibre de verre dont elle est faite est insensible à la sècheresse. Surtout celle du cœur : cette vaste opération n’est elle pas destinée à nourrir de méritantes associations après mise aux enchères ? Un gagnant-gagnant où mécènes et commanditaires - de grandes surfaces pourquoi pas ?- peuvent enfin offrir la barquette d’art surgelé à leurs clients, sans publicité mensongère. Quitte à se rembourser sur la vraie bête en tirant un peu plus les marges qu’ils lui octroient.
COW PARADE II
La vache, donc ! Un capital de sympathie équivalent au nounours, avec ses grands yeux de végétarienne myope et son inépuisable mamelle de rêves enfantins. Concocté pour la circonstance par nos couturiers de l’art de ne pas faire de vagues, le cocktail qui se veut populaire se révèle branchouille.
Première question : l’art devient -il méprisable quand ce sont les marchands plutôt que les princes ou les prélats qui passent ordre ? Les premiers qui gonflent en notoriété useraient davantage l’art que les seconds qui se payent en prestige ! Si l’on se penche sur l’histoire, il faut admettre que le relais s’est fait sans dommage, hormis une tendance certaine à l’embonpoint des marchands et une savante confusion entre appellations d’origine artistique et markétisme créatif.
Deuxième question : de quel côté la Cow Parade penche-t-elle ? Depuis Duchamp, l’objet manufacturé a sa place dans le domaine de l’art. On a même failli voir un semi remorque exposé comme tel. Nos vaches clonées rentrent donc parfaitement dans ce panorama. Paradoxalement ce qui pose problème c’est l’appel aux « artistes ». La manière picturale disparate et individualisée qui s’offre ici, loin d’apporter un supplément de sens, ôte à l’ensemble tout pouvoir imaginaire. Customisées, les vaches se sont muées en objets de décoration sur papier glacé que l’on feuillette d’un regard étale passant de l’un avec une petite préférence pour l’autre : « ah je verrais bien celle-ci dans mon salon ». L’art était invité, mais il s’est excusé, c’est Marie-Claire déco qui le remplace.
COW PARADE III
Il y a plus de cinquante ans l’école de la République d’antan initiait aux arts plastiques les enfants de paysans que nous étions. Une fois l’an, la République n’était pas encore assez riche pour s’offrir la Dette, l’institutrice commandait un lot de petits pots de terre. Un par élève et tous identiques avec leurs anses et leurs becs versoir. Elle ne nous a jamais parlé de « Ready made » bien que ce siècle ait déjà pris de la bouteille. Le pot était ensuite livré à nos talents artistiques et aux couleurs primaires de la gouache parcimonieusement distribuée. L’ensemble voué à être dispersé dans les familles restait au séchage quelques jours. Malgré la maladresse enfantine et la pauvreté du matériau, ce simple étalage de couleurs juxtaposées à demi bues par la terre cuite, donnait plus à voir sur l’art que ne le feront jamais les Cows-parades. Il ouvrait un monde et nos regards.