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Billet de blog 15 avril 2013

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Régimes: ce si GROS problème

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"La danseusse", tableau de Botero

Maigrir, à tout prix. Et pour cinq kilos perdus, le yo-yo infernal des kilos retrouvés, parfois de nouveaux ajoutés. Et si c’était les régimes, le problème ? Loin d’être miraculeuses, des alternatives existent. C’est ce que fait le GROS, groupe de médecins qui, depuis dix ans, luttent contre toutes les formes de régimes et pour faire la paix avec notre alimentation.

par Grégoire Souchay sur www.frituremag.info

« Tout est parti d’un même constat : les régimes n’étaient pas une bonne solution ». En 1998 le docteur Gérard Apfeldorfer, psychiatre, et le docteur Jean-Philippe Zermati, nutritionniste, cherchent d’autres manières de travailler sur le surpoids et l’obésité. Ils fondent alors le Groupement de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (GROS). « De nombreuses connaissances scientifiques étaient inutilisées, notamment sur les théories de la régulation » : en effet, notre corps serait capable de lui-même de s’autoréguler, et de nous maintenir à un poids d’équilibre propre à chacun. Les troubles du comportement alimentaire (TCA), grignotage, consommation frénétique, régimes … nous feraient grossir et modifieraient cet équilibre. « Tous les régimes, quels qu’ils soient, ne sont pas différents des autres TCA car ils nous poussent à nous contraindre, en attendant le "craquage" inévitable tôt ou tard. Toute leur efficacité n’est concentrée que sur le court terme », souligne le Dr Apfeldorfer. Mais attention, la démarche du GROS est longue et limitée et ils l’admettent volontiers : « Nous savons seulement ramener les personnes à leur poids d’équilibre, mais pas le faire diminuer ». Seulement ?

« Penser à quoi manger nous empêche de sentir ce que l’on mange. »

Avant tout, apaiser son rapport avec la nourriture. « D’abord la personne décrit son comportement et ce qu’elle ressent quand elle mange , détaille le Dr Zermati. Ensuite, nous l’aidons à redécouvrir ses sensations alimentaires et dépasser tous ses interdits mentaux. Enfin, nous travaillons à exprimer nos émotions ailleurs que dans la nourriture, sur l’acceptation de soi-même et de son corps ». Dans de nombreux cas, le nœud du problème, c’est la restriction cognitive : choisir ce qu’on mange en fonction de ce qui, selon nous, nous fait ou non grossir. Car une fois entrés dans cette logique disparaissent les sensations alimentaires. Bienvenue au royaume des aliments interdits, du manque et de la peur du manque. « Penser à quoi manger empêche de sentir les saveurs et de profiter de ce que l’on mange. Mais du coup, on ne sait plus quand on faim et plus faim », explique-t-il. D’où nombre de "problèmes" de poids, ou considérés comme tels. La France dispose heureusement d’un atout majeur : « Nous somme l’un des pays au monde où l’on prend le plus de temps pour manger ! » s’exclame le Dr Claude Arnaud, psychiatre à Perpignan. Pour lui, « la convivialité, le plaisir, c’est essentiel. Bien souvent, les mangeurs "dérégulés" n’ont plus de plaisir à l’idée même de manger ».

Constat partagé par Cécile Doherty-Bigara, toulousaine et animatrice du Le Palais Savant, un site web spécialisé sur la nourriture. « Quand on s’y intéresse, une bonne alimentation permet de résoudre de nombreux problèmes de santé, psychologiques voire spirituels. ». Selon elle, il faut tout simplement séparer alimentation et poids. Elle explique : « Grossir, c’est souvent la seule manière que notre corps a trouvé pour nous protéger face aux épreuves de la vie ». Nombre de personnes lient ainsi étroitement la nourriture à leurs émotions. « C’est l’exemple de la jeune fille qui noie son chagrin d’amour avec un énorme pot de crème glacée », résume-t-elle. Le Dr Arnaud acquiesce : « Nos émotions sont avec les régimes une des causes principales de prise de poids. » Et doivent donc aussi être prises en compte pour s’en sortir.

Qui pour aider les gros ?

Voilà donc un message qui change radicalement le regard sur le surpoids, et c’est déjà énorme. Pourtant, ça ne passe pas, ou peu : Dans les médias d’abord, mais aussi au sein du corps médical comme le note le Dr Apfeldorfer : « Il faut une demi-heure pour former au régime Dukan. Les nôtres, elles, durent deux ans et ne concernent que cinquante personnes par an. » A peine un millier de médecins sur tout le pays formés à ces méthodes. Aveyron, Lot, Ariège, autant de départements où il n’en existe pas un seul. Surtout qu’en plus, il y a l’argent : « C’est bien plus rentable d’enchaîner les patients en leur donnant des menus préétablis plutôt que de prendre le temps de comprendre leur situation personnelle pendant une longue séance », remarque, un brin cynique, le Dr Zermati. D’où l’idée d’un service de coaching en ligne qui, sans remplacer une consultation de visu, permet de toucher beaucoup plus de monde. « Nous n’en avons pas honte. Pourquoi refuser d’utiliser un outil formidable en l’adaptant pour aider les gens ? » s’interroge-t-il.

« Ne plus se réduire à un chiffre sur une balance »

Alors que la question des kilos touche une très large population, cette aide est souvent très difficile à trouver. La structure nationale spécialisées dans les troubles du comportement alimentaires, l’AFDAS-TCA, a jusqu’à ce jour toujours refusé d’inclure l’obésité dans ses grilles. Idem avec Anorexie Boulimie Midi Pyrénées (ABMP), qui affirme clairement ne pas prendre en charge les « simples » gros. Le Dr Gilles Bibette, membre du Réseau Dabanta, à Bayonne, en donne la raison : « Pour traiter le surpoids, il faut abandonner ses croyances, réapprendre à goûter, c’est différent d’un anorexique ou un boulimique qui a des problèmes psychologiques plus profonds ». Il existe bien des Outremangeurs Anonymes, tout juste installés à Bordeaux et à Montpellier, mais là encore, il s’agit des cas les plus extrêmes.

Reste donc Internet, les forums féminins, les sites comme www.vivelesrondes.com, et bien sur celui du GROS avec son forum, des praticiens formés et éventuellement le linecoaching. De quoi déjà ouvrir un espace de parole, premier pas pour entamer un travail sur soi. « Attention toutefois » avertit Nicolas Sahuc, membre de « l’ACT », une association nîmoise proche du GROS. « Si l’on suit la "méthode Zermati" pour perdre du poids, on se trompe encore une fois de but ! La clef c’est d’abord d’arrêter de vouloir perdre du poids et de se recentrer sur l’humain, sur son corps, et en finir avec le chiffre sur la balance ou l’indice de masse corporelle. » C’est là toute la subtilité, mais le aussi plus ardu : en finir avec l’obsession des kilos. « Au fond, synthétise le Dr Apfeldorfer, il s’agit de réapprendre à aimer ce que nous mangeons ». Faire confiance à son corps et ses sensations plutôt qu’à toutes les idées que nous nous faisons dessus. « Tout ça ce n’est qu’une histoire d’amour entre notre corps et nous-mêmes ».

Un danger scientifiquement prouvé
Les régimes nocifs ? C’est désormais confirmé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, (ANSES). Pour la première fois les régimes amaigrissants sont en effet décrits comme une pratique à risque : « Les régimes amaigrissants, pratiqués sans recommandation ni suivi d’un spécialiste, très largement diffusés auprès du public dans le commerce et sur Internet, présentent des risques pour la santé plus ou moins graves. L’étude met en évidence des effets néfastes sur le fonctionnement du corps, et notamment pour les os, le cœur et les reins, ainsi que des perturbations psychologiques, notamment des troubles du comportement alimentaire. » En ajoutant : « la dictature de l’image du corps est un fait social, collectivement élaboré, et soumet en permanence la personne aux canons de l’esthétique et de la normalisation du corps. » A bon entendeur.

Grossophobie
Obèse, gros. Rien que les mots amènent tout un cortège de stéréotypes : laisser-aller, balourd, paresseux, goinfre, laid. « Bien souvent les personnes en surpoids intègrent elles-mêmes ce discours, rappelle le docteur Apfeldorfer. Grossir est une honte. Alors même qu’elles déploient toutes des trésors d’énergie et de courage pour tenir des règles absurdes dans le but de maigrir ! » Et les médecins non plus n’y échappent pas, qui n’a pas déjà entendu son généraliste dire : « Vous avez pris un peu de ventre ! Attention ! ». S’ajoutent en sus toutes les injonctions publiques à la minceur, de la mode aux stars, des magazines féminins à la publicité. On parle même de grossophobie pour décrire ces discriminations sociales dont sont victimes les personnes en surpoids. Et bien souvent, les effets sont cumulatifs, les personnes plus pauvres étant plus concernées que les riches, les femmes plus que les hommes. On comprend que les gros étouffent sous le poids des contraintes. Et restent coupés de leurs sensations alimentaires et de leur corps.

Pour en savoir plus :
www.gros.org : Site de l’association. Il contient de nombreuses informations sur le sujet, un forum très actif, des conseils pour ceux qui souhaiteraient suivre la démarche et un annuaire des médecins adhérents.
L’ACT : http://sudtca.wordpress.com/ : L’association organise des groupes de parole pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire à Nîmes et Montpellier.
http://www.lepalaissavant.fr/ : « Site d’information qui s’intéresse à toute l’alimentation, des goûts aux habitudes, des pratiques aux idées-reçues et qui vous aide à manger mieux ».
www.vivelesrondes.com : Un site très ouvert dédié aux personnes qui souffrent du poids.

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