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Billet de blog 15 juillet 2012

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Les saisonniers se récoltent à la pelle

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Depuis quelques années, le recours à des sociétés d’intérim étrangères pour les travaux agricoles ne cesse de se développer dans le sud de la France. Certaines pratiques sont opaques. Ils cueillent chez nous, mais que récoltent-ils chez eux ?

par Thomas Belet sur www.frituremag.info

Marsillargues, Hérault, près de 30° au thermomètre à 11 heures du matin. L’activité bat son plein pour les récoltants de melons en cette première quinzaine de juillet. Une vingtaine de véhicules est garée sur le parking du personnel de l’entreprise Soldive. On y dénombre une dizaine de voitures immatriculées en Bulgarie, en Espagne, au Portugal, et moins d’une dizaine en France. Une minorité donc.

La pratique n’est pas isolée et ne cesse de s’amplifier : depuis quelques années, les entreprises maraîchères du sud de la France font régulièrement appel à la main d’oeuvre étrangère, souvent par le biais de sociétés d’intérims basées en Espagne, en Pologne ou en Roumanie. Ils seraient entre 2 000 et 3 000 à travailler pour le compte de la seule entreprise espagnole Terra Fecundis dans le sud de la France, entre Perpignan et la vallée du Rhône. Les entreprises étrangères facturent directement le coût de leurs services aux entreprises françaises. Ces dernières avancent comme principal argument de ne pas arriver à trouver suffisamment de main d’œuvre dans la région. « Quand nous cherchons deux ou trois personnes, nous passons par Pôle Emploi mais c’est beaucoup plus difficile quand nous avons besoin de plus de monde », assure ce dirigeant de coopérative dans la région de Mauguio. Pour l’employeur, le coût horaire serait équivalent au salaire minimum légal fixé en France, d’environ 15 € de l’heure. C’est en tous cas ce qu’avancent les employeurs, sans aborder la question des charges patronales.

En Europe, une échelle de salaires de 1 à 10

« Sur les 600 personnes que nous embauchons l’été, environ 100 le sont via l’entreprise Terra Fecundis qui est basée à Murcia en Espagne. Il s’agit principalement d’Equatoriens et d’Espagnols. Cela ne nous revient pas moins cher car en plus nous les logeons tout au long de la semaine dans des mobil-home, mais c’est une sécurité pour nous. Ils sont là tous les jours, sont fiables et apprennent vite. On voit souvent que ce sont des gens qui viennent de la terre, qui connaissent le travail agricole », témoigne Bernard Metge, responsable du personnel de l’entreprise La Rosée, productrice de fraises et de melons à Mauguio. Sur son bureau, un classeur est plein de candidatures d’étudiants non retenues : « Nous avons beaucoup de demandes l’été car nous sommes à quelques kilomètres de Montpellier  ». Pourtant, une centaine d’intérimaires étrangers peuple les rangs des travailleurs agricoles. Voilà maintenant sept ou huit ans que Bernard Metge a entrepris de travailler avec ces ouvriers étrangers via Terra Fecundis. Les boîtes d’intérim contactent directement les coopératives et les grosses entreprises maraîchères de la région en leur proposant leurs services. A La Rosée, on a d’abord commencé avec quatre ou cinq personnes. Et un peu plus chaque saison, jusqu’à atteindre près de 20% de son personnel saisonnier aujourd’hui. Il explique avoir recours à cette main d’oeuvre « essentiellement pour la saison des fraises car nous ne trouvons personne au printemps quand les étudiants sont en cours ». La pratique est légale.

Les personnes sont en règle en Europe et peuvent ainsi travailler en France. L’employeur paye en accord avec le tarif horaire fixé par la loi française. Il verse directement le salaire de chaque employé à l’Entreprise de travail temporaire (ETT).

L’histoire ne dit pas si les heures supplémentaires sont bien comptées. Jean-Yves Constantin, syndicaliste CFDT dans les Bouches-du-Rhône a enquêté sur le sujet en remontant la filière jusqu’en Espagne. Il affirme avoir des preuves que « certaines heures supplémentaires ne sont pas payées aux travailleurs étrangers ».

Mais les syndicats de travailleurs se posent d’autres questions, élémentaires : quel salaire touchent réellement les intérimaires étrangers ? Sont-ils payés selon le salaire minimum français ou du pays d’où ils sont originaires ? En France le salaire minimal mensuel brut est de 1425,67€. Il est de 748,30€ en Espagne, de 336,47€ en Pologne, de 161,91€ en Roumanie et de 138,05€ en Bulgarie (source Eurostat mis à jour le 27 juin 2012). « Ils perçoivent leur paye quand ils rentrent à Murcia et ne touchent qu’un acompte ici, il nous est impossible de savoir réellement ce qu’ils touchent au final. Sans compter que les travailleurs étrangers ne veulent pas s’exprimer sur la question par crainte de perdre leur emploi. Ce type de pratiques déresponsabilise le rôle du patron vis-à-vis de ses employés, nous sommes dans la marchandisation du personnel  », déplore Nicolas Duntze, anciennement chargé de la question du travail saisonnier auprès du bureau national de la Confédération paysanne. « Il est difficile de contrôler ces pratiques, d’autant plus que les contrats de travail sont basés sur le droit espagnol », ajoute Renaud Frémont, directeur de l’Arefa en Languedoc-Roussillon (l’Association régionale pour l’emploi et la formation en agriculture). Le cas intéresse l’Inspection du travail qui s’est saisie du dossier mais rien ne filtre sur l’avancée de l’enquête.

L’Union Européenne favorable à la flexibilité de la main d’oeuvre

En plein débat sur la flexibilité du temps de travail entre les syndicats et les organisations patronales, le sujet mérite réflexion. Surtout que ces pratiques semblent promises à un bel avenir. A la mi-avril, la Commission européenne a publié un rapport intitulé « Pour une croissance riche en emploi  », dans lequel elle suggère aux pays de l’Union d’introduire une dose de flexibilité dans leur marché du travail. Dans son rapport, elle prône notamment l’abaissement des charges salariales, et la libre circulation de la main-d’œuvre dans les 27 pays de l’Union européenne. Pour quel salaire ? « Ils touchent le Smic mais l’entreprise étrangère leur retient une partie de leur salaire », assure cette employée agricole de Béziers syndiquée à la CGT qui travaille aux côtés d’intérimaires polonais. Une fois les melons terminés, d’autres récoltes suivront.Les immatriculations étrangères pourront drainer leur lot de travailleurs dans les autres champs de la région, dans un pays qui compte près de 3 millions de chômeurs et où le droit du travail existe encore. Pour certains.

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