Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

303 Billets

1 Éditions

Billet de blog 15 novembre 2013

Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

Palestine : Game over

Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Rares sont les journalistes qui ont pour habitude d’écrire à la première personne, ou de raconter un voyage qui n’a jamais eu lieu. A défaut de témoigner de la situation du peuple palestinien en Israël, voici l’histoire de mon voyage avorté en Israël.

par  Armelle Parion sur www.frituremag.info

 Mon voyage, imaginé depuis des années et préparé depuis plusieurs semaines, n’aura jamais eu lieu. Sur place, je prévoyais de visiter aussi bien Israël que les territoires occupés, mais aussi d’en profiter pour réaliser quelques reportages pour des médias toulousains et nationaux. Mais l’arbitraire d’un Etat, pouvant décider de laisser entrer chez lui qui bon lui semble, en a décidé autrement. J’ai à peine eu le temps d’imaginer la douceur de l’air ambiant annoncée par le pilote avec son réjouissant "Vous êtes arrivés à Tel-Aviv. Il fait 29 degrés".  Moins de 24 heures après mon départ, j’étais de retour dans la capitale, avec le même sac à dos, intact, ou plus exactement, seulement ouvert par les autorités israéliennes. En tant que Française, ayant déjà un peu voyagé et possédant un casier judiciaire vierge, je n’avais jamais pris conscience de la possibilité d’être refoulée d’un territoire sans motif précis. C’est pourtant ce qui m’est arrivé en Israël, un pays en guerre, certes, mais défini comme une démocratie. “Vous ne pouvez pas revenir ici avant 10 ans”, m’a t-on spécifié, comme la preuve ultime, s’il en fallait une, que j’étais indésirable. Frustration, colère, injustice, humiliation : c’est un mélange de tous ces sentiments que j’ai rapportés de ce voyage avorté. Mais l’expérience a eu le mérite de me faire toucher du doigt le quotidien de milliers de Palestiniens, interdits de circuler librement chez eux.

Suspectée d’être une sympathisante palestinienne

Le 30 septembre dernier, je n’ai pas pu passer les portes de l’aéroport de Tel Aviv, car les services de sécurité ont jugé que j’étais "suspecte", que je leur avais menti. J’ai subi cinq heures d’interrogatoires, au cours desquelles ils ont réuni un faisceau d’indices, synonyme pour eux de cocktail Molotov. J’ai été assimilée à une sympathisante palestinienne, ce qui équivaut pour eux à une menace pour leur sécurité.

Tout a dérapé dès le premier contrôle de passeport. Si j’avais choisi le guichet 29, je serais probablement passée. Mais l’agente qui m’a contrôlée au guichet numéro 30, a d’emblée enchaîné les questions, en rafale. Je m’y étais préparée, mais j’ai bien vite compris que j’avais sous-estimé l’exercice. Elle me demande si c’est ma première visite du pays, combien je possède d’argent sur mon compte en banque, dans quelles villes je vais me rendre, où je serai logée... Certaines associations préparent les voyageurs, dans les conditions réelles, à ces  interrogatoires qui peuvent durer trois minutes comme une journée. Mais je ne l’apprendrai qu’à mon retour.

Une femme qui voyage seule et qui dit avoir réservé un hôtel mais ne peut pas montrer de réservation, ne correspond visiblement pas à la grille de lecture du touriste lambda. D’autant qu’une simple recherche sur Internet permet de s’apercevoir que je suis journaliste. Ce dernier élément n’a sans doute pas joué en ma faveur. Au lieu de me laisser passer, la jeune femme me demande de patienter dans une salle, quelques mètres derrière. Après un quart d’attente, en compagnie de deux jeunes, une deuxième fonctionnaire vient me chercher pour m’interroger à nouveau. Suis-je sûre de ne connaître personne sur le territoire ? C’est bien le tampon du Liban que j’ai là, sur mon passeport ? En l’occurrence, le tampon qu’elle me montre est celui de la Tunisie, où je me suis rendue en mars dernier. Je me suis rendue au pays des cèdres 10 ans auparavant, mais j’ai changé de passeport depuis. Je sais que ce genre d’élément m’aurait causé préjudice, alors que dans ma situation, rien ne me laissait penser que mon passage serait délicat.

Mais sous les conseils de plusieurs amis, j’ai décidé, avant mon départ, de rester discrète sur deux éléments : me présenter comme une rédactrice travaillant pour différents supports de communication et de presse culturelle, ce qui correspond à une partie de mon activité de journaliste, et dire que je ne connais personne ici. L’amie qui devait m’accueillir à Jérusalem, salariée pour une ONG internationale, préférait que je ne parle pas d’elle, pour éviter les ennuis.

Ni masque de plongée, ni Lonely Planet

Mais je ne me suis pas assez prémunie en préparant les bons alibis. Dans mon bagage à main, je n’ai glissé ni masque de plongée, ni guide de tourisme type Lonely Planet. Au lieu de cela, un guide alternatif intitulé "Palestine" et un carnet contenant des notes de lectures sur l’histoire du pays, avec quelques allusions aux territoires occupés et à Gaza. Or, "Yanoun", "Naplouse", "Qalandyia" sont des noms de villages et de villes qu’on ne doit pas évoquer, sous peine d’être associé à un militant pro-palestinien.

Quand ils videront mon sac, au bout de quatre heures d’interrogatoires sans manger et sans pouvoir fumer une cigarette, ces objets seront considérés comme des preuves que je suis potentiellement dangereuse. “Qu’ai-je fait de mal ?” -“Rien, mais vous êtes suspecte”. L’engrenage se poursuit, comme dans un mauvais film. Au total, sept ou huit personnes différentes m’ont interrogée, dans un petit bureau d’à peine 10 m², sous une lumière blafarde, et en présence de témoins de plus en plus nombreux. Dans la pièce, deux jeunes femmes tapent sur leurs ordinateurs : l’une, le visage fermé, me fixe régulièrement, l’autre assise au fond de la pièce, me jette un oeil de temps en temps. Mes jambes commencent à flageller. Le petit-déjeuner que j’ai avalé à 9 heures du matin dans l’avion est déjà loin.

L’espace de quelques minutes, on me propose un deal : je peux entrer, si j’accepte d’accéder seulement à la zone israélienne du pays. En d’autres termes, cela signifie qu’aucune excursion ne sera possible en Cisjordanie. J’ose poser une question, demander des précisions. La porte entrebaîllée se referme aussitôt. ”Vous voulez manifester à Gaza”, me lance quelques minutes plus tard un des hommes. J’ai beau dire non, on ne me croit pas. L’amie que je devais rejoindre à Jérusalem tente de m’appeler à plusieurs reprises sur mon téléphone, inquiète de ne pas avoir de mes nouvelles. Cela constitue un nouvel élément à charge, car, entre temps, on m’a confisqué mon téléphone, un Smartphone qui permet aussi d’accéder à mes mails et à mon compte Facebook. Un responsable me tend l’appareil, mais j’ai seulement le temps d’échanger trois phrases avec mon amie. Il me demande de raccrocher.

« C’est ça ou la prison »

En dernier ressort, le chef de l’Immigration arrive. Il s’assoit à quelques centimètres de moi, et exige que je lui dise « toute la vérité ». Je répète mon histoire, les raisons de ma venue : j’ai effectivement une amie ici, mais elle n’était pas sûre de pouvoir m’héberger, et c’est pour cette raison que j’ai mentionné l’hôtel. Mais le verdict tombe : je suis indésirable sur le territoire. La jeune fonctionnaire qui m’a accompagnée aux toilettes et m’a proposé à plusieurs reprises de m’exprimer en français et de traduire, m’annonce, triomphale, qu’il y a une place pour moi dans un avion. Je mets quelques minutes à réaliser qu’il n’y a plus aucun espoir, et pour la première fois, je perds mon sang froid. Alors qu’elle m’accompagne pour récupérer mon bagage au pied du tapis roulant, je demande s’il me reste une chance. “C’est ça ou la prison”, m’affirme-t-elle.

Pour terminer, j’ai le droit à une fouille au corps d’un bon quart d’heure, coutures de la culotte incluses. Mes deux sacs sont examinés millimètre par millimètre. Naïvement, cette ultime fouille me fait espérer que je vais enfin pouvoir sortir, que le cauchemar va s’arrêter. Mais après m’avoir enfin autorisée à fumer une cigarette à l’extérieur, la jeune femme m’accompagne jusqu’à la porte d’embarquement, et confie mon passeport à l’équipage de l’avion. J’ai à peine le temps de prévenir mon amie, qui était en route pour venir m’aider. Pendant le vol, je mets un long moment à reprendre mes esprits. L’Israélienne assise à côté de moi tente de me réconforter. Choquée par mon histoire, elle répète, en boucle, qu’elle a « honte » pour son pays.

Je serai accueillie à ma sortie de l’avion, à l’aéroport de Roissy, par la Police aux Frontières, chargée de vérifiée que je ne suis pas recherchée en France. C’est la fin de mon voyage. Un voyage non pas en Palestine, ni en Israël, mais dans les coulisses de l’arbitraire israélien, d’un pays en guerre depuis plus d’un demi siècle pour protéger et étendre ses frontières.

  • Un cas fréquent

Ces cas d’"interrogatoires" suivis d’expulsion de journalistes, militants associatifs ou membres d’ONG ne sont pas rares en Israël. Lire ICI le témoignage d’un enseignant marseillais à qui il est arrivé la même mésaventure en 2012, suspecté d’aller soutenir le peuple palestinien. Ou encore cette histoire d’un humanitaire polonais, retenu une semaine à l’aéroport de Tel-Aviv à qui la Cour suprême israélienne a confirmé en septembre 2013 l’interdiction d’entrée sur le territoire israélien pour des motifs de sécurité (lire ICI).

Courriers d’indignation et témoignages divers affluent sur le web pour dénoncer ces expulsions et interrogatoires, obéissant à une loi intérieure israélienne... datant de 1952.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.