Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

303 Billets

1 Éditions

Billet de blog 16 mai 2011

Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

Signes de la fin des thons

Philippe Gagnebet (avatar)

Philippe Gagnebet

Journal du bord

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La campagne de pêche au thon rouge a débuté le 15 mai, et jusqu'au 15 juin, en Méditerranée et en Atlantique. Alors que tous les regards sont braqués, parfois avec excès, sur le port de Sète, nous vous proposons une enquête sur la côte basque, à Saint-Jean-de-Luz, qui était dans les années 60 le premier port français. Pour comprendre la raréfaction de "l'or rouge" actuelle, il faut se pencher sur son histoire, qui a vécu ses grandes heures en Atlantique, avant de disparaître presque totalement.

16 mai 2011, par Valérie Lassus

Xavier Martiarena a fini par laisser tomber. Fin 2009, après quelque 32 ans de mer en tant que pêcheur, puis patron du thonier canneur de 16 mètres, le Tximistarri II. Son bateau, désormais immatriculé à Lorient, pêche la sardine et le maquereau en Bretagne, pour le compte d'une enseigne de grande distribution. Dès 2008, sur un ponton du port de Saint-Jean-de-Luz, « Xabi » dressait un portrait lapidaire autant que lucide de la situation : « Grandeur et décadence, c'est ça, l'histoire de la pêche au thon ici. Je me souviens encore du temps où l'on en débarquait des tonnes chaque jour de la saison, alors que maintenant... »
En 1954, la moyenne sur la saison fut de 52 tonnes par jour. Ce port est resté au premier rang français des années 1950 à 1970. Les conserveries y étaient florissantes. Aujourd'hui, elles ont toutes fermé. Cette année encore, pour la fête du thon le 9 juillet, la ville de Saint-Jean-de-Luz servira du poisson pêché en Méditerranée... Comment en est-on arrivé là ?

« Nous, les pêcheurs, nous sommes des ramasseurs. Nous récoltons sans semer. Et nous l'avons fait trop longtemps sans discernement. C'est aussi simple que cela » explique Robert Alvarez, fondateur de l'association Itsas Geroa, affiliée au Forum mondial des peuples pêcheurs (WWFFP) qui prône une pêche responsable. C'est un fait, Thynnus thunus est inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de l'IUCN depuis 1996. En 40 ans, les stocks mondiaux ont baissé de 80 %. Loin du cliché du patron pêcheur incriminant des quotas trop faibles, nombreux sont ici les professionnels de la mer, pêcheurs, mareyeurs-poissonniers, fonctionnaires des Affaires maritimes, conscients de la nécessité de gérer différemment les ressources halieutiques.

La ruée vers l'or rouge

La pêche au thon dans le golfe de Gascogne a débuté dans les années 1920. Dès 1937, les Basques ramenèrent de Californie une technique utilisant l'appât vivant et la canne. Cette pratique sélective du thonier canneur est surtout celle de l'Atlantique de l'est, bien qu'à Saint-Jean-de-Luz il n'y ait plus que l'Aïrosa _ construit en 1953, il est classé monument historique depuis 2002 _ qui exerce cette pêche traditionnelle. A la fin des années 50, en équipant de gros navires de congélateurs et de filets géants, les armateurs purent envoyer leur flotte plus loin et plus longtemps. La pêche industrielle était née. Pour nombre de patrons endettés pour s'équiper en gros chalutiers munis d'instruments de recherche dernier cri, pêcher encore et encore est devenu, à partir de cette époque, la seule solution pour s'en sortir, quelles qu'en soient les conséquences.

Dans les années 60, afin de concurrencer les Japonais, les Américains mirent au point la pêche à la senne, filet droit géant pouvant délimiter une surface de 21 ha à l'intérieur de laquelle sont piégés jusqu'à 500 tonnes de thons. C'est la technique dominante en Méditerranée. Le poisson capturé est alors soit congelé, soit transféré dans des cages pour y être engraissé. Activité très lucrative, sachant que 60 % de cette production est achetée à des prix très élevés par les Japonais. Cela risque changer cette année, conséquence inattendue du tsunami qui a touché le Japon au mois de mars et qui a fait que les commandes en produits de luxe (dont le thon rouge) ont déjà diminuées. Les fermes d'engraissement (en partie financées par l'UE) ont une responsabilité majeure dans la destruction de l'espèce, puisque la régulation européenne permet qu'on y place des thons avant leur âge de reproduction. Or, cet animal ne fraye pas en captivité..

De la Scandinavie à la Lybie

D'après les observations de Greenpeace, l'activité des senneurs se concentre toujours plus sur la zone de reproduction la plus fréquentée par les thons que sont les côtes lybiennes. Le territoire de Thynnus thunus se rétrécit autour de sa zone de reproduction. Ainsi peut-on suivre géographiquement sa disparition. En effet, qui sait aujourd'hui que les Scandinaves, les Allemands et les Hollandais exploitaient le thon chez eux il y a 50 ans seulement ? Une étude récente, associée au programme international Census of Marine Life montre comment la surpêche du thon rouge en Europe du Nord durant la première partie du XXe a conduit à sa quasi extinction dès les années 1960, soit bien avant la vogue des sushis !

Ce bolide des mers voyageait en Europe du Nord, afin de se nourrir de harengs, de calmars ou de maquereaux avant d'aller se reproduire en Méditerranée. Les thons de Méditerranée et de l'Atlantique forment en effet une seule et même population dénommée « stock nord ». Grâce à des marquages, les chercheurs ont montré que le thon naît dans le golfe du Mexique. Vers l'âge de 5 ans, à 25 - 30 kg, il commence à se reproduire dans les eaux chaudes. C'est lors de son passage aller ou retour vers la Méditerranée que les pêcheurs de l'Atlantique peuvent prendre ce qui n'a pas été chassé. Cette année, le quota de 948 tonnes attribué à la France sera partagé ainsi : 150 tonnes pour les pêcheurs de l'Atlantique et 798 tonnes pour ceux de Méditerranée.

Voir ce qui se passe en Atlantique, savoir ce qui est arrivé en mer du Nord, permet d'anticiper l'avenir en Méditerranée. Une vie d'homme suffit pour témoigner de l'incapacité à gérer intelligemment une ressource quand des profits considérables sont en jeu. Déjà, sa majesté bleue déserte le golfe de Gascogne, comme l'ont fait la baleine des Basques, l'ange de mer comme aujourd'hui la sardine et l'anchois... Martiarena l'a prédit : « la vérité, c'est que nous allons tous sombrer par le fond, thoniers canneurs, chalutiers, palangriers, senneurs... Bah, Saint-Jean-de-Luz et Ciboure ont un bel avenir...comme port de plaisance. »

La suite sur www.frituremag.info

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.