
A l’université de Montpellier 2, les responsables du département de mathématiques s’inquiètent du manque de candidats pour l’enseignement de leur matière. Cette année, plusieurs postes de Capes n’ont pas été pourvus et le rectorat fait appel aux vacataires pour combler cette pénurie.
Par Thomas Belet sur www.frituremag.info
« Posons-nous la question : combien de nos enfants veulent-ils, aujourd’hui, devenir professeurs ? De la réponse à cette question dépend, en vérité, l’avenir de l’école et l’image que nous nous en faisons ». La phrase est de Nicolas Sarkozy, prononcée lors de son discours sur l’éducation à Montpellier le 28 février dernier. Quelques mois plus tard, les syndicats de la région dressent un constat sans équivoque : certaines filières d’enseignement accusent une baisse du nombre de candidats. « D’un côté on a réduit les heures de formation devant une classe, de l’autre on rallonge la période d’études de deux ans, et les salaires restent bas par rapport à la qualification. Comment pourrait-il en être autrement ? », constate Gilles Tena, secrétaire académique du SE-Unsa (syndicat d’enseignants). Cette année, 15% des postes de Capes n’ont pas été pourvus en France, faute d’un nombre suffisant de candidats ayant le niveau requis. Dans la région, les lettres modernes et les mathématiques sont les plus touchées. « Beaucoup de nos étudiants préfèrent se tourner vers d’autres carrières. Ils entendent partout qu’on va leur taper dessus, les insulter…L’image qu’ils se font du métier n’est pas très reluisante », constate Louise Nyssen, responsable du master enseignement en mathématiques à Montpellier 2. Le cursus comptait encore 70 postulants il y a six ans, et seulement 47 étudiants l’an dernier sur les deux années de master.
A Béziers, sept vacataires sur 45 enseignants
Pour faire face, les recalés de l’agrégation, mais admissibles à l’oral, se sont ainsi vus proposer un poste d’enseignant certifié. Une mesure d’urgence qui ne suffit pas. Rien qu’en lettres modernes, plus de 152 heures n’avaient toujours pas trouvé preneurs le 27 août dernier dans le seul département de l’Hérault. « Nous allons devoir recruter plusieurs dizaines de vacataires en lettres modernes pour pallier le déficit de reçus au concours du Capes », reconnaît le recteur Christian Philip. Des vacataires qui sont souvent encore étudiants. « On bafoue la formation et le métier de professeur, certains vacataires n’ont encore jamais été confrontés à la réalité d’une classe », commente Arnaud Roussel, secrétaire départemental de l’Hérault et secrétaire académique adjoint du syndicat Snes-FSU.
Pour éviter que le phénomène ne s’amplifie, l’idée de recourir à un système de pré-recrutement est plébiscitée par les acteurs de la communauté éducative. Cette solution permettrait de financer les meilleurs éléments à partir de leur troisième année de licence en échange de l’engagement à passer le Capes et d’exercer un certain nombre d’années. Pour l’heure, la réalité est toute autre. Sur le collège Krafft de Béziers, classé en dispositif Eclair (anciennement Zone d’éducation prioritaire), non moins de sept vacataires officieront cette année sur les 45 enseignants que compte l’établissement. « Pour le rectorat, tant qu’il y a un être humain devant la classe tout va bien », ajoute Arnaud Roussel. Si les paroles du gouvernement se veulent rassurantes, le chantier de l’éducation ne fait que commencer.
- 3 Questions à François Dubet
Sociologue spécialiste des questions d’éducation et directeur d’études à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).
« Une image trop négative du métier »
Comment expliquez-vous ce désintérêt des étudiants pour l’enseignement ?
La vision du métier d’enseignant a été largement dégradée ces dernières années, du fait des réformes du précédent gouvernement mais aussi par les médias et les syndicats. En voulant dénoncer certains problèmes, on s’est cantonné à une caricature négative et biaisée du travail de professeur. Oui, il existe des problèmes mais il ne faut pas faire croire que tous les enseignants travaillent dans le collège le plus difficile de La Paillade ou de Seine-Saint-Denis.
N’est-il pas paradoxal d’avoir un désintérêt vers les métiers de l’enseignement en période de crise ?
Absolument ! Surtout, qu’en dépit des salaires parfois faibles, le statut de professeur reste enviable, avec la sécurité de l’emploi, les vacances… On pourrait penser que la profession d’enseignant attirerait des candidats et ce n’est pas le cas. C’est la conjugaison de plusieurs facteurs qui amène à ce désintérêt. Il faut aussi remarquer que ce ne sont plus les meilleurs élèves qui se tournent vers l’enseignement. Du moins pour les matières scientifiques, les meilleurs éléments se tournent davantage vers les classes préparatoires et les écoles d’ingénieur. Ils y trouvent un meilleur salaire, et une meilleure valorisation de leurs compétences.
Etes-vous optimiste pour les années à venir ?
C’est difficile tant la marge économique est faible pour le gouvernement actuel. Cependant, il faut penser à d’autres systèmes de recrutement et de formation. La présélection avec une rémunération des études est une piste à étudier. C’est une mesure qui permettrait aux meilleurs éléments de rejoindre les carrières de l’enseignement plutôt que de se tourner vers d’autres métiers. Il va avant tout falloir redonner goût à ces filières et au métier d’enseignant qui, je le répète, souffre à tort d’une image trop négative.