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Billet de blog 18 juin 2014

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Pierre Rabhi : "Lorsque je ne trouve pas de réponses ou de solutions, j’en appelle au divin."

Pierre Rabhi, initiateur du Mouvement Colibris, reconnu expert international pour la lutte contre la désertification, auteur, philosophe et conférencier, en appelle à "l’insurrection des consciences" pour fédérer ce que l’humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrances et de destructions. Rencontre avec ce paysan-penseur-voyageur, qui nous parle en contemplant le paysage des garrigues ardéchoises.

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Pierre Rabhi, initiateur du Mouvement Colibris, reconnu expert international pour la lutte contre la désertification, auteur, philosophe et conférencier, en appelle à "l’insurrection des consciences" pour fédérer ce que l’humanité a de meilleur et cesser de faire de notre planète-paradis un enfer de souffrances et de destructions. Rencontre avec ce paysan-penseur-voyageur, qui nous parle en contemplant le paysage des garrigues ardéchoises.

 Par Philippe Gagnebet sur www.frituremag.info

 Devant l’échec de la condition générale de l’humanité et les dommages considérables infligés à la nature, il nous invite à sortir du mythe de la croissance indéfinie, à réaliser l’importance vitale de notre terre nourricière et à inaugurer une nouvelle éthique de vie vers une "sobriété heureuse". Rencontre avec ce paysan-penseur-voyageur, qui nous parle en contemplant le paysage des garrigues ardéchoises.

On connait aujourd’hui votre pensée et vos convictions, mais avez-vous toujours été paysan ? Etes-vous venu vous installer en France pour travailler la terre ?

J’ai été confié à l’âge de 5 ans, après le décès de ma mère, à un couple d’Européens. J’ai reçu une éducation française tout en conservant l’héritage de ma culture algérienne d’origine, mon père était forgeron mais je ne suis pas issu d’une famille de paysans. Entre 1959 et 1961 j’ai travaillé à la Someca, en région parisienne, comme ouvrier spécialié, après des petits boulots en Algérie (banque, prothèse dentaire...). Je voulais aller à Paris où j’avais quelques relations. Mais j’ai rapidement remis complètement en question l’idée de travailler toute ma vie, ça ne me convenait absolument pas. Je ne pouvais pas imaginer qu’on puisse donner et brader toute sa vie contre un salaire en attendant la retraite. Nous avons décidé un retour à la terre, on a cherché où aller. On a donc contacté un ami médecin qui vivait en Ardèche, il nous a accueilli pour franchir ce pas. Il n’y avait pas d’autre activité qui me rapprocherait de la nature, je voulais vraiment m’installer et devenir agriculteur. Mais je n’avais jamais travaillé la terre.

Comment se sont passés ces débuts ? En fait vous n’aviez aucune expérience, juste une volonté de fuir les grandes villes, ses usines, le monde ouvrier...

On n’avait aucun argent, j’ai dû passer un diplôme agricole basique, j’ai travaillé deux ou trois ans comme ouvrier agricole pour emprunter et ensuite acheter la ferme. A l’époque, j’ai découvert les pratiques agricoles : les pesticides, les intrants, la pollution. De suite, nous avons voulu aller vers une agriculture biologique, en respect pour la terre nourricière. A l’époque, peu de gens remettaient en question l’agiculture dite moderne, on empoissonnait la nature mais on pensait que ce modèle nous sortirait d’une relative misère. Sur notre petite exploitation, on ne calculait pas le temps passé, ni électricité, ni téléphone, peu d’eau, une terre rocailleuse et une maison à restaurer. On travaillait beaucoup, je faisais le maçon ailleurs pour payer les travaux, ma femme était secrétaire et donnait des cours. Tout cela nous a permis de surrvivre, le premier de nos cinq enfants était déjà né. 

Qu’aimiez-vous vraiment à cette époque dans cette nouvelle activité ?

C’était l’activité générale, ce contact direct avec la nature. Au milieu des garrigues avec des espaces chaotiques, ce qui convenait le mieux c’était donc les chèvres. On a acheté un troupeau d’une trentaine de bêtes mais j’apprenais aussi les techniques bio pour travailler la terre. Avec patience, on gagnait un peu de sous pour réparer la maison, mais on était vraiment dans une grande précarité.

Dans le même temps, vous étiez déjà un grand lecteur...

Oui, j’ai toujours eu cette soif de comprendre, d’apprendre, et de trouver des auteurs qui m’inspiraient, me correspondaient. Je lisais beaucoup les philosophes, mais aussi la littérature pure (russe, scandinave, française) et c’est surtout « La planète au pillage  », le livre de Henry Fairfield Osborn, qui m’a ouvert les yeux sur l’écologie. Ce bouquin a été « ma » révélation, et tout ce qu’il contient m’accompagne encore aujourd’hui.

Comment avez-vous vécu les mouvements de 68, étiez-vous militant à cette époque-là ?

J’ai pas attendu 68 pour protester. En fait les jeunes reprenaient mes arguments, on était déjà bien engagé dans notre protestation pacifique en construisant ce lieu, s’y organiser, y élever ses enfants. J’ai vécu 68 de loin, nous étions déjà dans l’action avec ma femme et mes cinq enfants. J’avais l’impression d’être depuis longtemps à contre-courant, en avance même, par rapport à un modèle dominant qui ne me convenait pas du tout.

Qu’est ce qui vous poussait, alors ? La religion, des croyances ?

Je n’ai pas de religion dans le sens conventionnel du terme et je ne suis pas relié à une religion particulière mais ce n’est pas pour ça que je suis athée. Je fonctionne sur une spiritualité qui m’est propre. Je ne peux pas imaginer que la vie soit un hasard, je pressens une intelligence qui régit tout ça que j’appelle le « divin », pas dieu. Je suis persuadé qu’il y a quelque chose qui nous échappe, qui outrepasse nos capacités, il y a un grand mystère dans toute chose. Nous-mêmes, pourquoi nous sommes nés, qui nous a réalisé ? C’est une intelligence infinie qui a créé la réalité dans sa totalité et je ressens ce mystère en moi. Et sans rituel d’aucune sorte, c’est un ressenti presque permanent. Chacun de nous vit en mangeant, respirant... Pour moi ce n’est pas anodin car tellement bien fait et organisé. Je n’ai donc pas besoin de temple ni de prière, lorsque je ne trouve pas de réponses ou de solutions, j’en appelle à ce « divin ».

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