
Elles suivent différents processus de migration, mais toujours dictés par la volonté de vivre mieux qu’au pays. Etat des lieux à Toulouse, avec l’association Grisélidis qui souhaite protéger ces femmes, particulièrement vulnérables et beaucoup plus exposées aux violences que les autres.
par Armelle Parion sur www.frituremag.info
Depuis une quinzaine d’années, les migrantes ont intégré massivement les effectifs des travailleuses du sexe en France. A Toulouse, elles sont arrivées d’Afrique subsaharienne vers 1995, puis d’Europe de l’Est vers 1998, suite à la chute du mur de Berlin. « Ces femmes cherchent un eldorado capitaliste. Elles se prostituent parce que c’est le moyen le plus réalisable de gagner leur vie. Leur volonté de migrer est plus forte que les risques encourus », explique Françoise Guillemaut, sociologue qui a dirigé des projets de terrain sur ce thème, notamment à Toulouse.
Selon la chercheuse, le droit de passage en Europe depuis l’Afrique se négocie autour de 50 000 euros. Si le départ s’effectue grâce à un agent recruteur ou plus souvent un passeur, les réseaux sont diffus. « Ils se situent plutôt au village, où elles envoient l’argent pour enrichir leur foyer. Mais en France, elles travaillent la plupart du temps pour elles. Elles subissent des violences, mais pas souvent de la part de proxénètes ». Selon la sociologue, l’idée très répandue de trafic n’est qu’une invention des pouvoirs publics pour légitimer la lutte contre l’immigration.
Processus de migrations
Une fois en France, la situation des prostituées migrantes est pire que celle des Françaises. Néo-arrivantes, ne maîtrisant pas la langue, elles sont en proie à toutes les violences, allant du harcèlement jusqu’au crime. « La fermeture du marché du travail et les restrictions d’entrée en Europe ont contraint les migrantes à une alternative entre les services aux personnes et le travail du sexe, deux secteurs très mal protégés par le droit du travail », ajoute la sociologue.
A Toulouse, l’association Grisélidis travaille depuis 1999 sur l’accès à l’autonomie des travailleuses du sexe, en luttant contre les MST, pour l’accès aux droits, et contre les violences. En 2010, les étrangères représentaient 70% du public accueilli. Les trois quarts de ces migrantes viennent de Bulgarie, de Roumanie, du Nigéria et du Ghana.
L’équipe de militants va à la rencontre de 550 prostituées, deux fois par semaine la nuit en camping car, et deux fois à pied en journée. Elle assure aussi des permanences dans son local, afin d’établir un suivi médico-social. A ce public, s’ajoutent les travailleuses du Net, difficiles à recenser, qui peuvent demander conseil sur le site de l’association.
Le processus de migration des Africaines répond à un cadre juridique bien différent de celui des femmes de l’Est. « Les Roumaines et les Bulgares peuvent rester trois mois sans visa. Mais elles n’ont pas le droit de travailler, et ne peuvent pas bénéficier de l’Aide médicale d’Etat. Les Africaines, elles, ont le droit de faire une demande d’asile, même si cette dernière est très compliquée à obtenir. Leur mode de migration s’apparente presque toujours à un départ définitif », explique Alice Lafille, chargée de développement et du droit au séjour à Grisélidis.
Violences et « Risques du métier »
La clandestinité et la précarité sont leur lot commun. Exposées au racisme et à la domination masculine, les prostituées migrantes sont visées par tous les contrôles et subissent souvent des arrestations groupées. « Je n’ai jamais vu d’arrestation de garçon, confie Alice Lafille. Dans l’imaginaire sexiste de notre société, un homme ne peut pas racoler ». Selon elle, la position abolitionniste de la France sur la prostitution laisse le champ libre à toutes les interprétations policières. « Certains agents appliquent une seule logique : celle de faire du chiffre ».
Le recours le plus fréquent qui s’offre aux migrantes pour sortir de la prostitution réside dans le mariage. Mais dans la plupart des cas, ils sont contractés avec des clients, et donnent lieu à des violences conjugales. « Dans la plupart des cas, le mari violent reste impuni. La plainte pour séquestration n’est jamais retenue, comme si cela faisait partie des risques du métier. », souligne Alice Lafille, qui assiste aux procès, souvent soldés en comparutions immédiates. Annie, une des médiatrices culturelles de l’association, se souvient d’une Nigériane enceinte, victime de la traite de son mari. La jeune femme a porté plainte pour proxénétisme et violences conjugales. Elle s’est retrouvée en centre de rétention.
« Les institutions disent qu’elles les renvoient au pays pour leur bien », explique Annie. « Mais les femmes ne se considèrent pas comme des victimes. Elles préfèrent rester en France, quitte à vivre à l’hôtel et à subir toutes ces pressions ».
La criminalisation du racolage par la loi de sécurité intérieure de 2003, surtout, aurait provoqué la recrudescence des violences, policières. L’éloignement des centres villes et la crise aidant, les pressions des clients ont, elles aussi, augmenté.
Selon Françoise Guillemaut, la loi condamne les prostituées étrangères à choisir entre clandestinité et délation. Elles peuvent prétendre à un titre de séjour temporaire si elles acceptent de dénoncer leur proxénète, ce qui leur permet d’être reconnues comme victimes de la traite.
La prostituée étrangère ne peut presque jamais être considérée comme « la bonne victime » « Même quand une femme est face à un vrai proxénète et accepte de le dénoncer, elle n’est pas à l’abri de passer pour une femme vénale qui a utilisé cette astuce pour obtenir des papiers », confie Alice Lafille.