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Billet de blog 20 octobre 2011

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« Fais des photos, et montre ça à Chirac »

© Olivier Jobard  Photographe à l’agence Myop, après avoir travaillé pour Sipa Press depuis 1992, Olivier Jobard s’intéresse depuis plus de 10 ans aux problématiques de l’immigration. Il a suivi l’itinéraire de Kingsley en 2004 du Cameroun jusqu’en France. Il a reçu cet été le Visa d’Or au festival de photojournalisme de Perpignan pour son reportage « Zarzis-Lampedusa, l’odyssée de l’espoir » pour Paris-Match où il a photographié des Tunisiens rejoindre l’Europe par les côtes italiennes.

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© Olivier Jobard

Photographe à l’agence Myop, après avoir travaillé pour Sipa Press depuis 1992, Olivier Jobard s’intéresse depuis plus de 10 ans aux problématiques de l’immigration. Il a suivi l’itinéraire de Kingsley en 2004 du Cameroun jusqu’en France. Il a reçu cet été le Visa d’Or au festival de photojournalisme de Perpignan pour son reportage « Zarzis-Lampedusa, l’odyssée de l’espoir » pour Paris-Match où il a photographié des Tunisiens rejoindre l’Europe par les côtes italiennes. Avec "Exil, Exit ? Vivre sans-papiers en Europe", l’exposition réalisée avec Médecins du Monde, et présentée lors du Festival Manifesto à Toulouse en septembre dernier, il dénonce les conditions d’accueil de ces hommes et femmes devenus « sans-papiers » en Europe.

Par Marie-Pierre Buttugieg sur www.frituremag.info

  • Cet entretien, réalisé en partenariat avec Médecins du Monde, marque le début d’un grand dossier que nous allons consacrer au thème des "Migrations" jusqu’à fin 2011. Vous retrouverez l’intégralité de la rencontre avec Olivier Jobard, ainsi qu’un portfolio inédit, dans le magazine papier qui sortira mi-novembre.

Pourquoi avoir accepté d’aider Médecins du Monde à réaliser cette exposition « Exil, Exit ? » ?

Olivier Jobard et Martin

Olivier Jobard : je me suis intéressé aux problématiques de l’immigration avec Sangatte à Calais. Des gens de toutes origines avaient parcouru le monde pour venir ici. J’étais fasciné par leur courage. J’y ai rencontré des Kurdes, des Kosovars, des Irakiens, des Afghans... c’était un choc par rapport aux reportages que j’avais faits dans ces pays. J’avais réalisé un sujet sur Massoud en Afghanistan et à mon retour, j’ai donné des nouvelles de sa région à un Afghan qui était à Sangatte. On est tombé dans les bras l’un de l’autre. On ne se connaissait pas mais j’étais allé dans son village et il était heureux d’en parler. J’ai passé 2 ans à Sangatte jusqu’à sa fermeture.
Je voulais donner la parole à ces migrants qui ne l’ont pas, qui sont caricaturés. Derrière ce phénomène, il y a des hommes et des femmes qui souffrent. Cette expo montre leurs conditions d’accueil indignes en Europe. Dans la plupart des cas, c’est une immigration économique. Ces personnes veulent trouver du travail, gagner un peu d’argent, aider leur famille, avoir une vie meilleure. Souvent elles n’ont pas d’autres choix que celui de partir, d’emprunter ces routes qui mènent à "l’Eden" européen. Chacun a ses raisons, qu’elles soient politiques ou économiques ou les deux à la fois... elles sont à mes yeux toutes aussi légitimes.

En 2004, vous avez suivi l’itinéraire de Kingsley, un Camerounais, jusqu’en France. Comment ce projet a-t-il pu se réaliser ?

J’ai rencontré Kingsley au Cameroun. Il avait échoué une première fois. Il m’a appelé en France pour me dire qu’il était prêt à repartir. On avait un accord : je ne devais pas intervenir pendant le parcours, il fallait que les choses soient claires. Il ne partait pas parce que je l’accompagnais.
On est parti de Yaoundé en train, puis en taxi brousse, vers le Nigeria et le Niger jusqu’aux portes du Sahara. Le parcours a duré 6 mois.

Qu’est-ce qui vous a frappé dans ce parcours de migrant ?

A chaque passage, c’est très violent. On était une trentaine entassée dans un camion pour traverser le Sahara. Ce sont les Touaregs qui font le business. Une fille s’est fait violer, elle s’est sacrifiée pour les autres. J’ai dû m’arrêter à la frontière algérienne car je n’avais pas de visa. Je devais y entrer légalement. J’ai retrouvé Kingsley à Alger. Les migrants se font raquetter tout au long du parcours. Sur les routes migratoires, il y a des agences Western Union partout ! Ils se font envoyer de l’argent, à chaque étape, pour continuer. Beaucoup restent bloqués sans argent.
On a ensuite rejoint le Maroc clandestinement en bus où on a loué des passeports via des Sénégalais. J’ai été arrêté avec Kingsley puis relâché. Kingsley s’est échappé. On s’est retrouvé à Rabat. Il m’a présenté aux Sarahouis qui faisaient « le passage ». Il y avait une certaine fierté chez eux de « faire la nique » aux Marocains. Le chef avait un vrai discours politique. C’est une petite traite artisanale. C’est le réseau du pauvre. De Laayoune, on traverse en mer jusqu’à Fuerteventura aux Canaries.

Olivier Jobard

Comment s’est passée cette traversée jusqu’aux Canaries ?

C’était terrible. Il a fallu construire le bateau en plein désert avec des planches trouées qu’on a mastiquées. On a pris la mer et à la première barre de vague, on a chaviré. On était 35 sur le bateau. Deux sont morts, 5 ont abandonné. Les autres ont repayé via Western Union. Dix jours après, on est reparti pour plus de 24 h. Les Africains ont peur de l’eau. Ils étaient recroquevillés, malades mais ils chantaient. C’est une vraie leçon de vie. Personne n’aurait pu résister comme ils l’ont fait dans la bonne humeur. On mangeait du pain rance trempé dans de l’eau sucrée. Ils me disaient, « fais des photos, et montre ça à Chirac » en riant.
Le passeur les traitait comme du bétail. Il y avait un gars armé d’un couteau qui les menaçait pour leur faire peur et les empêcher de bouger pour ne pas chavirer. Les Subsahariens sont comme des esclaves... Il fallait écoper tout le temps.
Quand on est arrivé à Fuerteventura, on s’est fait arraisonner par la Guardia Civile. Les migrants ont été placés dans un centre de rétention pendant un mois. J’ai retrouvé Kingsley à Paris, quand il a été libéré.

Est-ce que les migrants sont préparés à ce qu’ils vont vivre ?Est-ce qu’ils s’y attendent ?

Kingsley savait que ce serait difficile. D’autres ne s’attendent pas du tout à ce qu’ils vont vivre. Lui a galéré dès son arrivée en France, dans le froid. Il déprimait. Il avait un modèle de vie à l’occidental, un idéal, celui que montre la télévision. Il avait un travail dans son pays. En France, il n’avait rien. Il n’y a pas d’entre aide avec la communauté camerounaise. Aujourd’hui, il a un travail en CDI.
Ils ne méritent pas ce qu’ils subissent chez nous. C’est à nous de les accueillir dignement. Ce ne sont pas des pique-assiettes. Il sont fragilisés par leurs conditions de vie. Ils ne viennent pas pour se faire soigner. Ils veulent vivre de leur travail.

Après toutes ces expériences, quel regard portez-vous sur la politique d’immigration menée en Europe ?

C’est le contre exemple de l’immigration choisie. Quand on aide ces migrants, leur immigration subie devient une réussite.
Si les Marocains font office de barrage, c’est parce qu’ils reçoivent des subventions de l’Europe, comme la Libye, la Turquie et la Grèce. Ce n’est qu’un jeu politique. Il n’y a aucune politique d’asile, on est à moins de 1% d’acceptation des dossiers.
La Grèce est devenue une autoroute. Ils ne peuvent pas les renvoyer vers la Turquie. Tout cela créée une montée des extrémistes.
Les lois européennes sont hypocrites. La procédure Dublin 2 est une aberration : il ne doit y avoir qu’un seul examen d’une demande d’asile dans toute l’Europe. Les demandeurs ne doivent pas demander ailleurs. Le pays responsable de cet examen est celui qui a laissé entrer, volontairement ou involontairement, le demandeur d’asile. Cela n’a aucun sens. Après la révolution de Tunisie, j’ai suivi un groupe jusqu’à Lampedusa en Italie. Il y avait plus de migrants que d’Italiens...
Les lois sont de plus en plus restrictives. Parfois, ils ont un titre de séjour temporaire mais ils n’ont pas le droit de travailler.
Aujourd’hui, en France, on vante la « méritocracie » mais ces gens méritent ! Dès qu’on leur donne les moyens de travailler, ils le font. Cette immigration est une force vive dont on doit se servir.


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