
Depuis 2008, la plate-forme nationale des cafés-culture planche sur un système de fonds d’aide à l’emploi artistique qui, tout en soulageant les bars culturels, tenterait de répondre à la crise de l’emploi sans précédent rencontrée par les artistes en intermittence. Testé depuis 2012 dans la région Pays de la Loire, le dispositif pourrait être étendu au niveau national en 2014. Du 21 au 23 novembre à Toulouse, le festival Bars-Bars déferle sur la ville.
Par Nicolas Mathé sur www.frituremag.info
En France, six mille cafés disparaîtraient chaque année. « On est passé de 200 000 dans les années 60 à environ 30 000 aujourd’hui, c’est assez éloquent », avance David Milbéo, du collectif Bar-Bars, l’une des premières associations à avoir tiré la sonnette d’alarme sur cette situation et les conséquences désastreuses engendrées pour les artistes. En 2008, les premières rencontres nationales des Cafés-culture se sont déroulées à Nantes afin de se pencher plus spécifiquement sur les problèmes rencontrés par les bars proposant une offre artistique régulière. Pour la première fois, en insistant sur la place indispensable des cafés-culture dans la chaîne du spectacle vivant, on va considérer ces lieux qui ont vu émerger le rock alternatif ou participé au renouveau de la chanson française, comme un véritable bassin d’emploi pour les artistes en phase de développement. Et pour ces milliers de très petites entreprises au modèle économique fragile, les difficultés se sont effectivement accumulées ces dernières années. Au décret anti-bruit de 1998, qui implique de lourds investissements en terme d’insonorisation, s’ajoutent, au niveau local, des arrêtés municipaux de plus en plus contraignants.
De plus, au-delà de six concerts par an, les patrons de bar ont pour obligation de détenir la licence d’entrepreneur de spectacle. Et bien souvent, la délivrance de ce sésame, qui s’obtient via un stage de formation, entraîne un risque de reclassement, les bars concernés passant de la catégorie débit de boissons à celle de lieux de spectacle. Bref, les joies de l’administration. Dans le même temps, les artistes sont, eux, confrontés à une crise de l’emploi sans précédent et ce alors même que la pratique culturelle n’a jamais été aussi forte. Le nombre d’intermittents indemnisés au titre de l’assurance chômage ne cesse de diminuer tandis que celui de ceux bénéficiant du RMI/RSA augmente en flèche.
Expérience concluante
Face à ce constat et une fois établie l’évidence du lien de cause à effet entre la situation des cafés-culture et celle des artistes, les différents acteurs du milieu ont décidé de se retrousser les manches pour avancer des solutions. Dès la fin des rencontres nationales de 2008, une plate-forme nationale des Cafés-culture a été mise en place et a travaillé pendant quatre ans à l’élaboration d’un dispositif de soutien aux cafés-culture. Une des premières tâches fut de définir un cadre pour ces lieux car le terme café-culture n’est pas un label. Il a ainsi été décidé que seraient concernés les bars dont l’activité principale est le débit de boissons, bénéficiant d’une jauge d’accueil de moins de 200 personnes et proposant une offre artistique régulière ; le patron devant bien entendu justifier de la licence d’entrepreneur de spectacle de catégorie 1. En langage administratif, cela donne CHR N-V, soit Café-Hôtel-Restaurant de type N (pour débit de boissons) et de catégorie V. « A partir du moment ou ils répondent aux critères, tous les cafés peuvent prétendre au dispositif d’aide et pas seulement les adhérents au collectif Bar-bars », précise David Milbéo.

Après quatre ans de travaux, la région Pays de la Loire a expérimenté le fond d’aide à l’emploi artistique en 2012. Ce fond, financé pour l’instant exclusivement par la Région, et géré par le Pôle de coopération des acteurs pour les musiques actuelles en Pays de la Loire, consiste en une prise en charge d’une partie de la rémunération des artistes. Les cafés doivent au préalable être inscrits au GUSO (Guichet Unique du Spectacle Occasionnel) puis formuler auprès du Pôle une demande avant chaque concert organisé. Et dans un délai, très court, le Pôle reverse au bar un pourcentage de la prise en charge du coût selon le nombre d’artistes rémunérés. Calculé sur la base du salaire minimum, soit 154,01 euros (coût « employeur »), le montant octroyé va de 26% pour un artiste à 60% pour six artistes. A partir de 4 artistes, un salarié non-artiste, un technicien par exemple, peut être inclus dans le dispositif. Et à l’heure du premier bilan, tous les signaux sont au verts. « Sur l’année 2012, 62 cafés-culture ont fait appel au dispositif pour 346 concerts et plus de 1000 cachets d’artistes, ce qui représente environ 900 journées de travail aidées. C’est très positif », souligne David Milbéo. La région Pays de la Loire a déjà renouvelé sa participation en 2013 et par ailleurs, les discussions sont d’ores et déjà bien entamées pour la mise en place au niveau national du dispositif. Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication, s’y est engagée dans un courrier du 23 juillet 2013, en proposant la création d’une structure adaptée pour bénéficier de financements publics et privés sur l’ensemble du territoire pour le début d’année 2014.
Une réponse aux abus
Michel Vié, représentant des musiques actuelles au sein du Syndicat des Artistes Musiciens de Midi-Pyrénées (SAMMIP), affilié à la CGT, est un fervent partisan du dispositif d’aide au cafés-culture. Il travaille activement à sa mise en place en Midi-Pyrénées. « Nous avons rencontré, Pierre Cohen et plusieurs élus de Toulouse et les discussions ont été très positives, ils sont intéressés. Le souci, c’est que les choses sont bloquées par les municipales. La Mairie attend également de voir si le Conseil Régional est prêt à s’investir. Nous avons demandé un rendez-vous avec eux, on attend », explique-t-il. Selon lui, le dispositif permettrait non seulement de construire une vraie industrie pour les artistes en développement mais il mettrait surtout fin à des années de pratique qu’il qualifie de douteuses. « Quand un bistrot n’a pas les moyens de rémunérer les groupes au tarif suffisant, ces derniers s’arrangent pour trouver un deal, ils se tournent vers des sociétés de portage qui se substituent au réel employeur. C’est un secteur très organisé à l’économie virtuelle et souvent, les groupes acceptent n’importe quelle condition », dénonce Michel Vié.
Difficile de mesurer à quel point la « combine » est répandue mais sur Internet, les sociétés de portage spécialisées dans le spectacle vivant fleurissent alors qu’à priori, ce secteur d’activité ne rentre pas dans les compétences du portage salarial. Le cadre juridique est assez flou sur cette question mais certaines antennes Assedic ont déjà refusé l’indemnisation dans de tels cas au motif qu’il n’y avait aucun lien de subordination entre l’employeur et l’employé. De même en 2012, le Ministère de la Culture menaçait de ne pas renouveler la licence d’entrepreneur de spectacle aux sociétés ayant recours au portage.
Légal ou pas, Michel Vié n’en a cure : « il s’agit d’une structuration en marge qui exploite le système d’assurance chômage. Avec le dispositif, on dit stop à la magouille et tout le monde rentre dans les clous ». Bref, jusqu’à présent, le manque de cadre donnait lieu sur le terrain à une grande diversité de pratiques, dont certaines discutables. Et pour aller jusqu’au bout dans sa volonté de clarifier l’organisation de concerts dans les bars, la plate-forme nationale a également travaillé sur la question de la diffusion des artistes amateurs. En 2011, un protocole de bonnes pratiques a été élaboré. Il stipule que si aucune recette (billetterie, majoration des consommations...) n’est liée à l’organisation du spectacle, alors la représentation est considérée comme non-lucrative et l’amateur peut jouer sans être rémunéré. Il doit cependant provenir du département ou des départements limitrophes et déclarer sur l’honneur vivre d’un autre métier que le spectacle. Le bar, lui, s’engage alors à ne pas communiquer sur le nom du groupe.
« Il faut savoir que vers 30 ans, soit un artiste passe un cap, soit il s’arrête de jouer car il n’a plus l’énergie d’aller de bars en bars et de courir après les cachets dans des conditions difficiles. Ce dispositif est vraiment un espoir pour beaucoup d’artistes », lance Michel Vié. Reste à savoir si en ces moments difficiles, les collectivités territoriales sont prêtes à aider les artistes à vivre de leur passion.