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Billet de blog 23 juin 2014

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Michel Batlle, né le 3 avril 1946 à Toulouse est d’origine catalane par son père, réfugié politique de la guerre d’Espagne.
C’est à partir de 1964, qu’il réalise ses premières peintures abstraites et expositions.
En 1966-1967, il crée ses premières musiques expérimentales, concrètes et électroacoustiques (à la suite de l’aventure du rock du début des années 1960).
Il est le créateur en 1966 de la « Psychophysiographie » (relations entre le corps et l’esprit traduites par tous moyens graphiques, sorte de simulacre scientifique produisant des anatomies imaginaires par lesquelles il mêle l’art et le corps).
De 1966 à 1969 il réalise des gravures sur radiographies et des photos peintes.
En 1970 il abandonne l’abstraction pour une nouvelle figuration expressionniste.
De 1971 à 1975, il pratique les performances-painting et le land art en tant que parodie critique du nouveau marché de l’art international.

Par Michel Batlle sur www.frituremag.info

Il y a dans la vie deux sortes de destins, ceux qui ouvrent les pistes et ceux qui suivent les pistes déjà ouvertes.
La plus part des humains recherchent leur « homme ou femme du destin » comme le dit si bien le grand écrivain Kourouma. Ils, elles, recherchent celui ou celle qui leur donnera la solution pour leur raison de vivre, de croire, de s’engager…
Pour cela, il y a les religions avec un dieu et des saints. Il est tout à fait naturel de chercher sa voie lorsqu’on est jeune. Je me pose souvent la question de savoirs quels ont été les éléments qui dans ma petite enfance m’ont donné le goût et le désir d’être différent des autres, d’être un défricheur, engagé dans une pratique qui serait l’art. J’ai parait-il dessiné à peine ai-je pu tenir un crayon, les images qui m’ont marquées étaient les tapisseries et vases chinois et leurs idéogrammes que mes grands-parents avaient dans leur appartement et le dictionnaire Larousse avec ses reproductions sépia des chefs-d’œuvre de l’art, car j’ai vécu ma petite enfance très souvent chez eux. On disait toujours de moi « ce petit sera artiste ».
Je ne me suis jamais dit « tu seras artiste » puisque je l’étais déjà et que j’en avais conscience. Il me semblait déjà que c’était le moyen d’être un être différent et d’avoir une vie plus héroïque que celle de tous ceux qui m’entouraient. Je ne voulais pas être esclave de ce que la société imposait à la majorité de ses sujets ! Je n’ai jamais pensé que le fait d’être artiste était un travail, pourtant j’ai beaucoup travaillé, mais jamais je ne l’ai fait à contre cœur ni en passant que je travaillais. Dans la langue espagnole œuvre et travail ont un même mot « obra », pour moi faire des œuvres c’était œuvrer. Par la suite les artistes des années 60 ont fait la distinction et n’ont parlé que de leur « travail » ou de leur « boulot » ce qui était pire, voulant n’être ni plus ni moins que des ouvriers de l’art, mais des ouvriers qui pourraient vendre cher ! Pour le coup ils ne voulaient pas qu’on désacralise totalement leur « boulot » !

Pour ce qui est de travailler, je peux dire que j’ai travaillé, parfois jour et nuit quand j’avais vingt ans. Je n’avais et n’ai jamais eu de complexe vis-à-vis des grands artistes de l’histoire de l’art ils étaient différents de moi, c’était tout. Je ne sentais pas supérieurs, tout était une question d’époque, j’aurais été peintre à l’époque romane, j’aurais fait des fresques dans les églises ou sculpté des chapiteaux, à la Renaissance j’aurais été un polyvalent comme maintenant, lorsque je revendique le terme d’ « artiste généraliste ». Je pensais que je pouvais être une sorte de Picasso, dépasser les autres artistes, quitte à ce que les choses ne tournent pas comme je l’imaginais, jouer à quitte ou double, quitte à perdre ! C’est ce qui arriva, au bout d’un certain temps je ne pouvais plus croire à ce milieu de l’art, tout n’était que théâtre, supercherie, escroquerie historique ! Vers mes trente ans j’avais fait le tour de cette situation et de mes rêves d’artiste-héro, je devenais artiste maudit ; plus le temps passait et plus je me marginalisais, essayant quelques come-back, mais c’était trop difficile d’abandonner son travail pour celui de la communication et des petits fours dans les vernissages en vue. Ce n’était pas ce que j’avais imaginé de l’art et n’avais aucune envie de participer à ces marchandages, je ne serai pas un domestique de quelque pouvoir qui soit. Un jour peut-être, on pourrait voir plus clairement ce que j’avais mis en route, ce que j’avais lancé dans une époque où l’avant-gardisme était notre religion. Ce que j’avais fait avant les autres. Je continuais avec entêtement comme si je ne savais faire que cela, de l’inutile peinture et sculpture, sans cesse me demander « à quoi ça sert » et continuer bêtement à pénétrer à l’encre ou au feu les traits de mes visages, ces « monstres ordinaires » que sont les êtres humains ! Etait-ce le courage ou l’obsession de continuer avec mes concepts toujours d’actualité mais inefficaces pour ces temps où l’art était devenu ornemental ? C’était cela ma façon d’être héroïque, foncer sur une route qui revenait sur elle-même sans pouvoir profiter du paysage ! J’avais pourtant confiance en moi, je croyais à ma force créatrice mais ne faisais rien pour le démontrer. J’avais toujours l’impression de n’être qu’un des éléments de ma multiplicité, ne voulant pas me battre pour la réussite sociale mais pour les idées que véhiculaient mes œuvres. Dans le même temps, les spécialistes qui déclinaient en boucle une petite idée avaient le vent en poupe, j’étais à contre-courant, moi l’universaliste !

Pour celui ou celle qui cherche son « homme du destin », il faut que l’être soit vraiment fragile. J’ai eu bien sur des admirations étant jeune, Picasso, Pollock, comme pour d’autres, des écrivains majeurs ou des vedettes de la chanson. Mais il ne faut pas que ça dure car il n’existe pas d’être supérieur, chacun, chacune a ses propres qualités, son génie, créateur ou dévastateur. Si je me promène dans un grand musée, je ne vois pas d’artistes supérieurs mais de simples collègues qui résolvaient des problèmes de formes et de couleurs.
Le XX ème siècle aura été un siècle de grandes découvertes ou plutôt de grandes libertés dans les arts, les jeunes artiste de ce vingt et unième siècle ne le savent pas assez. Depuis on dit que tout a été fait, ce n’est pas vrai. Ce siècle précédent ne doit pas être vu comme une bibliothèque dans laquelle on va pêcher des idées mais un exemple de forme de pensée qui incite à chercher là où nous ne sommes allés.
Il y a toujours à faire et à découvrir, sans le nouveau l’art n’existe pas.

Mais au fait, c’est quoi l’art ? Tout simplement la suite de l’histoire de l’art.
Depuis les Années 80, le nombre d’artiste s’est multiplié par cent. C’est en partie ce que désiraient certains avant-gardistes du futurisme russe qui souhaitaient que tout un chacun puisse s’exprimer, puisse créer. Cette situation de grande diffusion des arts a fait que l’art est partout et nulle part. Qu’il y a très peu d’idées nouvelles et seulement des redites ; les artistes pensent faire de l’art mais pour la quasi majorité ils ne font que des remakes, de la culture.
Car on a confondu art et culture !

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