Au cas où ça vous aurait échappé, Toulouse est une « ville-culturelle ». Cirque, théâtre, cinéma, musique, sciences, la ville rose arrose ses administrés de bouillon de culture à toutes les sauces. 3000 événements à l’année. Une orgie de près de 300 « rendez-vous » par mois. Le tout enrobé du label urbanistique Toulouse Métropole.

Illustration Isabelle Cochereau
Au cas où ça vous aurez échappé Toulouse est une « ville-culturelle ». Cirque, théâtre, cinéma, musique, sciences, la ville rose arrose ses administrés de bouillon de culture à toutes les sauces. 3000 événements à l’année. Une orgie de près de 300 « rendez-vous » par mois. Le tout enrobé du label urbanistique Toulouse Métropole. Même décoiffée par la Marseillaise de son diadème « capitale européenne de culture 2013 », la miss Toulousaine aspire à « construire ensemble la métropole de demain ». Véritable projet d’ancrage territorial ou Kulturwashing, simple marketing urbain d’une ville marque ?
- Le lundi 27 janvier, le Couac organise un dernier débat sur la culture en présence des candidat-e-s aux municipales. Tous les détails : ICI
par Ludo Simbille sur www.frituremag.info
« So culture, So Toulouse ». Le slogan de l’office de tourisme ne s’y trompe pas. So What ? Complète malin le Collectif urgence d’acteurs culturels (Couac). Créée lors des municipales de 2001, cette association sert de mise en réseau de structures, de laboratoire d’idées et de veille autour du culturel. Cet automne, ses membres organisaient une série de rencontres-débats. « Qui fait la culture ? Avec qui et pour qui ? Depuis 2008, quels changements ? » (1)

L’heure du bilan donc. Cinq ans après que la nouvelle mairie PS de Pierre Cohen se soit orientée plein cap vers la « Culture ». L’idée est de construire une politique cohérente de vie culturelle, jusque-là inexistante ou trop fragmentée. Symbole fort, Nicole Belloubet, l’élue à la culture est nommée première adjointe, nous sommes en 2007. Depuis elle a rejoint la Région puis le Conseil constitutionnel.
Héritière du projet Toulouse capitale enculturée 2013, la Ville lance en 2008 un processus de concertation-consultation. Les fameuses « Assises de la culture ». Un moment inédit d’échanges, d’idées entre 2000 professionnels, associatifs et citoyens. « C’est tout à leur honneur, car peu évident à mettre en œuvre. Il y avait une telle chape de plomb, un tel passif qu’ils ont ouvert la boîte de pandore » lance Mélanie Labesse, coordinatrice des relations publiques au Couac. Beaucoup d’espoirs, beaucoup d’attentes. Beaucoup d’acteurs du milieu culturel s’en servent de tribune.
« Qui vient à ces concertations ? demande Hafid El Alaoui, président de la Maison de Bagatelle. Un truc d’initiés ». Ce que confirme Mariette Sibertin-Blanc, maître de conférences en aménagement-urbanisme à l’UT2. Peu de présence d’habitants, contrairement à d’autres assises. Pourtant le Couac a tenté d’assouplir le dispositif. « On a essayé de jouer un rôle de conseil, de méthodologie, de casser la frontalité entre élus et des gens qui viennent entendre, explique Fred Ortuno, un des coordinateurs ressource. Ça a été très difficile à mettre en place parce que la configuration ne s’y prêtait pas ». Participer n’est pas décider. « A l’évidence, les décisions se prennent ailleurs, poursuit la géographe. C’est ce que Pierre Cohen avait annoncé dès l’introduction des assises ».
Mars 2009 sort le projet dit « Culture en mouvement ». Quatre axes présentés : Toulouse, métropole « solidaire », « créative », « équilibrée » et « participative ». Parmi les objectifs principaux, celui de rééquilibrer le maillage du territoire par les équipements culturels sur la ville, structurer les filières créatives. Vaste programme. Peut-être un peu trop ambitieux. « Il faudrait un sacré portage politique pour faire aboutir tous les projets », lancent les animateurs du Couac. L’aboutissement est brouillé. Des actions très précises, plus ou moins liées aux Assises mais une vision d’ensemble peu lisible. En décalage avec la réalité. « De la poudre aux yeux », résume-t-on. Beaucoup de frustrations.
Culture à deux vitesses
A commencer côté finance. Avec 23 % du budget municipal, le Capitole caracole en tête des métropoles les plus dotées en capital. Toulouse riche mais peut-être pas Toulouse « équilibrée »… Nicky Tremblay, co-fondatrice de Dell Arte en sait quelque chose. Une association d’insertion par la culture implantée au Mirail. « On a bataillé des années pour obtenir un financement de droit commun (hors politique de la ville). On est une des seules associations, les autres sont apparentées “cultures urbaines” ». Ce qui dénote une « une hiérarchisation claire, une fracture géo-sociale » entre un centre-ville dit culturel et des périphéries dites socioculturelles. Difficile de faire reconnaître certaines activités non affiliées à la direction culture de la mairie, considérées hybrides. Festives, sociales, culturelles. Jeu, sport. Une participante au débat du Couac évoque des barrières administratives. Les « subventions arrivent après les événements ». Du fait d’un mode de financement au projet ou au label.
Toulouse et ses cultures : so what ? Mardicouac #3/3 • Ph. Metz (encore des choses à faire...) by Couac on Mixcloud
Jamal El Arch n’observe aucune évolution dans les subventions. Son association Echanges Savoir et Mémoire Active (ESMA) vient juste de perdre un salarié et d’obtenir un local après plusieurs années d’attente. Ou des subsides exceptionnelles. ESMA animait un atelier photo pour douze jeunes filles sur le quartier de Bellefontaine. 2 000€ pour les appareils, le développement, le montage, la constitution de l’expo. Dérisoire. Comparé aux plus de 200 000 € de l’éphémère Grande Expo Reza, du nom de la star mondiale de la photographie venue faire le prof à cinquante jeunes avant l’ouverture de la Maison de l’image au Mirail. Autre cas d’école, celui du champion de boxe européen, Christophe Tiozzo venu ouvrir son académie à Basso Cambo. « Tous les élus sont venus faire leur cinéma autour, pour créer de l’emploi pour les jeunes », se souvient Hafid. Dommage que le travail éducatif d’autres clubs de boxe ne mérite pas autant d’égards, regrette-t-il (2).
« On fait venir des artistes de l’extérieur sans stimuler les dynamiques existantes », résume le membre d’ESMA. On se souvient de la polémique Rio loco sans locaux. C’est pas faute d’avoir une réserve d’artistes ici-bas. Ni faute de moyens. Les grosses têtes de gondoles accaparent les pépettes. Rio Loco (1, 2M€), Marathon des mots (400 000€), Orchestre du Capitole (36 M€), 14 juillet (1M€). « Culture bling-bling » dit-on. Le gros contre le petit. De l’événementiel au détriment d’actions de terrains au long cours ? Culture à deux vitesses (voir encadré) ? Pas forcément opposables selon des membres du Couac. « Est-ce qu’on prend à Pierre pour habiller Paul ? demande Fred. « La ville de Toulouse peut à la fois financer de tels événements et avoir un soutien à l’existant ». En identifiant les postes budgétivores ou en revenant sur 10% du budget partagé par 90% des acteurs culturels, l’idée est lancée dans le débat du Couac. Or « il n’y a pas eu d’arbitrage symbolique fort dans ce sens », regrette Mélanie. Au contraire, la reconduction du contrat (mirifique) de Tugan Sokhiev à la tête de l’orchestre du Capitole, fait grincer des dents.

Le Métronum dans le quartier Borderouge
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