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Billet de blog 25 juin 2012

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Francazal et Hollywood : les acteurs du scénario

Depuis que l’architecte Bruno Granja a lancé l’idée d’installer des studios de cinéma de Raleigh, premier exploitant de studios de cinéma indépendants aux Etats-Unis, sur l’ex-base aérienne de Francazal (Cugnaux), les acteurs du monde politique et du cinéma s’agitent, et les Toulousains se sont mis à rêver.

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Depuis que l’architecte Bruno Granja a lancé l’idée d’installer des studios de cinéma de Raleigh, premier exploitant de studios de cinéma indépendants aux Etats-Unis, sur l’ex-base aérienne de Francazal (Cugnaux), les acteurs du monde politique et du cinéma s’agitent, et les Toulousains se sont mis à rêver. Ce projet, chiffré à environ 120 millions, d’euros, laisse présager la création de nombreux emplois dans la région. Il offre aussi l’opportunité de développer des activités en dehors de l’aéronautique. Zoom sur un scénario qui comporte encore des zones d’ombres au moment où un second projet vient d’être présenté.

par Armelle Parion sur www.frituremag.info

Synopsis 

L’idée de faire venir le géant hollywoodien Raleigh sur la partie sud de l’ancienne base militaire de Francazal, à 15 Km de Toulouse, a tout de suite séduit le grand public. Après un an de tractations en coulisses, l’Elysée a accordé son feu vert le 12 avril dernier. Quelques jours plus tard, l’Etat signait un décret pour céder 25 hectares (sur les 300 de la base) sans y intégrer les hangars convoités par les porteurs de l’opération. Ils imaginent 16 000 m² de plateaux et des ateliers de construction et de peinture sur le site. D’après eux, l’implantation de ces studios créerait d’ici trois ans 5000 emplois directs et 5000 emplois indirects, notamment dans les services. Deux appels d’offre seront lancés courant juin pour l’acquisition de cette zone et de la piste d’atterrissage attenante. Aucun plan de financement n’est arrêté et le dénouement du scénario reste incertain. Mais on connaît ses acteurs, leurs intérêts, leurs réseaux, et leurs implications.


Rôles principaux 

Bruno Granja, le cerveau de l’opération
L’architecte, la trentaine, est défini par ses proches comme un homme plutôt introverti mais pas timide. Il aurait toujours été fasciné par le cinéma, un milieu qu’il connaît bien. C’est en passant tous les jours devant Francazal pour aller travailler qu’il a eu l’idée d’y implanter des studios américains. Grâce à sa bonne maîtrise de l’anglais, il enchaîne depuis les rendez-vous professionnels en France et aux Etats-Unis, déléguant très peu à ses partenaires. Bruno Granja affirme être le seul à pouvoir parler de la genèse et des coulisses du projet. Mais il refuse la plupart du temps de répondre aux médias. « Ce n’est pas le moment d’en parler. L’affaire est en cours  », a-t-il assuré à Friture Mag, tout en admettant qu’il y avait «  beaucoup de fabulations sur le dossier ». « Il a eu du culot et de l’intelligence, et Raleigh a mordu en premier à l’hameçon  » résume son avocat Jacques Lavergne. Selon des proches du dossier, l’architecte a suivi de très près la campagne présidentielle et aborde avec aisance les personnalités du cinéma comme les politiques. Mais ces mêmes proches reconnaissent que sa stratégie de communication manque de logique. Avec son projet, Bruno Granja a éveillé des jalousies et essuyé plusieurs tentatives de coups bas. Selon lui, les travaux pourraient débuter en 2013 et les premiers tournages auraient lieu en 2014.

Jacques Lavergne, le bras droit juridique
L’avocat choisi par Bruno Granja pour accompagner le projet a plaidé sa cause auprès de la préfecture. « Le projet m’a vite plu, d’autant que j’ai servi à Francazal. Pour moi, le point commun entre une base militaire et des studios est qu’il s’agit dans les deux cas d’une ville en réduction où l’on pratique plusieurs métiers ». L’avocat s’est d’abord employé au lobbying pendant quatre mois. «  J’ai fait marcher tous mes réseaux pour mettre le projet sur orbite. Le reste est une histoire de professionnels et de techniciens », raconte-t-il. Il a même reçu l’équipe de François Hollande pendant la campagne. Mais selon Me Lavergne, le projet, dont la superficie a été revue à la baisse, est « figé » depuis avril. « Granja me demande de lui faire confiance, mais j’aimerais m’appuyer sur du concret  ». L’avocat est engagé pour réaliser le montage des structures juridiques du projet. Il devait partir en week-end en mai avec Michael Moore, le patron de Raleigh.

Philippe Pangrazzi, la « caution » technique

Le vice-président de l’association Midi Films fait partie d’un réseau de solidarité de professionnels du cinéma, qui regroupe environ 250 techniciens de la région. L’association a été contactée par Bruno Granja dès février 2011. « On souffre du manque de tournages ici (ndlr : 2% des longs métrages et des téléfilms français sont tournés en Midi-Pyrénées) et d’un déficit d’images de la région, à cause de la centralisation de la production à Paris. Pourtant, nous avons les capacités d’assurer deux équipes à Toulouse », explique l’assistant réalisateur. Invitée il y a quelques mois à une rencontre avec le patron de Raleigh, l’association a fait l’état des lieux des compétences dont elle dispose. Philippe Pangrazzi voit dans l’installation de Raleigh la fourniture d’outils, de bureaux, d’ateliers, de matériel, et de tous les moyens nécessaires à la post-production. Il se demande néanmoins si le modèle des productions américaines va s’adapter aux productions françaises, moins habituées aux tournages en studio. «  Nous avons les pieds sur terre, et la tête dans les étoiles ». Rassuré par l’expérience réussie de Raleigh à Budapest, qui a généré 10 000 emplois, Philippe Pangrazzi demeure « prudent sur la faisabilité du projet » et sur les intentions des Américains.


Image d'un tournage de Clip de la société Boom Records sur le site de Francazal

Jean-Louis Chauzy, le médiateur
Le président du CESER a informé dès juin 2011 le bureau de son assemblée, des enjeux du projet Raleigh. « Nous avons deux raisons de le soutenir : il engendrerait une diversification des activités et créerait des emplois accessibles à tous. Il obligerait aussi à déporter des activités de sous-traitance aéronautique à Auch et à Tarbes  ». Mais Jean-Louis Chauzy ne s’est pas cantonné à son rôle consultatif. Il a obtenu en personne la réunion interministérielle du 12 avril, à l’issue de laquelle l’Elysée a déclassé la zone militaire en zone commerciale et spécifié la vocation culturelle du site. «  Granja m’a demandé d’utiliser mon carnet d’adresses pour solliciter l’arbitrage de l’Etat. Il se trouve que je connais bien Christian Frémont, l’ex- directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy. Mon implication dans le dossier m’a valu quelques apostrophes. On m’a soupçonné de rouler pour l’ancien président  ». Jean-Louis Chauzy reçoit tous les jours des demandes de rendez-vous de la part d’étudiants, de professionnels de la culture, de responsables universitaires, mais aussi de grands investisseurs potentiels comme Vinci. 

La FICAM, le contradicteur
La Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia a exprimé ses réserves sur le projet de studios à Francazal. Cette position peut s’expliquer par l’amitié que son président Thierry de Segonzac entretient avec Luc Besson, qui finalise en ce moment le montage d’un projet de studios en Seine-Saint-Denis. Mais le projet toulousain, selon ses porteurs, ne concurrencerait en rien celui des studios de Luc Besson. Ces derniers ne comporteront ni zone de tournage extérieure, ni plateaux d’aussi grandes dimensions.

Le collectif Francazal, le lobby
L’association se bat depuis deux ans pour empêcher la création d’un aéroport d’affaires sur la base de Francazal, qu’elle estime non rentable et vecteur de nuisances pour les riverains. Le collectif soutient « tout autre projet de reconversion du site, au premier rang desquels celui des studios », mais il s’oppose à l’utilisation de la piste d’atterrissage par les studios Raleigh, pourtant convoitée par Bruno Granja. « C’est du délire. Aucun grand studio de cinéma n’est situé à proximité d’une piste car c’est gênant à cause du bruit et des ondes », argumente Bernard Gineste, le président du collectif. Il juge les plans de Raleigh encore trop flous. « Avec les informations contradictoires qu’on lit, on se demande ce que ça va donner. Il faut que Granja sorte du bois et dévoile son plan de financement  », assure Bernard Gineste. Le collectif maintient la pression pour stopper toute activité aérienne sur l’ancienne base. Les vols de nuit y sont autorisés depuis début avril, et Atlantic Air Industrie, spécialiste de la maintenance aéronautique déjà installé sur le site, prévoit de renforcer ses effectifs.

La Dépêche du Midi, réalisateur officiel du feuilleton
Le quotidien diffuse un nouvel épisode à chaque déclaration relative au sujet, même futile. C’est pourtant le seul média à qui Bruno Granja accepte de parler. Et pour cause : c’est la publication d’un article dans le quotidien régional, qui, au printemps 2011, a fait réagir la préfecture, silencieuse depuis près d’un mois. Ce détail pourrait expliquer que le quotidien, qui multiplie les effets d’annonce et brode sur le sujet depuis un an, cherche à garder l’exclusivité sur l’information.

Seconds rôles 

La Région  
Elle serait un des principaux financeurs des studios, aux côtés de Raleigh, notamment en termes d’aménagement du territoire. Martin Malvy, son président, a déclaré le 2 mai dans un communiqué qu’il «  était normal que soit confirmée la décision de vente des terrains. (…) Reste maintenant aux promoteurs d’un projet dont chacun se félicitera s’il aboutit, à le préciser et à démentir l’Industrie française du cinéma qui lui oppose celui de Luc Besson en Seine-Saint-Denis ». Prudence est de mise.

Toulouse métropole
L’agglomération de Toulouse défend le projet, même si son président, le maire de Toulouse, Pierre Cohen, reste discret, voire absent sur ce front. Philippe Guérin, le maire de Cugnaux et 5ème vice-président du Grand Toulouse, recherche des soutiens au niveau national pour une perspective qu’il juge passionnante car porteuse d’emplois et de richesses pour l’agglomération. A l’issue de son grand meeting à Toulouse, quelques jours avant son élection à la présidence, François Hollande avait promis qu’il aiderait à conclure l’opération.

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