En réponse à une tribune sur l’éducation publiée le 22 janvier 2013 dans Le Monde (Lire ICI)
Par Aude SALES, "fainéante à Toulouse" sur www.frituremag.info
Madame, Monsieur qui n’a pas eu le courage de s’identifier.
Je suis scandalisée quant à la méconnaissance et au mépris que vous portez au métier d’enseignant.
Vos propos montrent tout d’abord une erreur de jugement et une confusion entre L’Ecole, l’institution pilotée par L’Education Nationale, et l’école, le lieu de vie dans lequel enseignants et élèves évoluent avec les moyens du bord.
Vos arguments ne sont que très peu fondés.
Vous stipulez tout d’abord que M. Peillon a « engagé une longue concertation avec tous les acteurs concernés. » Qu’entendez-vous par tous les acteurs ? Vous n’avez surement pas eu vent du fait que les enseignants ont été les grands oubliés de cette concertation. Seuls les syndicats se sont préoccupés de nos difficultés, de nos craintes et de nos désirs. Jusqu’à ce jour nous n’avons jamais été sollicités par les parlementaires et l’invitation à donner notre avis a été totalement absente.
Je trouve, Madame, Monsieur, que vous faites beaucoup de raccourcis et que vous suivez de trop près l’opinion publique ambiante. Vos préjugés sur un type de population ou de catégorie professionnelle est une pratique que je qualifierais de dangereuse.Amis fainéants, cupides et ayant de soif de privilèges, le métier d’enseignant est pour vous !!
Les enseignants ? Tous des fainéants !
Vous ignorez certainement que le travail d’un enseignant ne se limite pas aux heures de classe visibles devant les élèves.
Avez-vous pris connaissance du temps de préparation d’une séquence pédagogique ? Une préparation d’équipe éducative ? Remplir des documents quant au suivi des élèves en difficultés ? Recevoir les familles ? Se concerter entre collègues ? Se former ? S’informer ?
Savez-vous que lors des vacances scolaires, les fainéants prennent du temps pour se reposer effectivement (on va pas se mentir !!) mais qu’une autre partie du temps est consacrée à réfléchir et à mettre en place de futur projets dans l’intérêt des élèves ? L’intérêt qui, à vous écouter, est oublié des ces chers fainéants.
Concernant le faux débat sur la demi-journée supplémentaire, je vous informe qu’à Toulouse, ville dans laquelle j’enseigne, la semaine à quatre jours et demi a été maintenue en 2008.
Ce mode de rythme scolaire n’a rien de bénéfique quant à la disponibilité psychologique des élèves.
Je vous éclaire au passage que lorsque les mercredi sont libérés pour les élèves, les fainéants sont en formation ou en concertation dans l’intérêt des élèves.
Ces privilégiés qui ne pensent qu’à leur salaire !
Madame, Monsieur, trouvez-vous légitime de se déplacer au travail un jour de plus et ce, pendant 36 jours de l’année sans compensation financière ?
Vous présentez également les enseignants comme manipulateurs de parents. Seriez-vous en train de manifester du mépris envers la majorité des parents qui font confiance aux enseignants, qui les encouragent et les félicitent sur les projets menés en classe et au sein de l’école ? Les parents, qui sont peut-être les seuls à montrer de la reconnaissance envers ce métier.
Vous qualifiez certains enseignants de privilégiés qui ne dispensent pas les cours d’arts visuels, de musique et d’eps. Je vous remercie de comparer les enseignants à Zeus et à sa polyvalence, mais notre condition humaine ne nous offre pas autant d’omnipotence. Il est préférable dans l’intérêt de l’élève qu’une discipline soit enseignée par des personnes spécialisées dans celle-ci. Par la même occasion, je vous affranchis d’une ignorance concernant les écoles qui ne bénéficient pas d’intervenants. Il existe un système appelé « échange de service » qui consiste à ce qu’un enseignant mal à l’aise dans un domaine, échange ses compétences avec celles d’un collègue plus aguerri, dans l’intérêt des élèves.
Si vous poussez votre curiosité un peu plus loin, vous apprendrez que les enseignants sont en demande de formation quant à ces domaines.
Allez, je vous invite aussi à consulter les programmes intenses qui ne laissent que peu de place à l’enseignement de ces activités émancipatrices qui offrent une ouverture sur le monde (visiblement absente chez vous).
Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien
Pour terminer Madame, Monsieur, il semble que apportiez trop d’importance aux messages rapportés par la masse médiatique qui laisse entendre que la seule préoccupation des enseignants est cette fameuse demi-journée de plus.
Avez-vous déjà mis les pieds dans une salle de classe mis à part dans votre plus tendre enfance ?
Oubliez tout, les pratiques archaïques que vous avez connues ont su être modifiées au fil de l’évolution de la société.
Connaissez-vous les difficultés concrètes rencontrées quotidiennement ? Savez-vous ce que sont les RASED ? Les Zones d’Education Prioritaire getthoisées et stigmatisées dans lesquelles la difficulté est rassemblée ? Le contenu des programmes ? Gérer une classe hétérogène ?
Vos sources vous ont-elles communiqué que la nouvelle réforme maintien la mise en place d’un Livret Personnel de Compétences qui stigmatise les élèves en difficulté, et qu’un grand nombre d’enseignants boycotte dans l’intérêt des élèves ?
Informez-vous Madame, Monsieur, je vous conseille de chausser les bonnes lunettes chères à Pierre Bourdieu et de cultiver votre esprit critique.
Enseignants, nous sommes tous dans le même bateau qui est l’Ecole, cette entreprise à créer les inégalités sociales. Nous nous creusons la tête, nous sommes fiers de faire partie de cette fourmilière faite d’idées nouvelles et d’ouverture d’esprit dans l’intérêt des élèves, nous sommes toujours mobilisés à former de futurs citoyens libres et émancipés. Je n’appelle pas ça du corporatisme mais de la solidarité et de la fraternité.
Les brèves de comptoirs non légitimes des profanes de l’éducation, Basta !
Aude SALES, fainéante à Toulouse.