
La chimie est un secteur employant encore plus de 150000 personnes en France. Entre industrie forte et symbole d’un modèle de développement d’un côté, et apparition des chimies dites "verte" ou "bleue", le dialogue est possible. Il est même indispensable. A Calvi, un syndicaliste CGT du géant Rhodia et deux entrepreneurs "verts" ont confronté leurs parcours et leurs valeurs.
par Philippe Gagnebet sur www.frituremag.info
Bernard Ughetto-Monfrin, coordinateur CGT de Rhodia, n’en démord pas : "Il y a nécessité et urgence à redonner une cohérence à la politique industrielle au niveau du territoire dans les industries chimiques en particulier". Le secteur est incontournable mais se heurte selon lui à de nombreux écueils pour son développement, qu’il soit labellisé vert ou pas. Les acteurs privés n’acceptent pas d’engager des capitaux sur des projets de long terme et donc "incertains" en matière de retour économique. Et si des projets sont tout de même engagés, ils ne se font pas dans un souci de progrés ou de réponses aux besoins des populations, la faute au patronat ou à la rentabilité immédiate exigée par les financiers. C’est dans ce contexte que le gouvernement a présenté ses "choix de politique industrielle" avec 34 plans de reconquête pour une nouvelle France industrielle. Parmi ces 34 plans figure la chimie verte au moment où, et ce depuis une vingtaine d’années, les industries chimiques européennes ont réduit de moitié leur intensité énergétique, alors que sur la même période la production a augmenté de 70 %. Mais il faut avouer que celle-ci ne représente aujourdhui qu’environ 2 % des activités chimiques en Europe. Alors qu’en Chine et même aux Etats-Unis les industriels ou inventeurs d’avenir trouvent des terrains commerciaux et politiques plus propices.

Amidon et chardon pour un adieu au fossile
Face à cette conception classique et écrasante de ces modes de productions, même si le délégué CGT a souligné que ce sont les salariés eux-mêmes qui sont en contact direct avec les produits polluants ou dangereux, des solutions existent et émergent. Oublier le pétrole et et le sacro-saint plastique, c’est le créneau de certaines entreprises qui évoluent dans ce que l’on appelle la chimie verte, bleue ou végétale. A l’image de Novamont, leader mondial des bio-plastiques, et dont l’histoire est emblématique d’une reconversion réussie. En 1989 les laboratoires Montedisson, grands pollueurs planétaires, sont rachetés par des investisseurs privés et mettent à leur tête une scientifique, qui dirige encore aujourd’hui l’entreprise de 215 salariés. "Nous voulions fabriquer des matériaux renouvelables et s’écarter peu à peu du fossile, explique le directeur général Christophe Doukhi de Boissoudy, et cela dans une approche globale dans le cadre d’une économie circulaire". Dans les faits, des ressources végétales (amidon, chardons, plantes, déchets végétaux...) sont utilisées pour la fabrication d’un bioplastique nommé Mater-Bi. Il trouve des applications dans le domaine des emballages. Et est utilisé pour le conditionnement des produits biologiques de grandes chaînes, même si il est encore difficile de les trouver en France... Depuis 16 ans, l’entreprise basée à Novara dans le Piémont en Italie s’est engagée aussi dans la production de films, d’adjuvants pour pneus, de films de paillis agricole et de produits pour la maison, réalisés avec des matériaux entièrement biodégradables. A noter que Novamont réinvestit la totalité de ses bénéfices dans la recherche et veut sortir peu à peu de l’amidon, synonyme d’alimentation, pour s’orienter vers des végétaux pas ou peu utilisés. Grand projet pour Novamont, et autre exemple d’action de reconversion, le démarrage d’ici un ou deux ans d’une nouvelle bio-raffinerie basée en Sadaigne. L’histoire est belle, car les installations de l’ancienne raffinerie de pétrole en provenance de Lybie étaient vouées à la destruction ou à l’abandon. Ce sont des champs de chardon, dont la fleur contient des graines, qui vont alimenter désormais la production de bio-monomères et de bio-polymères.
L’algue brune de Saint-Malo
Du côté de la Bretagne, ce sont les algues, biomasse inépuisable, qui par le procédé de la chimie bleue se transforment également en bio-plastique, au sein d’une toute petite mais extrêmement innovante société Algo Pack créée en 2010. Son dirigeant, Rémy Lucas, a expliqué comment il "élève" en écloserie sans eau ni pesticides, la petite algue qui finit en bout de chaîne pour le packaging, la téléphonie ou matériau de bureau. Peu énergivore, la fabrication débouche sur des produits entièrement bio-compostables et la qualité des plastiques obtenus est équivalente aux produits issus du pétrole. A noter également, qu’aucun points de colle ne sont fixés sur les objets produits. Le jeune entrepreneur, qui vise un marché mondial, n’en oublie pas pour autant le développement local. Il travaille avec des ostréiculteurs locaux en difficultés afin qu’ils se diversifient et pouponnent eux aussi les algues. Dans une région plus connue pour ses algues vertes et la pollution, certains sèment des graines d’avenir pour un nouveau cycle raisonné et responsable. Sur les plages de Calvi, algues et vent font excellent ménage.
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LA CHIMIE, QUEL AVENIR ? Avec Christophe Doukhi de Boissoudy, directeur général de Novamont France ; Rémy Lucas, fondateur d’Algopack et Bernard Ughetto-Monfrin, coordinateur CGT Rhodia. Animé par Nathalie Croisé. La chimie, comme les autres industries, fait face aujourd’hui à des enjeux énergétiques et environnementaux majeurs, que ce soit au niveau local ou planétaire. Il est temps de prendre en compte ces problèmes et d’orienter la chimie vers une logique de développement durable. Cette conférence tentera de vous éclairer sur la chimie verte, et l’un de ses dérivés la chimie du végétal.