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Billet de blog 27 janvier 2012

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Petites écoles rurales contre grandes réformes

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Manifestations dans le Lot le 21 janvier

Comme pour les postes ou les services administratifs de proximité, les communes rurales perdent peu à peu leurs écoles. Classes uniques et à petits effectifs, figures de l’école rurale, sont dans la ligne de mire de la course aux suppressions de postes. Elles sont pourtant bien souvent le théâtre d’aspirations pédagogiques qui mériteraient une meilleure attention, tant elles démontrent le pouvoir de l’éducation face aux problèmes de société.

par Christophe Pélaprat sur www.frituremag;info

C’est une actualité devenue tristement récurrente : en ce 12 janvier, parents d’élèves et élus se mobilisent en occupant leur école menacée de fermeture à Latronquière, aux confins du Lot et du Cantal. À quelques dizaines de kilomètres, ce sont d’autres communes qui manifestent le 21 janvier à Figeac, pour les mêmes raisons.
Le nombre d’écoles publiques en France a subi une baisse globale de 10,38 % depuis 1999, dépossédant ainsi plus d’une commune sur trois. Déjà dépecées de leurs autres services publics, les municipalités rurales tremblent chaque année à l’annonce des suppressions de postes pour leurs écoles. Les spécificités géographiques de certains territoires peu peuplés ou plus isolés, que défendent les élus, n’ont pas de faveur particulière aux yeux de l’Académie. « Nous ne sommes plus protégés par la ruralité, oubliée par la modification des cartes scolaires  », constate-t-on au SNUIPP(1) du Lot. Ce « véritable acharnement contre l’école primaire », ainsi que le dénonce le syndicat, vide peu à peu les campagnes de leur once de vie sociale.
Les RPI (Regroupements Pédagogiques Intercommunaux) voient peu à peu se démanteler la répartition intercommunale des classes qui avait permis, dans les années 80-90, à beaucoup de petites communes de conserver leur école. Organisés par cycles, souvent par classes de deux ou trois cours, sur trois ou quatre communes, les RPI avaient réussi à maintenir les conditions d’une école à taille humaine que représentait la classe unique (regroupant tous les cours, des plus petits au CM2). Celle-ci, devenue très rare, a vu son sort réglé depuis longtemps, la tendance étant depuis plusieurs décennies au regroupement de plus en plus concentré, au détriment des classes à petits effectifs, jusqu’au schéma d’une école par canton qui semble aujourd’hui se profiler. Conséquence immédiate de cette évolution, le nombre d’élèves par enseignant et la taille des classes augmentent, entraînant la dégradation des conditions de travail.

La ruralité, berceau de nouvelles méthodes

Mais si parents, élus et enseignants revendiquent avant tout le maintien d’une école pour leur village, peu se font l’écho de la richesse du système éducatif que peuvent représenter les petites classes, uniques ou à deux ou trois cours.
Celles-ci ont souvent été le berceau des pédagogies modernes, notamment celle de Freinet. Dès les années 70, bon nombre d’instituteurs y ont trouvé le terreau favorable à la mise en œuvre des méthodes les plus innovantes. C’était aussi un microcosme de travail et de vie, souvent bien plus qu’un simple poste. « Quand j’ai commencé, nous étions dans une période d’effervescence pédagogique, se souvient Jean Pauly, instituteur lotois à la retraite depuis peu. Nous étions en poste « ménage » dans la même école avec mon épouse, ça a été notre vie, c’est là que nous nous sommes posé des questions sur nos méthodes d’enseignement ». « C’est en école rurale que je me suis le plus épanoui dans mon métier, confirme Jean-Marie Lacan, aujourd’hui directeur de l’école primaire de Cajarc. On expérimente plus de choses, on est moins frileux ».
La cohabitation dans une même classe d’enfants d’âges différents oblige l’instituteur à enseigner autrement, à inventer d’autres moments d’apprentissage et de recherche. « Cela révèle une grande richesse chez les enfants, explique Jean Pauly. Ils apprennent beaucoup de choses entre eux, les grands montrent aux petits, le maître est souvent là simplement pour mettre en place et accompagner ».
Ces écoles multi-âges gagnent en apprentissage, autonomie, esprit d’initiative, solidarité et autodiscipline. Ce sont des lieux privilégiés pour le développement d’une pédagogie de communication, pour l’introduction de technologies nouvelles. Mais surtout, en étant un environnement de proximité, sur plusieurs années et avec le même enseignant, l’école reste un repère pour l’enfant au cours de sa construction, respecte mieux son rythme.
Cette école « à l’échelle enfant », telle que la défend la Fédération nationale pour l’école rurale (2), offre un contexte idéal pour faire de chaque élève un être social, épanoui et libre, bref pour construire des citoyens. Elle ne sacrifie pas pour autant aux exigences de l’Education Nationale : une étude curieusement peu divulguée, émanant du Ministère lui-même, a révélé des résultats équivalents voire supérieurs à la moyenne nationale dans les petites écoles.
Dans un village, l’école est aussi un lieu de vie sociale, un véritable espace d’échange culturel au sein d’une communauté, et le partenariat entre parents d’élèves, enseignant et municipalité s’en trouve facilité.

La pédagogie « un mot oublié »

Qualité de l’enseignement, service de proximité, élément de vie d’un territoire, les écoles de campagne ne manque pas d’atouts et restent plus que jamais un facteur d’attractivité pour beaucoup d’habitants de petites communes. Elles jouent aussi un rôle important d’intégration des populations. Elle ne sont pourtant pas soutenues par tous : considérées comme archaïques, dénigrées par la hiérarchie et des parents d’élèves, fuies par beaucoup d’enseignants, les petites classes semblent avoir peu d’avenir. Déjà, les RPI avaient parfois contribué à fermer trop vite des classes uniques.
Et si les initiatives pédagogiques qu’elles inspiraient pouvaient un temps susciter un peu d’intérêt auprès de la hiérarchie, elles ne font plus… école aujourd’hui. Le « pilotage », maître mot d’une pédagogie guidée de l’extérieur, rend difficile la liberté qui permettait ces expériences éducatives. « C’est comme dans le monde agricole, illustre Jean Pauly. Les experts ont imposé leur savoir aux exécutants, les petites structures font place aux grandes… Les instituteurs sont dépossédés de leur métier, ce sont des agents aujourd’hui ». Les effectifs passés au crible de la logique comptable, le carcan du quantifiable et de l’évaluable, font de la pédagogie un mot oublié.
Cette logique normée destinée à formater les élèves, ce « taylorisme éducatif » dénoncé par le chercheur Bernard Collot (3) accompagnent les évolutions de la société : esprit de consommation, désocialisation, perte de la nécessité de proximité avec les transports individuels (on y revient aujourd’hui).
Les petites classes, en milieu rural mais aussi d’ailleurs en ville, à l’échelle d’un quartier, offrent le milieu adéquat pour privilégier l’école de la vie à une fabrique de l’apprentissage. Leur disparition participe à la mort citoyenne, plus que démographique ou économique, d’un territoire.

(1) Syndicat national unitaire des instituteurs professeurs des écoles et Pegc, affilié à la FSU
(2) La FNER regroupe des associations, des parents, des enseignants, des élus, dans la défense des valeurs pédagogiques de l’école rurale en tant que service public - http://ecole-rurale.marelle.org
(3) Bernard Collot, ardent défenseur de la classe unique et de l’école rurale, dirige le Centre de Recherches des Petites Structures et de la Communication - http://b.collot.pagesperso-orange.fr

Suppressions de postes à tous les niveaux

L’Education Nationale s’acharne sur son objectif principal, qui semble primer sur toute autre considération éducative : supprimer des postes d’enseignants. Alors que, de mémoire d’instituteur, les mouvements d’effectifs se limitaient à une ou deux suppressions au maximum par département, c’est aujourd’hui par dizaines que le Ministère entend réduire le nombre de fonctionnaires. 28 postes d’enseignants à rayer de la carte pour le Lot en 2012, 25 en Aveyron, 34 dans le Tarn… un total de 227 postes sont ciblés en Midi-Pyrénées.
Deux créneaux font particulièrement les frais de la politique gouvernementale. D’une part, les postes d’enseignants hors classe (RASED, conseillers pédagogiques, assistants…), postes qui s’avèrent plus que nécessaires en zone rurale, notamment dans des classes isolées. Près de 2 500 postes d’enseignants Rased vont être supprimés à la rentrée 2012, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) rassemblent des psychologues scolaires et des professeurs des écoles spécialisés dans la lutte contre l’échec scolaire.
D’autre part, les petites sections (enfants de 2 ans). Souvent, obligés de scolariser leurs plus jeunes enfants à la ville la plus proche, les parents y emmènent aussi leurs aînés et ne reviennent pas forcément vers l’école de leur village une fois passée la maternelle. La suppression des classes pour les tout petits met à mal le fonctionnement des RPI, organisés par cycles et censés offrir toute la scolarité de proximité avant le collège.

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