
Qui sont vraiment ces manifestants du 17 novembre et du 13 janvier dernier opposés au mariage pour tous ? Des défenseurs de la famille « 1 papa + 1 maman » aux combattants de la « pédérastie », péché ultime, l’éventail est plus large qu’il n’y paraît. Présentation des forces en présence dans la région, pour essayer d’y voir plus clair.
par Maylis Jean-Préau, Nicolas Mathé sur www.frituremag.info
En novembre 2011, les manifestations devant le théâtre Garonne contre la pièce Golgota picnic, jugée blasphématoire, ont mis un coup de projecteur sur des manifestants peu habitués à battre le pavé. Alors que les catholiques intégristes de Civitas faisaient le siège du théâtre, l’archevêque de Toulouse, Monseigneur Le Gall, s’opposait à de telles pratiques et appelait à une veillée de prière. Comme on a pu le voir lors des récentes manifestations contre le mariage pour tous, les catholiques sont loin d’être unis. Et ceux qui font le plus parler d’eux ne sont pas majoritaires. A Toulouse, si l’archevêque a encouragé les fidèles à se rendre à la Manif pour tous, il leur a recommandé de ne surtout pas défiler aux côtés de Civitas. Pour comprendre l’influence de ces différentes mouvances catholiques, nous nous sommes intéressés à quatre d’entre-elles, à leur positionnement et à leur présence dans le Grand-Sud.
La Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
C’est une petite chapelle dans le quartier Empalot à Toulouse, Notre-Dame du Férétra. Tous les soirs, on y dit la messe en latin. Fondée en 1970 par Monseigneur Lefebvre en réaction au Concile Vatican II jugé trop moderniste, la Fraternité Saint-Pie X a été interdite par le pape en 1975. Cela ne l’a pas empêchée de se développer : présente dans 32 pays, elle compte 560 prêtres. N’ayant pas accès aux églises paroissiales, les intégristes achètent leurs propres chapelles et maisons grâce à un budget annuel de 14 millions d’euros. Leur réseau d’écoles hors-contrat quadrille la France : il y en a une dizaine dans le Grand-Sud. A Toulouse, l’école maternelle et primaire Saint-Jean-Bosco a agrandi ses locaux en 2008 et se trouve au maximum de ses capacités : plus de 70 élèves. En la matière, l’Aude est une terre promise. Les dominicaines, ralliés à la Fraternité, tiennent à Fanjeaux une grosse école tous niveaux pour filles. Ses pensionnaires viennent de toute la France. Pratique pour les familles, une pension pour garçons a été montée à Montréal de l’Aude et reçoit 230 élèves. Un vivier de vocation pour la Fraternité dont les deux tiers des séminaristes français sortent de ces établissements.
Dans la vie de la cité, la Fraternité reste dans l’ombre, même si en 2000 le prêtre toulousain Régis de Cacqueray, aujourd’hui supérieur du district de France, avait protesté à Toulouse contre des films blasphématoires. On retrouve le même homme en 2011 aux côtés de Civitas, lors des manifestations contre Golgota picnic. Dans le dernier bulletin toulousain de la Fraternité, l’abbé de Cacqueray appelle à boycotter la manif de Frigide Barjot : « La présence d’un char gay est une infamie. Comment est-il possible que le péché contre nature puisse être fêté et célébré dans un défilé organisé par des catholiques ? ». Sur les 100 000 fidèles revendiqués, il est impossible de savoir les proportions du mouvement dans le Grand-Sud. Celui-ci a en tous cas été affaibli en 2007 par le geste d’ouverture de Benoît XVI aux intégristes : une partie d’entre eux a rejoint l’Eglise et de nouveaux lieux traditionalistes plus modérés ont ouvert à Toulouse.
L’institut Civitas
Au téléphone, Alain Escada, président de l’institut Civitas, manie la prudence de celui qui ne veut pas en dire trop. Comme pour ne pas attiser l’image sulfureuse de ce mouvement réputé proche de l’extrême droite et dont la volonté affichée est de rechristianiser la France. « Nous récusons le terme péjoratif d’intégristes, nous sommes des catholiques militants fidèles aux doctrines de l’Eglise ». Pourtant dans les faits, Civitas défend une vision radicale de la religion, proche de celle de la Fraternité Saint-Pie X. « Les aumôniers auxquels nous nous adressons sont certes des prêtres de Saint-Pie X, mais nous ne sommes pas organiquement liés », explique le libraire belge. Sur le site de la Fraternité, en tout cas, les appels à manifester contre le mariage pour tous renvoient à Civitas. Dans la région, l’institut a mis en place trois bus pour aller à Paris le 13 janvier. En marge des autres opposants au projet de loi, Alain Escada met en avant sa différence de point de vue : « face à l’attitude gay-friendly de Mme Barjot, nous refusons la normalisation de l’homosexualité ». Médiatiquement, le mouvement a pris son envol en novembre 2011 lors des manifestations contre la pièce Golgota Picnic, notamment à Toulouse. De 90 000, la mailing-list de Civitas est passée depuis à près de 170 000 destinataires. Présent à Toulouse à ce moment-là, Alain Escada assure avoir trouvé dans la ville un écho positif : « Toulouse est une très bonne ville pour nous. Nous avons un réseau de 60 à 80 étudiants sur lesquels nous pouvons compter et beaucoup d’adhérents plus âgés ». Le travail de Civitas consiste également à « fournir des informations aux élus » mais Alain Escada préfère garder le silence quant aux éventuels élus locaux sensibles à son lobbying. « Toulouse ne fait pas partie de notre cœur de cible, balaye-t-il. Pour les municipales, nous encourageons, préparons et assistons des catholiques pour qu’ils se présentent sans étiquette dans des petites communes en vue de créer des îlots de chrétienté ».
- L’intégralité du reportage est à paraître dans le N°18 de Friture Mag, sortie mi-février