
Le Ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, a annoncé 2000 postes supplémentaires dans le secondaire pour la rentrée prochaine, même si on ne sait toujours pas si il s’agit de réelles créations d’emplois. Mais il était temps. Céline à l’école primaire, Julie au collège, Clara au lycée et Marianne à l’université en savent quelque chose. Leur témoignages, recueillis fin 2011, attestent de l’urgence à remettre des moyens dans "L’éduc’Nat’".
par Ludo Simbille sur www.frituremag.info
Cher couche-culotte,
Tandis que tu barbotes innocemment dans ton bac à sable avant de le passer tout court ton bac, tu t’impatientes sûrement de l’odeur de Velleda séché, aux classes surchargées, aux coups de poing dans ton cartable trop lourd. A l’aube de ta scolarité, tu dois légitimement mordiller d’inquiétude ta tétine à l’annonce des récentes suppressions de postes dans l’enseignement scolaire. « 14 280 emplois (mesurés en équivalents temps plein) ne seront pas remplacés en 2012 », selon le dernier projet de loi de finances. Mais ne t’en fais pas, le gouvernement s’occupe de ton avenir. « Cette mesure sera déclinée sur le terrain en tenant compte des marges de manœuvre, spécificités et priorités de chaque territoire en faisant confiance aux acteurs locaux pour ne pas affecter les performances du système éducatif. »
Rassure-toi, ton encadrement pédagogique sera bel et bien assuré. Preuve en sont les 21 200 contractuels de l’éducation. 5 200 à durée indéterminée Cdi, 15 000 à durée déterminée (Cdd) et 1 000 vacataires...
Moins de titulaires pour plus d’emplois précaires ?
CELINE,
A ta première entrée dans la cours des grands, si tu traînes, toi ou un de tes copains, à maîtriser le sujet-verbe-complément, tes paternels peuvent faire appel à des auxiliaires de vie scolaire (AVS) individuelles ou collectives. En espérant qu’elles ne quittent pas leur poste entre ton CP et ton CM2. C’est ce qui va arriver à Céline.
“Jusqu’au 5 mars, j’accompagnerai le même enfant, après, il devra s’adapter au prochain. Ça met sa scolarité en danger.” Et encore, si elle est remplacée. En mars prochain, cette auxiliaire de vie scolaire en poste depuis mars 2006 devra céder sa place dans son école primaire ariégeoise. Car les AVS, chargées en 2003 de l’accompagnement des élèves handicapés, ont une durée d’emploi limitée. Six ans, pas plus.
Embauchée sous le statut d’assistant d’éducation (AED), Céline ne peut excéder six contrats à durée déterminée d’un an. Et encore échappe-t-elle au statut des employés de vie scolaire (EVS) qui travaillent sous contrat aidé à durée déterminée entre six mois et vingt-quatre mois. Ensuite, ni renouvelée, ni requalifiée.
“Y’a pas d’avenir, nos compétences ne sont pas recyclables”. En dépit d’une circulaire de 2008, l’accès à une validation des acquis de l’expérience reste compliquée pour des accompagnateurs travaillant à temps partiel2. Sans équivalence, ils peinent à faire valoir leur expérience ailleurs. Placés sous la direction des professeurs des écoles, les AVS leur viennent en support pour s’occuper des élèves en situation de handicap. “Chacun son rôle”. Sauf qu’il n’y a pas de véritable formation, selon Céline. Hormis un “saupoudrage” de soixante heures et quelques modules supplémentaires. D’autant que la palette des handicaps est plutôt large. “On est sur des missions et non sur la constitution d’un métier”.
Raison pour laquelle les conditions de travail seraient précaires ?
À 600 euros par mois pour vingt heures hebdomadaires, ces emplois sont plutôt destinés à des étudiants bénéficiaires de bourses sur critères sociaux. Mais pour une mère de famille qui souhaite devenir professeur, ”ça laisse du temps pour élever ses enfants”.
Le personnel précarisé est aussi moins enclin à la revendication, “si vous êtes trop revendicative on ne vous renouvelle pas”. En tant que chargée syndicale pour le Snuipp-FSU, elle admet pouvoir réagir aux dérives “sous couvert” de revendications syndicales.
Ce n’est pas le cas de tous les assistants d’éducation. Beaucoup sont isolés, et se raccrochent à l’idée que ça peut durer, raconte-elle. “La précarité empêche de réfléchir ou d’analyser”. D’où la nécessité d’informer, de mobiliser, d’organiser la défense des précaires au niveau académique. Actuellement en lutte, les AVS demandent la création d’un métier et la titularisation des personnes. En guise de réponse, lors de la conférence sur le handicap de juin 2011, Nicolas Sarkozy a annoncé 2000 recrutements « d’assistants de scolarisation », inscrits au PLF 2012. « De fait il ne s’agit que d’un glissement qui diminue d’autant le nombre d’emplois de vie scolaire sous contrats aidés », selon collectif des AVS-EVS 313. En piochant chez les EVS, les « nouveaux » AED, le gouvernement ne créerait pas d’embauche supplémentaire. Pas impossible donc que personne ne remplace Céline en mars prochain. A moins qu’une personne ne soit embauchée par un prestataire privé comme le prévoit « le transfert aux associations de la mission d’accompagnement des élèves handicapés » dans la loi de juillet 20094.
Quoi qu’il en soit, Céline aura le temps de préparer son concours de professeur des écoles comme elle l’envisage. « Mais avec ce qui se profile je me pose la question ». Même à 43 ans, la précarité, ça fait réfléchir.

JULIE, prof d’histoire-géographie
De la 6ème à la 3ème, tu apprendras en bon collégien les ancêtres gaulois, les rois de France et les fleuves hexagonaux grâce à Julie, sans te rendre compte qu’elle n’est pas diplômée de l’Education nationale.
Il a fallu attendre sa 10ème rentrée pour que Julie prépare le concours du Capes en interne. Elle suit depuis septembre dernier les cours du programme de Reconnaissance des Acquis de l’Expérience Professionnelle. Une campagne de titularisation pour les enseignants. Neuf ans après avoir commencé à enseigner l’histoire-géo dans un collège de la région toulousaine.
A l’origine, c’était une « envie de bosser », à la suite des études, d’un bout de vie à l’étranger et d’un enfant. Après une candidature auprès du rectorat pour être prof, AVS ou AED, elle reçoit un appel fin août 2011 pour un remplacement début septembre. Et ça dure depuis.
Le Capes, elle l’avait bien envisagé les premières années, seulement elle avait trop « la tête dans le guidon » pour le préparer. Comme pour tous les professeurs débutants, « la charge de travail est énorme ». En plus, avec un Bac+4, « t’oses pas dire que tu galères, a priori t’as le niveau adéquat pour enseigner. J’ai mis quatre-cinq ans à vraiment savoir construire un cours à partir des programmes, sentir les gamins, définir un objectif très précis. Mais ça, ça n’a rien avoir avec le statut de contractuel. »
Ce qui a à voir en revanche avec la multiplication des Cdd de douze mois, c’est « l’angoisse d’être sur un siège éjectable » au gré des politiques de budget. Cette précarité dure six ans au bout desquels Julie est requalifiée en Cdi, conformément à ce que prévoit la loi5. « Jusqu’au CDI, tu t’interroges : “J’ai pas fait une connerie, est-ce qu’il y a pas un titulaire, prioritaire, qui va prendre ma place ?“ ». Au fil des rentrées, Julie fait partie intégrante de l’équipe enseignante et se pose moins la question de son renouvellement. Au quotidien, elle dit ne pas avoir le sentiment qu’elle a un statut différent de ses collègues : « ça ne change rien à mon travail, la seule chose qui me le rappelle c’est ma feuille de paye à la fin du mois ». C’est-à-dire quatre ou cinq cent euros de moins, sans possibilité d’évolution de carrière.
Autre différence qui lui rappelle son statut, la possibilité de lutter. Même si Julie a déjà fait grève, elle avoue, tout en gardant son caractère, ne pas « ouvrir sa gueule ». La titulaire en devenir se méfie des retours de bâtons. Tant pour son statut que pour son concours. « J’ai pas envie qu’on me dise “votre Capes, c’est « non » parce que vous avez craché sur l’Education nationale“ ».
Et cela ne risque pas de s’arranger avec l’autonomisation du chef d’établissement lancée récemment par le gouvernement. Son avis importe pour le renouvellement de contrat et c’est lui qui contre-signe le dossier déposé au Capes interne. En cas de litige avec un parent, quelle sera la réaction du proviseur ? s’interroge Julie. Conférer au principal plus de pouvoir reviendrait à ce qu’ « un DRH gère une équipe de profs ».
Dans ce contexte, la titularisation devient une protection non négligeable. C’est aussi une façon de gagner « un peu plus de fric » et d’apparaître plus « légitime » à sa onzième rentrée. Pourtant, titulaire ou contractuel, Julie prévient : « tu peux pas faire ce boulot si t’aimes pas ce que tu fais ...
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