
Emmmanuel Grimault©
Quand dans la centrale nucléaire de Golfech (Tarn et Garonne) la société anonyme EDF, propriétaire du lieu, cherche à faire des économies, ce sont les travailleurs qui sont les premiers exposés. Renouvellement problématique des compétences, arrêts de tranche tendus par une logique de rentabilité, prestataires de moins en moins qualifiés et de plus en plus précarisés, Golfech ne déroge pas aux règles libérales du marché.
Ce reportage est le premier volet d’une série de quatre à paraître tout au long du mois de mai sur les centrales nucléaires de Golfech et du Blayais (Gironde) sur www.frituremag.info
Avec 6 milliards de bénéfice et une augmentation annoncée de près de 30% du tarif de l’électricité prévue sur trois ans, on peut s’interroger sur le rapport sûreté nucléaire / profits financiers. La logique libérale de maximisation des profits touche, dans le nucléaire, ses limites. La tragédie de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, exploitée par l’opérateur privé Tepco, n’invite-elle pas à repenser l’ouverture à la concurrence et le processus de privatisation engagé à EDF ? L’externalisation des services de maintenance ne doit-elle pas être remise en question, afin de reconstruire de réelles compétences durables et stables ?
Départ inquiétant des compétences
Jacques Lacombe est automaticien à Golfech depuis 1989. Il est aussi secrétaire général CGT et secrétaire du comité d’établissement. Son inquiétude grandit lorsqu’il voit année après année disparaître les compétences des employés d’EDF, mais aussi des salariés des entreprises sous-traitantes. « Le renouvellement des personnels se fait à un rythme beaucoup trop lent » explique-t-il. Le pic de départ à la retraite est prévu vers 2015-2017 et l’entreprise cotée en bourse depuis 2005 remplace au dernier moment, par soucis d’économie. « Dans les dix années à venir on va perdre tous les bâtisseurs de la centrale, ceux qui ont vécus le démarrage de la centrale. Avec la politique de remplacement d’un salarié sur trois, on perd inévitablement des compétences. »
Le savoir-faire, une garantie de sûreté, de moins en moins garantie
Or, le savoir-faire et la connaissance des installations et des tâches quotidiennes s’acquièrent progressivement. Piloter un réacteur nucléaire, réparer une vanne ou une machine tournante, c’est mettre en relation une multitude de connaissances et de petits trucs du métier. La surveillance des installations par le rondier est aussi affaire de compétences. Faire la « ronde » des installations, c’est rendre compte au pilote que tout est en état. Thierry Raymond, rondier à la centrale du Blayais explique que lors d’un arrêt de tranche « on isole tous les circuits et on vidange, et quand on redémarre il faut « religner », c’est à dire remettre toutes les vannes dans le bon sens et en avertir le pilote, car il n’a pas d’indicateurs électroniques ». Ce travail est en fait le fruit d’une analyse de situations expérimentées dans le passé. Les anciens sont porteurs de cette expérience et sont les seuls à pouvoir assurer cette transmission aux plus jeunes.
80% de la maintenance aux sous-traitants
La maintenance et le rechargement en combustible de chaque réacteur, que l’on appelle « tranche » doit se réaliser une fois par an. Le réacteur est alors mis à l’arrêt. A la centrale de Golfech, qui compte deux réacteurs, l’arrêt de tranche nécessite des interventions dans les zones les plus contaminées. C’est là qu’interviennent les prestataires extérieurs. Ils représentent environ 80% des agents pendant ces moments sensibles, soit près de 400 travailleurs. C’est ce qui fait dire à la sociologue Annie Thébaud-Mony (1) que « plus de 80% de la dose collective d’irradiation reçue dans l’industrie nucléaire est supportée par les travailleurs extérieurs ». Cette logique d’externalisation des risques date de 1988. A partir de cette date, « la stratégie du parc Nucléaire français est de sous-traiter la quasi-totalité de l’exécution des travaux de maintenance en ne gardant, à l’interne que les tâches de préparation et de contrôle de ces travaux. Le volume de maintenance sous-traitée passe en 5 ans de 20 à 80% », précise la sociologue....
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Reportage Christophe Abramovsky