
Partie du port des Calonges le 15 juillet dernier, une vingtaine de bateaux en bois a rejoint le port du Tourne dans le département de la Gironde, après cinq jours de navigation sur la Garonne et l’estuaire. Une manifestation organisée par l’association des Chantiers Tramasset qui a redonné naissance aux chantiers navals du même nom, après plusieurs années de cessation d’activité.
Par Thomas Belet sur www.frituremag.info
Depuis 1997, c’est devenu une tradition. Aux alentours de la Fête Nationale, quinze à vingt bateaux se rejoignent pour une navigation de 4 ou 5 jours sur les plans d’eaux girondins. La RBBAIB (Rencontre des bateaux en bois et autres instruments à vent), selon le terme approprié, fêtait cette année son 16ème anniversaire avec des embarcations venues de divers coins de l’hexagone autour d’un point commun : le bois. Pour cette édition, les navigants ont mouillé l’ancre dans les ports de Calonges et de Vitrezay sur l’estuaire de la Gironde, avant de rejoindre la Garonne et de faire escale dans les ports de Macau, de Lormont et du Tourne, leur destination finale.

C’est aussi sur cette commune de 700 âmes située à mi-distance entre Bordeaux et Langon que se déroulait « La Fête à Terre », dernière étape de la navigation pour une fête de deux jours. Près de 3000 personnes ont participé à l’événement aux Chantiers Tramasset, aujourd’hui inscrits à l’inventaire des Monuments Historiques.
Des chantiers classés au patrimoine
Il faut remonter à la première moitié du 19ème siècle pour retrouver trace des chantiers dans le paysage Tournais. C’est en 1837 que la famille Tramasset fonde le chantier de construction navale qui portera son pseudonyme et fonctionnera pendant près de 150 ans. Il faisait partie des six chantiers du Tourne et de Langoiran (commune voisine) qui construisaient des yoles, des filadières, des coureaux, des gabares et des sapines pendant la période où les bateaux en bois assuraient le transport sur la Garonne. Dans les années 30 on compte jusqu’à 40 ouvriers qui travaillent sur le site, mais les chantiers ne résisteront pas à l’arrivée des techniques modernes de construction. Peu à peu, le bois, les gabares et la charpente marine sont délaissés au profit des matières synthétiques et en 1985, les chantiers Tramasset cessent leur activité. Rapidement, la mairie du Tourne se rend compte de l’intérêt historique d’un tel lieu et décide de se porter acquéreur des locaux pour éviter qu’ils ne tombent à l’abandon. Mais il manque encore un projet pour refaire vivre ses lieux, témoins de l’histoire locale et du passé maritime du fleuve Garonne. La rencontre aura lieu en 1992 par l’intermédiaire d’une association d’éducation populaire de la banlieue bordelaise : L’école des sentiers sauvages.

Une association d’éducation populaire à la base du projet
Autour de la personne de Christian Coutzac, ils prônent une pédagogie alternative pour les jeunes en difficulté sociale et oubliés du système scolaire classique. A titre d’exemple, une caravane sera organisée au Maroc autour de l’idée des séjours de rupture avant que Christian Coutzac ne découvre les Chantiers Tramasset et ne tombe sous le charme du lieu. « Il voulait mener un projet autour des canaux d’Europe quand il est tombé sur le lieu et a complètement flashé dessus. Au début ils voulaient réhabiliter une péniche mais très vite, ils ont décidé de mettre en lien le savoir-faire des gens sur place pour construire eux-mêmes une embarcation et découvrir ainsi le métier de charpentier naval. A l’époque la mairie venait de racheter le lieu et cherchait justement à le faire revivre, c’est dans ce contexte qu’est né le projet des chantiers Tramasset tel que nous avons pu le connaître par la suite », témoigne Etienne Sajous, salarié de 2003 à 2013 et directeur de l’association de 2009 à 2013. Petit à petit, le projet se structure, jusqu’à se doter d’une forme juridique associative avec la publication des statuts au Journal Officiel du 5 septembre 1997. Dès l’origine, il est écrit dans les statuts que l’association se fixe pour but de « promouvoir le patrimoine naval et local des chantiers Tramasset, d’en faire un lieu de rencontres et d’échanges entre générations autour du patrimoine maritime et fluvial, de favoriser l’insertion des personnes en difficulté, de perpétuer les techniques traditionnelles de charpente navale notamment par la formation professionnelle, ou encore de développer des activités liées au fleuve, éducatives, artistiques, techniques, de loisirs et de sensibilisation... ».

Un premier objecteur de conscience assure la pérennité du projet, avant que des premiers jeunes en contrats aidés ne partent se former à la charpente marine aux Ateliers de l’enfer à Douarnenez. Des ponts se créent. Le rapprochement avec les services sociaux de Bordeaux et de la communauté de communes dont dépendent les chantiers s’opère à la même période. De 1997 à 2004, un premier bateau en restauration servira de fer de lance, l’Audiernais. Cette ancienne gabare traditionnelle du Finistère, classée au titre des Monuments historiques depuis 1988, sera mise en cale-sèche aux Chantiers Tramasset en 1998 pour une restauration qui durera six ans. En 2004, l’Audiernais est remis à l’eau et se pose la question de l’avenir de l’association. Un deuxième cycle intervient entre 2004 et 2009 avec le développement des chantiers d’insertion. Une cinquantaine de personnes seront accueillis pendant cinq ans pour se former à la charpente marine, dans une logique sociale et professionnelle qui n’a depuis jamais quitté les chantiers.
« Demain le fleuve »
« Aujourd’hui, nous sommes engagés dans un troisième cycle depuis 2009 avec la construction du Coureau dans le cadre de notre projet Demain le fleuve. Il s’agit d’un bateau qui appartient au patrimoine local. C’est une réplique d’un bateau qui a été construit ici, et qui y restera. Notre désir a toujours été de revaloriser le fleuve et d’éviter qu’il tombe en friches », ajoute Etienne Sajous, ancien directeur qui vient de passer le relais à Bernard Bordes, éducateur spécialisé de formation...et fils de charpentier. Le bateau, qui mesurera plus de 16 mètres de long et pourra accueillir une quarantaine de passagers à son bord, devrait surtout servir au transport de passagers afin de faire redécouvrir le fleuve Garonne en son sein, par les flots. Pour autant, la fonction première du Coureau n’est pas occultée par les acteurs des Chantiers Tramasset qui y voient aussi une opportunité de refaire vivre le transport de marchandises pendant la saison d’hiver. « Nous espérons au fond de nous que l’on reviendra un jour à ça, c’est une nécessité quand on voit ce qui nous attend », commente Etienne Sajous. Au-delà des formations de charpente et de l’insertion sociale, de la navigation et de l’entretien des bateaux, les Chantiers Tramasset ont dès leur origine axé sur la volonté d’agir dans le paysage culturel de l’entre-deux-mers. Plus récemment, une fanfare-chorale a fait son apparition au sein même des chantiers. Elle s’est notamment produite cette année encore pour la Fête à Terre qui clôturait cette 16ème RBBAIB. Passionnés de voile, charpentiers, mémoires locales ou simples habitants intéressés par le dynamisme des actions de l’association, une des forces de l’association vient certainement dans la diversité des gens qu’elle fédère autour d’un territoire et de valeurs communes : les bateaux, le fleuve et le partage.

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