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Billet de blog 3 septembre 2023

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Mort d'un ancien d'Algérie

Mon père a été enterré aujourd’hui. Il avait 84 ans. Il a connu, enfant, la Seconde Guerre mondiale et entre 1959 et 1961, il était soldat du contingent et a fait une guerre qui ne portait pas de nom, « la guerre d’Algérie ».

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Mon père a été enterré aujourd’hui.

Il avait 84 ans. Il a connu, enfant, la Seconde Guerre mondiale et entre 1959 et 1961, il était soldat du contingent et a fait une guerre qui ne portait pas de nom, ‘’la guerre d’Algérie’’, ‘’guerre d’indépendance ‘’ pour les Algériens.

Je lui dois en partie mon goût pour l’histoire. Quand j’ai grandi enfant, j’ai été nourri de son passé. La guerre d’Algérie n’était pas tabou chez nous. Il n’en parlait pas souvent, mais elle était présente : tous les mois, ‘’L’Ancien d’Algérie’’ était dans le courrier, régulièrement il allait à Saint Etienne participer à des réunions de la commission juridique de la FNACA[1]* et je l’ai vu ‘’combattre’’ pour la reconnaissance, pour ces soldats, du statut d’ancien combattant et la mise en place de lieux de mémoire. Chaque fois que je croise, dans un village français, une Place ou une Rue ‘’du 19 mars 1962, fin des combats en Algérie’’, les leçons de l’école résonnent désespérément dans le vide, mais je pense avec fierté à lui et ses luttes, avec d’autres camarades, pour cette odonymie du souvenir.

Car je n’ai jamais partagé cette histoire avec des enfants ou des adolescents dont les pères n’avaient pas été combattants en Afrique du Nord (ou bien ne l’évoquaient pas chez eux). J’avais mes copains d’école, mes copains du foot, mes copains du milieu professionnel de mon père et mes copains de la FNACA : quand un banquet ou une sortie étaient organisés par cette dernière, je retrouvais ces gamins-là que je ne côtoyais jamais sinon. Durant toute ma scolarité jusqu’au baccalauréat, cette ‘’Histoire’’ a été passée sous silence, sans que je ne réalise alors à quel point c’était dramatique, puisque moi, enfant des années 1970, je l’intégrais totalement.

Quand j’ai repris des études d’histoire à plus de 50 ans à Bruxelles, je me suis rendu compte que la même chape de plomb régnait quant au passé colonial du Royaume de Belgique au Congo, au Ruanda et au Burundi. Au début des années 1960s, toute référence à la présence belge en Afrique a pratiquement été invisibilisée dans les milieux politique, médiatique, social et scolaire, alors que tous en étaient imprégnés jusqu’alors[2].

Ce qui a été, dans les deux cas, enfouis dans les mémoires collectives à l’époque est désormais très bien documentés grâce à de nombreux travaux d’historiens, lesquels ont largement permis de très largement baliser évènements, faits et témoignages déjà présents à l’époque.

Le monde que quitte mon père est différent, parfois pire, parfois meilleur que celui qu’il a connu à différents moments de sa vie. Pourtant, dans ces derniers instants, mon père explique à ses petits-enfants, dans le livre de souvenirs qu’il leur a laissé, pourquoi il n’aimerait pas vivre sa jeunesse de nos jours : « Nous ne prenons plus le temps de vivre, je trouve que beaucoup de choses dépendent maintenant d’une course effrénée au profit ; tout se fait dans la précipitation sans prendre le recul d’analyser les situations au fond. Aujourd’hui les gens vivent mieux qu’à l’époque où j’étais jeune ; en même temps, je suis sidéré du fossé qui s’est creusé entre ceux qui ont du mal à gagner leur vie et ceux qui au contraire sont gavés de pognon. ».

Humainement, la société de 2023 reflète celle de 1938, avec la haine comme matrice sociale des femmes et des hommes publics, responsables politiques, économiques et journalistes.

Comment, dans des décennies, les peuples, à la traine des historiens, considèreront nos comportements envers les pauvres, les personnes âgées, les travailleurs, les étrangers, les réfugiés, tous ces laissés-pour-compte que des pans entiers de notre ‘’civilisation’’, font passer pour des privilégiés, comme les Algériens et les Congolais ‘’profitaient largement de la civilisation européenne’’ quand celle-ci colonisait leur territoire ?

[1]     FNACA : Fédération Nationale des Anciens Combattants d’Algérie et d’Afrique du Nord.

[2]     Par extension, on pourra écouter avec profit le commentaire du traducteur et essayiste Olivier Mannoni dans l’émission ‘’Histoire de’’, podcast de France inter du 5 février 2023, sur le même phénomène en Allemagne après la chute du nazisme. Site internet [https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/histoire-de/histoire-de-du-dimanche-05-fevrier-2023-9980199] (Consulté le 8 juin 2023)

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