Le député macroniste M. Quentin Bataillon était totalement inconnu de la population française il y a trois jours. Il en était de même pour moi, il y a quelques semaines, jusqu’à sa première saillie dans le cadre de la commission parlementaire sur les renouvellements des droits TV qu’il préside. Cette intervention fut pour empêcher le rapporteur de la commission, M. Aurélien Saintoul de faire correctement son travail en posant ses questions à la ministre de la culture Mme Rachida Dati, le 21 mars 2024[1]. Compte-tenu des enjeux de cette commission et la place que joue, dans ce contexte, la représentante du gouvernement sur ce dossier, cet acte symboliquement violent me semblait requérir l’attention tant des personnes soucieuses de la crédibilité de cette commission que de celles inquiètes du rôle du Parlement dans la conduite institutionnel du pouvoir en France, déjà largement entamé depuis plusieurs mois : vote de la loi sur les retraites et de la loi immigration[2], mensonges ministériels impunis et assumés[3], ...
Deux autres auditions, respectivement celles de MM. Cyril Hanouna et consorts et Yann Barthès et consorts, ont ensuite confirmé que ce personnage semble n’avoir été désigné à ce poste qu’en vue de contrôler cette commission d’enquête, afin de jeter le discrédit sur le rapporteur et de laisser les employés de M. Vincent Bolloré et les élus d’extrême-droite bénéficier d’une caisse de résonnance favorisant leurs intérêts[4]. Le silence complice des outils d’information traditionnels, parmi lesquels ceux de service public, combiné avec la pression quotidienne des animateurs des chaines d’opinion au service des capitaines d’industrie, récents conquérants médiatiques, semble désormais ouvrir la voie au développement de discours visant à discréditer toute réflexion critique autour de l’attribution des canaux de diffusion audiovisuels.
Le 2 avril 2024, M. Q. Bataillon a enfoncé le dernier clou dans le cercueil de la commission par sa participation, débonnaire et décontractée, à une émission de M. C. Hanouna, sur une des chaines appartenant à M. V. Bolloré[5]. Il a notamment reconnu apprécier ce programme et fustiger ceux qui le ‘’méprisent’’. Nul besoin de rappeler ici les manquements successifs desdites émissions et chaines aux lois de la République, relevés soit par l’ARCOM[6], soit par les tribunaux[7]. Bien que négligées par le milieu politico-médiatique, ces infractions, répétées et connues, aux principes de base de la Constitution Française constituent non seulement un danger pour la solidarité collective nationale, mais également un terreau fertile pour l’expansion de la haine envers les plus faibles et démunis des habitants de ce pays.
Ainsi, une séquence, globalement passée inaperçue, d’une émission de M. C. Hanouna du 25 mars, montre l’étendue des préjudices récents causés, entre autres, par ces médias, à des normes humaines comportementales civilisées, patiemment bâties et acquises de haute-lutte, au fil des siècles d’histoire. L’animateur, en montrant complaisamment des images des individus présentés par les autorités russes comme étant les auteurs de l’attentat commis à Moscou le 22 mars 2024, s’est lancé dans une longue apologie publique de la torture, que les autorités policières ou militaires devraient être autorisées à pratiquer. Une seule, parmi la dizaine de chroniqueurs présents, a tenté de faire entendre une voix légèrement discordante, avec, pour conséquence, de subir en représailles des propos d’une agressivité et d’un mépris incompatibles avec les conditions d’un débat raisonnable[8].
Bilan effarant de ce fracas médiatico-burlesque : un membre du parti du Président de la République, M. Emmanuel Macron, spécifiquement chargé d’une mission essentielle pour garantir la préservation de la pluralité et de la diversité des sources d’informations dans le paysage audiovisuel français, vient faire allégeance à une entreprise et un individu dont les propos, dans ce cas précis, visent à légitimer et encourager l’usage par la République de la torture, dans un projet plus vaste de dénonciation du laxisme de la justice française.
Il n’a pas échappé aux nombreux commentateurs que le rôle de cet individu dans la commission était désormais, en pratique (mais pas officiellement, puisque responsable, avec le rapporteur, de la présentation publique des résultats), terminé. Il n’est pas chargé de la rédaction du rapport. Quel sens alors donner non seulement à son comportement, suivi de ses explications assumant pratiquement l’entièreté de celui-ci[9], ainsi que le soi-disant ‘’sermon’’ de la présidente de l’Assemblée Nationale, Mme Yaël Braun-Pivet ou les prétendues réactions ‘’furieuses’’ au plus haut niveau de l’Etat[10] ? Veut-on vraiment nous faire croire que l’individu, proche, parait-il, du premier ministre[11], a pu agir ainsi sans répondre à une exigence du Président de la République et de la Présidente de l’Assemblée Nationale ou, au minimum, sans avoir leur feu vert ?
Clairement, les travaux issus de la commission d’enquête parlementaire, doivent, pour les plus hautes autorités de l’Etat, être disqualifiés et, de ce fait, caduques en ce qu’ils attaquent les médias de M. V. Bolloré. Les attributions de canaux audiovisuels aux multinationales industrielles et financières, dont certaines, comme celle à TF1, remontent à plus de trente ans, sans jamais n’avoir été questionnées, ne seront pas remises en cause, à l’inverse du financement du service public d’audiovisuel, cible annoncée de la ministre de la culture[12]. Même si ceci, en soi, est déjà d’une tristesse révoltante, ce n’est pourtant pas le plus grave : en envoyant M. Q. Bataillon faire le pitre chez M. C. Hanouna, les dirigeants du pays entendent montrer à nouveau, mais cette fois-ci en pleine période électorale, à la population, que les ‘’idées’’ exprimées dans ce vivier réactionnaire, sont celles qui guident pleinement l’action gouvernementale[13]. Les violences subies par la population par les comportements des élus de la République depuis plusieurs années ne semblent avoir été que des prémisses quant à la ligne à suivre dans les mois à venir.
[1] Extraits de l’audition, sélectionnés par la chaine LCP : https://www.youtube.com/watch?v=bGKDKeKsepg
[2] Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Sorbonne-Panthéon (Paris 1) ‘’L’exécutif piétine consciemment un État de droit qu’il est pourtant plus que jamais nécessaire de défendre’’, Le Monde, 26 décembre 2023 p. 26 https://academia.hypotheses.org/54671#more-54671
[3] Parmi de nombreux arrangements avec la vérité, Mme Amélie Oudéa-Castéra a notamment menti devant une commission d’enquête parlementaire, celle sur le sport français, en affirmant que son travail à la Fédération Française de Tennis ne coutait rien au contribuable français alors que l’institution est subventionnée à hauteur de 1,45 M€ par l’Etat en 2022 : Cf. notamment https://www.mediapart.fr/journal/france/220124/federations-sportives-le-rapport-parlementaire-etrille-amelie-oudea-castera
Le mensonge devant la représentation nationale est un comportement assumé par les ministres, les députés et personnalités politiques qui entourent le Président de la République. Pour un florilège récent, cf. notamment https://www.politis.fr/mensonges-de-la-macronie/.
[4] Les auditions complètes sont visibles sur les sites suivants
- Y. Barthès : https://www.youtube.com/watch?v=MyuLK9R8aAQ
- C. Hanouna : https://www.youtube.com/watch?v=qkdok_FCUcU
Des extraits des auditions sont visibles dans l’émission Vu de France TV :
- du 15/03/2024 pour M. C. Hanouna : https://www.youtube.com/watch?v=r2LYZCLr6I8
- du 28/03/2024 pour M. Y. Barthès : https://www.youtube.com/watch?v=G-DhvU93dWU
[5] Des extraits de l’émission sont visibles dans l’émission ‘’Vu’’ de France TV du 03/04/2024, à partir de 3mn00 https://www.youtube.com/watch?v=elSs0KU2eJE
[6] Cf. notamment https://www.radiofrance.fr/franceinter/toutes-les-fois-ou-cyril-hanouna-et-tpmp-ont-ete-rappeles-a-l-ordre-par-l-arcom-4352940
[7] Cf. ‘’ Pluralisme et indépendance de l’information : l’Arcom devra se prononcer à nouveau sur le respect par CNews de ses obligations’’ Décision du Conseil d’Etat du 13/02/2024 https://www.conseil-etat.fr/actualites/pluralisme-et-independance-de-l-information-l-arcom-devra-se-prononcer-a-nouveau-sur-le-respect-par-cnews-de-ses-obligations
[8] Cf l’article ‘’Hanouna et la justice : du laxisme français à l’efficacité russe’’ de Sherlock Com’ du 31/03/2024 sur le site ‘’Arrêts sur images’’ : https://www.arretsurimages.net/chroniques/plateau-tele/hanouna-et-la-justice-du-laxisme-francais-a-lefficacite-russe
Des extraits de l’émission sont visibles dans l’émission ‘’Vu’’ de France TV du 26/03/2024, à partir d’1mn30 https://www.youtube.com/watch?v=1UuB7UvqXHM
[9] Célyne Baÿt-Darcourt, Quentin Bataillon invité de "Touche pas à mon poste !" : "C'était une maladresse et je le regrette", reconnaît le député, Radio France, 04/04/2024 https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/info-medias/quentin-bataillon-chez-hanouna-c-etait-une-maladresse-et-je-le-regrette-affirme-le-depute_6436702.html
[10] Yunnes Abzouz, Pauline Graulle, « L’affaire Bataillon » précipite la commission d’enquête sur la TNT dans le grand-guignol, Médiapart, 03/04/2024, https://www.mediapart.fr/journal/politique/030424/l-affaire-bataillon-precipite-la-commission-d-enquete-sur-la-tnt-dans-le-grand-guignol
[11] Dinah Cohen, Quentin Bataillon, le député qui se frotte à CNews’’, L’Opinion, 29/02/2024 https://www.lopinion.fr/politique/quentin-bataillon-le-depute-qui-se-frotte-a-cnews
[12] Cf. Laurent Mauduit, Milliardaires et politiques : la liberté de l’information toujours plus menacée Médiapart, 20/03/2024, https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/200324/milliardaires-et-politiques-la-liberte-de-l-information-toujours-plus-menacee
[13] Cf. par exemple Sonia Devillers, Hanouna, la Macronie par excellence ? podcast France Inter du 20/05/2021 https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-m/hanouna-la-macronie-par-excellence-8632434