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Billet de blog 21 avril 2024

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Quelques tendances académiques récentes en Histoire en Belgique

Depuis 2006, le Centre d’Etudes Guerre et Société (CEGESOMA), centre belge d'expertise sur l'histoire des conflits du XXe siècle, organise à Bruxelles la Journée ''Jeunes Historiens'' au cours de laquelle de récents diplômés en Histoire des universités de tout le pays viennent présenter en une dizaine de minutes leur mémoire de fin d’études. L’édition 2024 s’est tenue le 19 avril.

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Comme l’a mentionné M. Nico Wouters, directeur, dans son discours introductif, cet évènement est incontournable pour découvrir les tendances les plus suivies dans les dernières recherches historiques et les points communs et différences en la matière entre les deux régions du Royaume, voire entre les différentes universités. Il a d’ailleurs fort opportunément rappelé que les politiques en matière de recherche et d’enseignement étant complètement étanches entre les deux côtés de la frontière linguistique[1], le CEGESOMA constitue l’une des rares plateformes de dialogue entre les différentes institutions académiques du pays.

Vingt jeunes historiennes et historiens ont été invité.es lors de cette journée bilingue, chacun s’exprimant dans sa propre langue. A l’exception de la Vrije Universiteit Brussels (VUB), toutes les universités belges proposant un second cycle en histoire étaient représentées : du côté francophone un orateur était issu de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), deux de l’Université de Liège (ULg) et cinq de l’Université Catholique de Louvain (UCL) ; sept diplômés néerlandophones provenaient de la Katholiek Universiteit Leuven (KUL), trois d’Universiteit Gent (UG) et deux d’Universiteit Antwerpen (UA).

Cinq sessions successives, chacune se terminant par un échange avec la salle, avaient été organisées autour de thématiques spécifiques.

  • De la Première à la Seconde Guerre : échos, institutions et identifications[2]

P.-A. Du Bus de Warnaffe (ULB) s’est intéressé au rôle joué par le Personal-Ausweis mis en place par les autorités allemandes lors de l’occupation de la Belgique entre 1914 et 1918 afin d’obliger chaque individu à avoir en permanence sur soi un document d’identité ; il a travaillé notamment sur son lien avec la mise en place d’un registre central de la population et sur son influence dans l’établissement, après la guerre, de la carte d’identité obligatoire en Belgique. M. D. Esteban Vigon (ULg) a analysé l’évolution, dans l’entre-deux-guerres, ‘’d’un institut de crédit mal connu’’, la Société Nationale de Crédit à l’Industrie (SNCI). Malgré trois temporalités bien distinctes durant la période, l’institution chargée d’aider à la reconstruction du pays, des investissements, mais aussi des soutiens pendant la crise, a davantage servi la volonté des banques privées du pays que l’intérêt général. Enfin, M. T. Hacha (UA) a étudié la manière dont les autorités ont surveillé les marins communistes étrangers dans le port d’Anvers entre 1922 et 1933. Les activités d’agitation révolutionnaire et les échanges entre matelots de différentes nationalités faisaient de ces acteurs (lettons, estoniens, russes, entre autres) des cibles privilégiées de répression de l’Etat.

  • Un certain regard : la Seconde Guerre mondiale sous le prisme de journaux intimes

N. Bernard (UCL) a décortiqué les journaux intimes des Belges sur les routes de l’exil, notamment vers le Sud de la France, entre mai et septembre 1940, pour essayer de percer les sentiments de ces réfugiés. Les émotions négatives dominent et leur situation s’aggrave encore après la déclaration du 28 mai du premier ministre Français Paul Reynaud, à tel point que la question se posera : ‘’Partir était-elle une bonne décision ?’’. Mme L. Mahieu (UCL) s’est concentrée sur la bataille des Ardennes (16/12/1944-28/01/1945) et les émotions provoquées par le retour des Allemands dans la région. Pour les diaristes, tous civils, un ressenti négatif (tristesse et peur) s’impose avec l’offensive nazie et les bombardements alliés subis avant les sentiments d’attente, d’espoir, puis enfin de soulagement avec la Libération, cette fois définitive[3]. Enfin, Mme M. Salamone (UCL) s’est penché sur les journaux intimes belges durant la Guerre pour analyser les récits sur la Shoah. Les commentaires sur le traitement réservé aux juifs évoluent du scepticisme (‘’bobards invraisemblables’’) et l’étonnement (‘’untel (avec l’étoile jaune) n’a pourtant pas l’air juif’’) à la colère ressentie (mais non publiquement exprimée), surtout à Bruxelles et Anvers, au fur et à mesure que les violences physiques s’accumulent.

  • Front de l’Est, victime civiles et résistants en Belgique[4]

S. de Baedts (UG) a consacré son mémoire aux soldats flamands de la Seconde Guerre mondiale ayant combattu sur le Front de l’Est et tout particulièrement sur leur radicalisation entre 1941 et 1944. De son côté, M. R. Lateur (UG) a analysé le comportement de résistants en Flandre, à savoir les cheminots de la SNCB dans la région de Malines, couvrant également les zones de Louvain, Tirlemont et Landen. M. J. Raemdonck (UA) s’est interrogé sur l’activité des correspondants de guerre SS flamands sur le Front de l’Est et sur l’efficacité de leur propagande. Enfin M. W. Roelant (UG) a compulsé en détail les pensions versées aux victimes civiles du bombardement subi par la localité de Mortsel (05/04/1943), pour examiner si des personnes en avaient été exclues car ayant travaillé volontairement pour l’ennemi.

  • Guerre froide : échos d’ici et d’ailleurs

L. Ginefra (UCL) est revenu sur un épisode méconnu des années postérieures à la décolonisation du Congo belge, à savoir l’expérience congolaise de Che Guevara d’avril à novembre 1965 ; recherchant les causes expliquant l’intérêt castriste pour la rébellion de L.-D. Kabila et les facteurs de l’échec de l’opération, il voit dans cette expédition les prémisses de la politique cubaine à venir en Afrique. M. D. Sanchez Rodriguez (KUL) s’est attaché à retracer l’histoire de l’organisation antifasciste flamande ‘’Anti-Fascistisch Front’’ (AFF) entre 1973 et 2000. Ses luttes contre le fascisme, le racisme et l’apartheid peuvent être temporalisées de deux façons : collectif de différentes organisations jusqu’en 1982, le mouvement fut ensuite composé de militants individuels ; sur le discours, la rhétorique marxiste anticapitaliste avant 1985 a progressivement misé sur l’antiracisme pour, à partir de 1990, abandonner toute démarche conflictuelle. Mme L. van Langenhove (KUL) a mené une étude comparative sur plusieurs aspects de la représentation du Japon dans les différentes expositions universelles en Belgique en 1905 (Liège), 1930 (Anvers et Liège) et 1958 (Bruxelles), notamment l’image que souhaitait projeter le pays auprès des sociétés occidentales ou la perception de la vie nipponne par les visiteurs, avec une constante d’altérité et d’exotisme au travers des périodes. M. L. Pirard (ULg) s’est consacré aux cinquante années de formation syndicale à la Fondation André Renard. Fondée en 1963, juste après le décès de ce syndicaliste liégeois, également à l’origine du Mouvement Populaire Wallon (MPW), la Fondation a permis à de très nombreux travailleurs membres de la FGTB, syndicat socialiste, d’acquérir les bases et méthodes du combat militant. Enfin, M. M. Dirix (KUL) a convié l’audience à une analyse détaillée des différents musées du pays consacrés à la Seconde Guerre mondiale, en évoquant leurs différentes approches sur trois grandes thématiques : la narration des champs de bataille, la vision apportée sur la résistance et la représentation du conflit dans sa globalité.

  • Guerre froide : échos de l’Est

D. Hendrickx (KUL) a visualisé des journaux télévisés belges, néerlandais et hongrois des années 1945 à 1980, pour déterminer comment les trois pays se regardaient mutuellement, dans le contexte de la Guerre Froide. Au-delà de certains stéréotypes véhiculés sur les traditions nationales et le suivi des compétitions sportives, certains évènements très précis (grève de l’hiver 1960/61 en Belgique) pouvaient attirer l’attention. Mme E. Dhondt (KUL), sur une thématique proche, a examiné les candidatures soumises par les trois seuls pays du Pacte de Varsovie (Pologne, Bulgarie, Hongrie) ayant proposé entre 1978 et 1988 des sites à intégrer au Patrimoine mondial de l’Humanité de l’UNESCO. Elle a ainsi constaté que l’identité nationale, y compris la royauté ou les édifices religieux, était privilégiée par rapport à toute référence socialiste, même si la démarche s’inscrivait clairement dans une volonté de légitimation culturelle du régime dans un rapprochement pacifique entre blocs. M. E. Overtus (UCL) s’est confronté à l’histoire immédiate avec la chute de l’Union soviétique vue de Bruxelles, via les réactions diplomatiques du Royaume aux divergences, de juin 1989 à janvier 1992, entre le pouvoir central moscovite et les républiques émergentes. L’intention initiale de soutenir, en façade, M. Gorbatchev ayant échoué, le Royaume, par realpolitik, avalise les aspirations nationalistes, espérant éviter leur surenchère en Yougoslavie. Enfin, M. O. Cornelissen (KUL) a fait état de ses découvertes sur les contacts entretenus par-delà le rideau de fer entre la KUL et l’Université Catholique de Lublin durant la Guerre froide. Les relations suivies entre les deux institutions, y compris après la scission linguistique de l’université belge après 1968, amènent à nuancer la lecture traditionnellement bipolaire des échanges en Europe durant cette période.

A l’issue de cette journée, bien qu’il soit hasardeux de tirer des conclusions définitives sur la signification des domaines et sujets abordés, en prenant aussi en compte qu’ils ont été choisis dans une période encore fortement marquée par les restrictions liées à la pandémie de Covid-19, quelques tendances peuvent émerger :

  • Beaucoup de travaux au Nord du pays sont orientés vers l’Europe orientale, que ce soit dans l’analyse de la participation flamande sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale ou la manière dont les nations du bloc soviétique ont interagi avec la Belgique durant la Guerre Froide ou à la fin de celle-ci (pour l’exception francophone). Même s’il convient d’être prudent, notamment au regard du décalage avec le moment des choix initiaux des étudiants, la concomitance avec la guerre en Ukraine est remarquable.
  • Les autres recherches sur la Seconde Guerre mondiale sont consacrées, côté UCL, aux émotions ressenties par la population et confiées à des journaux intimes, tandis que ce sont les conséquences locales de la guerre pour les résistants malinois ou les victimes de bombardements qui ont fait l’objet d’intérêt pour des étudiants de Gand. Une approche micro-historique concentrée sur les individus est-elle symptomatique de l’époque actuelle profondément identitaire, où la notion de solidarité collective n’a plus aucune valeur, si ce n’est dans le communautarisme national ou religieux ?
  • L’histoire économique et sociale, globalement peu représentée, continue cependant de trouver un certain écho. D’un point de vue temporel, elle se concentre sur la période chevauchant la Grande Guerre et l’entre-deux-guerres (‘’Personal Ausweis’’, marins communistes, SNCI) et, dans une moindre mesure, sur la dernière partie du XXe siècle avec la Fondation André Renard et l’AFF (pour autant que l’on considère, dans ce dernier cas, que ce soit de l’histoire ‘’sociale’’).
  • Il y a un intérêt marqué pour une approche historique de la culture et des représentations, dans une vision comparative, que ce soit dans la dimension transnationale (journaux télévisés, Japon dans les expo universelles belges, candidatures à l’UNESCO, …) ou entre entités partageant le même objectif (musées de la Seconde Guerre mondiale).
  • A la croisée des deux précédentes observations, la notion de mémoire revient souvent dans les propos des différents intervenants (journaux intimes, musées, ) et la frontière entre ce concept et celui d’histoire devient de plus en plus poreuse. Ceci n’a pas nécessairement une influence négative sur la recherche, d’autant plus que l’utilisation de nombreuses ressources autres qu’écrites, ouvrent de nouvelles perspectives aux historiens, mais ne faut-il pas rester vigilant pour éviter toute relativisme quant aux faits historiques analysés à l’aune des souvenirs personnels de chacun ?[5]
  • Enfin, au niveau des thématiques peu abordées ou totalement ignorées, colonisation et genre sautent aux yeux, alors que la première constituait l’un des principaux plats de résistance de la journée 2023, au cours de laquelle plusieurs mémoires consacrés aux femmes avaient également été mis en avant. CORRIGENDUM : Cependant, comme me le font justement remarquer de fins connaisseurs du CEGESOMA, d’une part ces deux aspects ne font pas partie, malgré son intérêt croissant et les évolutions récentes, des activités ‘’de base’’ sur lesquelles se focalise le centre (guerres mondiales) ; d’autre part, si colonisation/décolonisation, selon l’intention première, avaient été intégrées, il y aurait eu trop de communications pour tenir en l'espace d'une journée ; enfin, si cette dernière est un indicateur intéressant, il ne faut pas oublier qu’elle ne représente pas la totalité de la jeune recherche belge en histoire contemporaine.

[1]     Exemple le plus significatif et élément à prendre évidemment en compte pour les présentations du jour : le diplôme de Master s’obtient à l’issue d’une année de 2nd cycle universitaire en Flandre tandis qu’il couvre deux années dans les universités francophones.

[2]     M. N. Hermans (KUL), auteur de ‘’Maurice Maeterlinck et la Première Guerre mondiale’’, absent, n’a pas présenté son mémoire.

[3]     Signe de l’interaction que cette journée offre entre les différents étudiants : Mme E. Dhondt (cf.supra) suggère que ces travaux soient intégrés dans la scénographie du ‘’War Mémorial’’ de Bastogne.

[4]     Je n’ai pas assisté à cette session.

[5]     M. N. Bernard a, indirectement abordé ce point en évoquant Paul Hymans, décédé à Nice en 1941. Les Mémoires en deux tomes de l’homme d’Etat socialiste, publiées en 1956, sous l’égide de F. van Kalken et de l’Institut de Sociologie de l’ULB ne contiennent que quelques lignes sur ‘’l’exode et l’exil’’. Selon N. Bernard, la publication récente de son ‘’carnet d’exode’’ (Hermanus M., Paul Hymans, carnet d’exode 1940 Un géant de la politique belge dans la tourmente, éd. Belgo-Belge, 2020, 176 p.) offre un nouvel éclairage sur ce qu’a ressenti l’ancien ministre des Affaires Etrangères et président de la Société des Nations (S.D.N.) à la fin de sa vie.

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