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Billet de blog 6 décembre 2024

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La VIe République pour sortir de l'impasse

Plutôt que de s'en prendre aux député·es qui ont exercé leur droit démocratique de censurer le gouvernement, Macron ferait mieux de reconnaître ses erreurs. Plutôt que de s'enferrer dans sa posture autocratique, il s'honorerait de constituer un comité représentatif de l'équilibre actuel des forces politiques chargé de proposer avec des spécialistes et des représentants de la société civile une nouvelle Constitution.

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Plutôt que de s'en prendre aux député·es qui ont exercé leur droit démocratique de censurer le gouvernement, Macron ferait mieux de reconnaître ses erreurs et même ses fautes. Qui a inutilement dissous l'Assemblée nationale le 9 juin 2024 ? Si c'était réellement pour éviter l'usage du 49-3, c'est raté. Si c'était pour reprendre la main sur les débats politiques, c'est aussi raté puisque sa tentative de confier le gouvernement à une minorité amie a échoué. Il est inacceptable que des élu.e.s ou dirigeant.e.s revendiquent leur responsabilité lors de la prise de décisions et qu'iels refusent d'en assumer les conséquences quand celles-ci produisent des effets négatifs. Il serait peut-être nécessaire de décerner des irresponsabilités nationales à celleux qui laissent un Etat, un gouvernement ou un ministère en plus mauvais état que lorsqu'iels sont arrivé·es au pouvoir, afin de les dissuader de faire n'importe quoi, voire de les juger lorsqu'il y a faillite de leur gestion. 

Alors que Macron se gargarise d'une soi-disant amélioration de l'attractivité de la France (au prix de combien d'aides publiques très rarement remboursées lorsque les entreprises partent après en avoir profité ?...), les fermetures d'entreprises et les plans sociaux s'accumulent ces derniers mois et la France a creusé un énorme déficit sans qu'elle puisse invoquer des circonstances exceptionnelles (Covid-19, guerres, inflation) que les autres pays ont aussi connu et mieux géré. Qui a supprimé aux frais de l'Etat, et donc du contribuable, près de 20 milliards de taxe d'habitation pour les collectivités locales pour faire plaisir à son électorat qui n'en demandait pas tant, alors que la France est l'un des pays avec la plus forte thésaurisation individuelle ? Cette somme n'est globalement pas allée dans l'économie productive, ni même entièrement dans la consommation, mais plus sûrement dans l'aménagement de locations touristiques qui contribuent à enrichir les plus aisés au détriment de l'hôtellerie professionnelle et du logement locatif, ce qui renforce une pénurie depuis longtemps à l'oeuvre. Ces presque 20 milliards, sans compter ce que représente en valeur l'évasion fiscale, voire la fraude, auraient été bien utiles actuellement, sans compter les taxes et impôts sur les plus riches ou ultrariches qu'il a refusé d'instituer, alors que ces derniers ont bien profité des crises pendant que les écarts se creusaient avec les classes moyennes et évidemment les plus pauvres. 

Plutôt que de s'enferrer dans sa posture autocratique, il s'honorerait de constituer un comité représentatif de l'équilibre actuel des forces politiques chargé de proposer avec des spécialistes et des représentants de la société civile une nouvelle Constitution ou en tout cas une révision substantielle de l'actuelle. Il s'agirait en premier lieu de diminuer les pouvoirs du Président, limités à fixer des lignes directrices sans les appliquer lui-même, ce rôle étant celui du gouvernement, et de favoriser la proportionnelle dans les élections afin de garantir la représentativité des électeurs et du gouvernement, sans possibilité de choisir qui bon lui semble au mépris des urnes. Elle devrait aussi dissocier à nouveau les élections présidentielles et législatives afin de ne pas faire dépendre automatiquement les unes des autres et conférer de réels pouvoirs constructifs au Parlement pour équilibrer avec ceux du gouvernement. D'autres modifications sont souhaitables comme l'indépendance pleine et entière de la justice. On peut se référer pour cela aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme qui condamne souvent la France sur ce point comme sur le respect des droits des prisonniers ou des migrants. De nombreux écrits existent sur les attendus d'une 6e République, il conviendra de s'y référer. 

Si le président ne veut pas s'engager dans cette voie, pourquoi l'Assemblée nationale ne le ferait-elle pas d'elle-même ? Elle pourrait profiter de sa constitution en groupes minoritaires représentatifs pour proposer un travail préparatoire à une révision constitutionnelle, voire une nouvelle Constitution permettant de proposer des solutions partagées aux problèmes récurrents et actuels. Cela aurait le mérite de faire travailler ensemble les divers groupes politiques sur un objectif commun de refondation réelle de la politique en France en la tirant vers le haut. Et pourquoi ne pas lancer également une grande consultation nationale comme il les aime tant, afin d'alimenter en idées les instances qui auraient à proposer un texte constitutionnel révisé ou nouveau, sans intervenir dans les discussions pour les torpiller comme il l'a fait lors du mouvement des Gilets Jaunes ? 

Macron a fait croire qu'il allait être disruptif avec son livre au titre trompeur de "Révolution" (plutôt sur elle-même - un tour pour rien ! - que pour changer les équilibres), alors qu'il ne prétendait qu'au pouvoir suprême, qu'il a exercé de manière encore plus autocratique qu'avant, afin de faire passer ses réformes néo-libérales pour ses partisans. Il est temps qu'il tire enfin des leçons de ses échecs pour se placer en ordonnateur de débats qui permettrait à la France de sortir de l'impasse politique actuelle. En attendant, nul besoin de nouveau gouvernement, au contraire, l'actuel pourrait traiter les affaires courantes (sans sièges à l'Assemblée nationale pour ne pas mélanger exécutif et législatif comme avant le gouvernement Barnier) avec la reconduction du budget 2024. De toute manière, tout gouvernement sera forcément instable s'il n'émane pas d'une coalition d'intérêts convergents à l'Assemblée nationale. Si l'intérêt général doit effectivement primer, ce n'est plus un président défait plusieurs fois qui peut le fixer, mais le Parlement. Et si le souci résidait pour certain.e.s dans les marchés financiers, ce qui serait un comble pour une nation de culture comme la nôtre, alors ceux-là seraient certainement rassurés de voir que le pays prévoirait de redéfinir ses institutions pour mieux fonctionner et éviter les décisions irresponsables de ces dernières années. 

Pour sortir d'une impasse, il faut faire un retour en arrière, réfléchir et savoir où aller plutôt que de foncer dans le mur tête baissée. 
Il ne faut plus être en réaction à une situation d'échec mais se demander collectivement comment dépasser les problèmes posés. 
La perspective d'une VIe République ou, à tout le moins, d'une révision en profondeur de la Constitution, représente cet espoir. 
A celleux qui sont aux responsabilités politiques ou qui croient l'être de se saisir de cette possibilité réelle ouverte à tous.tes. 

Fabrice Thuriot, docteur en droit public. 

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