Ce projet de loi, parrainé par une coalition hétéroclite de parlementaires républicains et démocrates plus ou moins "libéraux", est activement combattu par différentes ONG américaines, dont l'ACLU (American Civil Liberties Union, 750 000 membres), Jewish Voice of Peace, etc., et des blogs comme The Electronic Intifada, etc.
https://www.aclu.org/blog/free-speech/how-israel-anti-boycott-act-threatens-first-amendment-rights, https://www.facebook.com/aclu/
https://jewishvoiceforpeace.org/take-action-stop-unconstitutional-attack-freedom-boycott/, https://www.facebook.com/JewishVoiceforPeace/
https://electronicintifada.net/tags/israel-anti-boycott-act, https://fr-fr.facebook.com/electronicintifada/
Dans le journal américain The Intercept du 19 juillet 2017, les journalistes Glenn Greenwald et Andrew Fishman ont signé un article intitulé « U.S. Lawmakers Seek to Criminally Outlaw Support for Boycott Campaign Against Israel », lien ici :
N'ayant pas trouvé sur le Web de traduction en français, voici la mienne, suggestions de corrections bienvenues.
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Les législateurs US cherchent à criminaliser le soutien à la campagne de Boycott contre Israël
Par Glenn Greenwald et Andrew Fishman, The Intercept, 19 juillet 2017
La criminalisation du discours politique et de l’activisme contre Israël est devenue l’une des plus graves menaces de la liberté d’expression à l’Ouest. En France, des militants ont été arrêtés et poursuivis pour port de T-shirt appelant au boycott d’Israël. Le Royaume Uni a promulgué une série de mesures visant à rendre illégal ce genre d’activisme. Aux USA, des gouverneurs rivalisent entre eux sur qui peut introduire la réglementation la plus extrême pour interdire au business de tout boycott, y compris celui de ces colonies israéliennes que le monde considère illégales. Sur les campus américains, les punitions d’étudiants pro-palestiniens qui ont exprimé des critiques contre Israël sont si banales que le Centre des Droits Constitutionnels s’y réfère comme « exception palestinienne » à la liberté d’expression.
Aujourd’hui, un groupe de 43 sénateurs − 29 républicain et 14 démocrates − veulent introduire une loi qui ferait un crime (a felony) du soutien au boycott international d’Israël, qui a été lancé pour protester contre des décennies d’occupation de la Palestine par ce pays. Les deux premiers parrains du projet de loi sont le démocrate Ben Cardin, sénateur du Maryland, et le républicain Rob Portman, sénateur de l’Ohio. L’aspect le plus choquant de cette loi est la peine encourue : tout individu coupable de violer ses interdictions encours au minimum 250 000 $ d’amende civile, et un maximum pénal d’un million de dollars et 20 ans de prison.
Le projet de loi, appelée "Israel Anti-Boycott Act" (S. 720), a été déposé par Cardin le 23 mars. La Jewish Telegrafic Agency rapporte que le projet de loi « a été rédigé avec l’aide de l’American Israel Public Affairs Committee [AIPAC] ». Effectivement, l’AIPAC, dans son Agenda de Lobbying 2017, indique que l’adoption de cette loi est l’une de ses "Top lobbying priorities" de l’année :
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Parmi les co-parrains du projet de loi, se trouvent le Senior U.S. Senator et chef de la minorité démocrate Chuck Summer, son collègue new-yorkais Kirsten Gillibrand, et plusieurs membres plus libéraux du Sénat, tels que Ron Wyden de l’Orégon, Richard Blumenthal du Connecticut et Maria Cantwell de Washington. Illustration du bipartisme prôné par l’AIPAC, cette coalition inclut les sénateurs de la droite la plus extrémiste, tels Ted Cruz du Texas, Ben Sasse du Nebraska et Marco Rubio de floride.
Une mesure semblable a été introduite le même jour à la Chambre [des représentants] par deux républicains et un démocrate. Elle a amassé 234 co-parrains : 63 démocrates et 174 républicains. Comme au Sénat, l’AIPAC a regroupé une diversité idéologique imposante parmi les supporters, qui va probablement compter beaucoup des députés les plus droitiers − Jason Chaffetz, Liz Cheney, Peter King − et le démocrate de second rang Steny Hoyer.
Parmi les co-parrains de la loi, on trouve plusieurs de ces politiciens qui ont accédé à la notoriété politique en se positionnant comme leaders médiatiques de la #Resistance anti-Trump, dont tous députés de Californie qui sont devenus des héros démocrates et agrafeuses de la nouvelle cablosphère : Ted Lieu, Adam Schiff et Eric Swalwell. Ces politiciens, qui ont construit un large public de suiveurs par leur posture d’opposants à l’autoritarisme, parrainent l’une des lois les plus oppressives et autoritarismes qui ont été déposées devant le Congrès depuis longtemps.
La nuit dernière [18 juillet], l’ACLU [American Civil Liberties Union, 750 000 membres] a posté une lettre adressée à tous les membres du Sénat, les pressant de s’opposer à cette loi. Avertissant que « les promoteurs de la loi sont en train de chercher d’autres co-parrains », l’association pour les libertés civile que la loi vise à « punir les individus pour seul motif d’opinion politique ». La lettre détaille ce qui en fait une aussi grave menace contre les libertés civiles.
Pour l’ACLU, s’insérer dans cette controverse n’est pas une mince affaire. L’un des évènements les plus traumatisants dans l’histoire de cette organisation est celui où elle a perdu beaucoup de donateurs et de supporters, à la fin des années 1970, après qu’elle a défendu le droit à l’expression des néo-nazis lors de la marche à Dkokie, Illinois, une ville qui abrite une grande communauté de survivants de l’Holocauste.
Même les organisations les plus courageuses évitent résolument toute controverse en rapport avec Israël. Pourtant, dans cette affaire, tout en pointant le fait que l’ACLU « ne prend aucune position pour ou contre pour ou contre le boycott d’Israël ou de tout autre pays étranger, l’association dénonce catégoriquement cette proposition parrainée par l’AIPAC », pour ce qu’elle est : une loi qui « ne vise qu’à punir l’exercice des droits constitutionnels ».
L’ACLU s’est aussi opposée aux efforts bipartisans, au niveau des Etats, de punir la participation des entreprises au boycott d’Israel, en rappelant que « les boycotts à motivation politique sont une forme d’expression dont la Cour Suprême a jugé qu’ils sont protégés par les garanties du Premier Amendemant sur la liberté d’expression, de réunion et de pétition », et que ce genre de loi impose des conditions inconstitutionnelles à l’exercice des droits constitutionnels ». Le projet de loi, aujourd’hui co-parrainé au Congrès par plus de la moitié de la Chambre et près de la moitié du Sénat, est beaucoup plus extrême.
A ce jour [6 juin], aucun membre du Congrès n’a rejoint l’ACLU dans sa dénonciation du projet de loi. The Intercept de ce matin a envoyé des questions à de nombreux membres non-impliqués du Sénat et de la Chambre qui ne se sont pas encore exprimés sur le sujet. Nous avons aussi envoyé à plusieurs co-parrains − tels le député Lieu − qui se sont positionnés comme champions de la défense des libertés civiles et opposants à l’autoritarisme, en leur demandant :
« Député Lieu : la nuit dernière, l’ACLU a dénoncé avec force un projet de loi que vous parrainez − criminaliser le soutien au boycott d’Israël −, comme une grave atteinte au droit d’expression. Avez-vous un commentaire à faire sur la dénonciation de l’ACLU ? Vous avez été un défenseur véhément des libertés civiles ; comment pouvez-vous concilier ce [record] avec une tentative de criminaliser les Américains qui s’engagent dans un mouvement de protestation contre la politique d’un gouvernement étranger ? Nous vous écrivons aujourd’hui à ce sujet ; toute déclaration de votre part serait bienvenue. »
Ce matin, Lieu a répondu : « Merci à vous de partager la lettre. Le projet de loi tourne depuis mars, et c’est la première fois que je vois cette question soulevée. Nous allons approfondir. » (Intercept publiera toute nouvelle réponse du républicain Lieu, et tout autre réponse des autres, dès réception).
Le sénateur Cantwell a indiqué à The Intercept qu’il est « un ardent défenseur des droits à la libre expression », et qu’il va relire le projet de loi du point de vue du Premier amendement et à la lumière de la déclaration de l’ACLU.
Le sénateur démocrate Chris Coons (Delaware), interrogé par The Intercept sur l’avertissement de l’ACLU selon lequel ce qu’il co-parraine criminalise l’expression libre, a réaffirmé son soutien au projet de loi, en répondsnt « Je continue à soutenir une relation US/Israël forte ».
En même temps, il semble que certains co-parrains n’ont aucune idée de ce qu’ils co-parrainent − comme s’ils signaient par réflexe tout ce qui vient de l’AIPAC sans savoir ce qu’il y a dedans. Le sénateur démocrate Gary Peters du Michigan, par exemple, semble sincèrement déconcerté devant la lettre de l’ACLU : « What’s the Act ? You’ll have to get back to me on that. »
Un échange similaire a eu lieu avec un autre co-parrain, l’un des plus fidèles alliés de l’AIPAC, le sénateur démocrate Bob Menendez du New Jersey, qui a dit : « I’d want to read it…. I’d really have to look at it. »
La sénatrice Claire McCaskill (dém. Missouri), co-marraine, a dit qu’elle n’a pas vu la lettre de l’ACLU, mais qu’elle allait y jeter un oeil. « Sûr que je vais prendre leur position en considération, comme je prend en considération la position de tout le monde », a-t-elle ajouté.
Gillibrand, seule sénatrice du "mix présidentiel 2020" à cosponsoriser la loi, a dit à The Intercept qu’elle allait faire une déclaration… nous en ferons part dès qu’elle est disponible.
Encore plus étonnante est notre entrevue du principal parrain, le sénateur démocrate Benjamin Cardin, qui semblait n’avoir aucune idée de ce qu’il a dans sa loi : il a insisté sur le fait qu’il aucune sanction pénale…
Ben Cardin sur son Israel Anti-Boycott Act, enregistrement ici
… alors que, comme l’ACLU l’a pointé, « violations would be subject to a minimum civil penalty of $250,000 and a maximum criminal penalty of $1 million and 20 years in prison ».
Ceci s’explique par le fait que, comme Josh Ruebner l'a bien détaillé quand il a été révélé, « le projet de loi cherche à amender deux lois – le Export Administration Act de 1979 et le Export-Import Bank Act de 1945 », et « les peines potentielles pour violation de cette loi sont sévères : un minimum de $250,000 d'amende civile et un maximum de peine criminelle de $1 million et 20 ans d'emprisonnement, comme il est stipulé dans le International Emergency Economic Powers Act ».
Ainsi, pour voir combien les peines sont sévères, et comment elles sont imposées, on peut comparer le texte de la Section 8(a), qui indique que les contrevenants seront punis, « selon la section 206 du International Emergency Economic Powers Act (50 U.S.C. 1705) », au tarif des dispositions pénales de cette loi, qui disent :
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La loi étend aussi l’interdiction de participer à des boycotts parrainés par les gouvernements étrangers et à ceux émanant d’organisations internationales comme l’ONU ou l’Union européenne. Il étend aussi explicitement l’interdiction de boycott d’Israël à toute partie d’Israël, dont les colonies. C’est pourquoi, comme Rueber l’explique, la loi − par construction − rendrait hors-la-loi « les campagnes du mouvement de solidarité avec la Palestine » qui pressent les entreprises de couper les liens avec Israël ou avec ses colonies de peuplement ».
Ce projet de loi pernicieuse met en lumière les dynamiques vitales (et néanmoins ignorées) qui ont cours à Washington. Premièrement, les journalistes adorent se lamenter sur le manque de consensus bipartisme à Washington, alors que la seule mention du mot ‘’Israël’’ fait que la plupart des membres des deux partis s’alignent illico dans un show d’unanimité qui ferait rougir d’envie le régime nord-coréen. Même si le monde entier condamne les agressions israéliennes, ou déclare les colonies illégales, le Congress américain − à travers les lignes partisanes et idéologiques − trouve une harmonie complète en s’unissant contre le consensus mondial, et en défense du gouvernement israélien.
Deuxièmement, le débat sur la liberté d’expression aux Etats-Unis est incroyablement sélectif et perverti. Les experts et les politiciens adorent partir en croisade pour la liberté d’expression et s’en faire les champions − quand ça implique défendre les idées mainstream ou stigmatiser les groupes marginalisés et sans pouvoir comme les collégiens issus des minorités. Mais quand il s’agit des attaques les plus systémiques, puissantes et dangereuses contre la liberté d’expression aux Etats-Unis et plus généralement en Occident − la tentative de criminaliser l’expression et l’activisme contre l’occupation coloniale du gouvernement israélien − ces combattants de la liberté d’expression restent, en général, silencieux.
Troisièmement, l’AIPAC continue à être l’un des lobbies les plus puissants, et pernicieux, du pays. En quel sens concevable est-il au bénéfice des Américains de les transformer en félons pour crime d’engagement politique contre le gouvernement d’une autre nation ? Et ce n’est pas la première tentative qu’il font à travers leurs congressistes les plus dévoués ; Cardin, par exemple, a déjà réussi à insérer dans les lois sur le commerce des dispositions qui défavorisent quiconque soutient un boycott d’Israël.
Enfin, il est difficile d’exprimet en mots l’ironie de voir beaucoup des plus connus et bien-aimés congressistes leaders de la Résistance anti-autoritaire − Gillibrand, Schiff, Swalwell et Lieu −, parrains d’une des lois les plus oppressives et autoritaristes présentés au Congrès depuis des années. Comment peut-on crédiblement fulminer contre "l’autoritarisme" tout en parrainant une loi qui dicte aux citoyens américains les opinions politiques qu’ils sont ou ne sont pas autorisés à épouser, sous peine de poursuites judiciaires ? Quelque soient les labels qu’on veuille appliquer aux parrains de cette loi, "l’anti-autoritarisme" ne devrait pas en être.