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Billet de blog 1 novembre 2025

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Les municipales à New York, théâtre de la luttre pour le futur du parti démocrate

D'ici quelques jours, New York aura un nouveau maire. Une campagne opposant trois hommes, mais surtout deux démocrates. D'un côté, Andrew Cuomo, symbole d'un vieil establishement démocrate croulant, incapable de voir plus loin que la politique pro-business. De l'autre Zohran Mamdani, socialiste démocratique, étoile montante de l'aile gauche du parti qui marche dans les pas de Bernie Sanders.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a à peine 6 mois, l’élection municipale de New York semblait déjà jouée d’avance. Dans une ville aussi massivement démocrate que New York, il paraissait évident que cellui qui emporterait la primaire démocrate de juin serait élu·e maire ou mairesse d’ici quelques jours. Et il y a 6 mois, le grand vainqueur semblait déjà connu : Andrew Cuomo. Ex-gouverneur de l’État de New York, ancien ministre sous Bill Clinton et visage connu du parti démocrate depuis plusieurs décennies, il avait toutes les cartes en main pour l’emporter. Après tout, les sondages le voyaient déjà tous remporter la primaire face à Éric Adams, l’actuel maire dont la côte de popularité à ce moment-là n’était pas sans rappeler celle d’Emmanuel Macron par chez nous.

Mais voilà, les sondages ne font pas tout. Alors même qu’Éric Adams se retirait de la primaire en avril et que le chemin vers la victoire semblait tout tracé pour Cuomo ; Zohran Mamdani commençait son inexorable ascension dans les intentions de votes. Élu à la chambre des représentant·es de l’État de New York et inconnu du grand public jusqu’alors, Mamdani devint rapidement un outsider menaçant pour Cuomo. Et politiquement, les deux n’avaient rien pour s’entendre. Cuomo est un vieux démocrate de 67 ans, tenant de l’aile dite « modérée » des démocrates et membre éminent de l’establishment du parti qui est moins préoccupée par la mise en avant d’une ligne idéologique claire que par l’accompagnement du néolibéralisme et le soutien au capital, agrémentant leurs actions politiques de quelques petits programmes sociaux de temps en temps. Mamdani, lui, vient du flanc gauche du parti. À 33 ans, ce membre des DSA (Democratic Socialists of America) appartient à une nouvelle génération qui érige Bernie Sanders en modèle et qui défends autant la taxation des plus riches que le renforcement des services publics, de santé particulièrement, et la lutte contre le lobbying qui gangrène la politique étasunienne. Et, fait qu’il importe de souligner car il faut l’avoir en tête quand on observe cette élection, Mamdani est arrivé aux États-Unis à l’âge de 7 ans et est de confession chiite.

Et, après une primaire particulièrement disputée, dominée par un front anti-Cuomo de plusieurs candidat·es et une grande timidité dans la campagne de ce dernier, Mamdani est ressorti grand vainqueur avec un peu plus de 56% des suffrages, devenant ainsi le candidat officiel du parti démocrate pour l’élection municipale du 4 novembre prochain.

L’élection municipale : une primaire 2.0

Illustration 1
À droite, Andrew Cuomo. Au centre, Zohran Mamdani. À droite, Curtis Sliwa.

Au sortir de la primaire, les trois gros noms de la municipale était donc Zohran Mamdani, pour le parti démocrate, Curtis Sliwa, pour le parti républicain, et Éric Adams, qui se présentait comme indépendant après avoir quitté la primaire démocrate. Mais, à peine 3 semaines après sa défaite à la primaire, Andrew Cuomo décida d’aussi se présenter comme indépendant pour essayer, une nouvelle fois, de battre Mamdani. S’engagea alors différents types de campagnes selon les candidats.

De son côté, Sliwa se positionne en candidat de l’ordre contre les démocrates : il considère qu’Adams est un corrompu (une opinion partagée par une bonne partie de l’électorat démocrate), Cuomo comme un hasbeen et un agresseur (après tout, il a quitté son poste de gouverneur de l’État de New-York après avoir été accusé par plus d’une dizaine de femmes d’agression sexuelle et les pontes du parti l’avaient publiquement poussé à la démission) et Mamdani comme un jeune loup aux idées dangereuses. Une posture relativement logique pour un républicain qui a toujours été un peu à part dans son parti. Sliwa est une figure new-yorkaise depuis des décennies où il a fondé les Guardian Angels, une organisation paramilitaire de lutte contre la délinquance, à la fin des années 70. Critique de Trump dès 2016, il avait quitté le parti républicain la même année avant de le réintégrer en 2021 et est resté un républicain résolument anti-MAGA. Ainsi, s’il est un soutien du NYPD depuis des décennies et chantre du « law and order » reaganien, il est aussi favorable à l’avortement et au mariage pour les personnes de même sexe et est très critique de l’usage d’ICE par l’administration Trump dans la déportation des personnes migrantes. Trump qui n’a d’ailleurs que peu de choses positives à dire au sujet de Sliwa, qu’il a appelé publiquement à abandonner sa candidature au profit de Cuomo.

Cuomo, justement, était dans une situation très compliqué au sortir de la primaire. Défait par Mamdani alors qu’il était donné gagnant pendant des mois et qu’il avait le soutien des élites financières new-yorkaises, se lancer en indépendant lui donne l’image du mauvais perdant, incapable d’accepter sa défaite. D’ailleurs, la seule chose qu’il dit avoir appris de cette défaite, c’est qu’il aurait mal utilisé les réseaux sociaux. C’est en tout cas dans le rôle du punchingball qu’il est entré en campagne, moqué par ses trois opposants, Adams ne manquant pas de s’essayer aux insultes à son encontre.

Adams qui, lui, était déjà dans une position dans des plus précaires depuis des mois. Fragilisé par une mise en examen au niveau fédéral pour corruption en septembre 2024 au profit du gouvernement turc, sa côte de popularité était en berne. Et il n’a pas arrangé son cas en se rapprochant de Trump lors de son retour à la Maison-Blanche, mettant l’accent sur la lutte contre l’immigration illégale à New York, malgré le fait que la ville soit une ville sanctuaire (ce qui veut dire que les autorités locales refusent systématiquement de coopérer avec les autorités fédérales dans leurs opérations d’arrestations de personnes migrantes). Un rapprochement qui acheva de tuer sa popularité mais qui lui permit, en retour, d’obtenir l’abandon des poursuites par les autorités fédérales. Un abandon des poursuites qui valut au ministère de la justice la démission de plusieurs procureur·es en charge du dossier en plus d’une série de démission au sein de la mairie. Autant dire que s’il avait déjà abandonné la primaire, persuadé qu’il ne pouvait la gagner, penser qu’il pouvait remporter l’élection générale paraissait inconcevable en juillet.

Alors que Mamdani, fort de son imposante victoire à la primaire, fait figure de grand favori depuis cette dernière. Car s’il n’était alors pas franchement soutenu par le parti démocrate, à l’exception des représentant·es de son aile gauche comme Bernie Sanders et AOC, il pouvait déjà compter sur un important soutien populaire, représenté par l’armée de militant·es qui faisait campagne pour lui et dont il revendiquait le nombre à 50 000 durant la primaire.

Mais les mois qui ont passés depuis la primaire ont vu le tableau légèrement évoluer. Face au danger que représenterait Mamdani pour elleux, une partie des élites financières de New-York et le parti républicain ont tenté de faire pressions sur les autres candidats pour qu’ils se retirent afin que seul un reste pour faire chuter Mamdani. D’un côté, des richissimes donneurs, comme les milliardaires Bill Ackman (soutien de Trump et des (ex)actions du gouvernement israélien à Gaza) ou Michael Bloomberg (ancien maire de New York), ont fait pression pour que Adams se retire au profit de Cuomo. Un abandon que ce dernier a fini par annoncer fin septembre avant de, un mois plus tard, finalement annoncer qu’il apportait son soutien à Andrew Cuomo pour battre Zohran Mamdani. De l’autre côté de l’échiquier, les hauts responsables républicains, Donald Trump en tête, ont appelé, à plusieurs reprises, Curtis Sliwa à se retirer au profit de Cuomo, pour lequel Trump a eu quelques bons mots. Mais si Adams ne fut pas si difficile que ça à convaincre, Sliwa ne s’est pas laissé convaincre et a même fait savoir que quelques riches newyorkais·es lui avait proposé des sommes importantes pour qu’il se retire. Et il a par ailleurs menacé celleux qui auraient encore l’envie de lui faire de telles propositions de les poursuivre en justice si ça continuait.

À quelques jours du scrutin final, et alors qu’il est déjà possible pour les newyorkais·es de voter depuis le 25 octobre, l’élection se joue donc entre trois hommes : Zohran Mamdani, le candidat démocrate, auto-proclamé socialiste démocratique, que les pontes de son parti continuent à voir d’un mauvais œil. Curtis Sliwa, candidat désigné du parti républicain qui voit d’un mauvais œil le mouvement MAGA. Et Andrew Cuomo, ex-gouverneur déchu et perdant de la primaire démocrate, derrière qui les milliardaires de Wall Street se sont rangés.

Une campagne entre propositions et oppositions

Si les sites de campagnes des trois candidats sont un indicateur, c’est bien celui de la spécificité de la campagne de Cuomo. Là où la page d’accueil des sites de Mamdani et Sliwa met en avant leurs propositions et qui ils sont, le tout en proposant les sites en plusieurs langues (8 langues dans les deux cas), celle de Cuomo n’est disponible qu’en anglais et inclut un petit bonus. Avant même de présenter la moindre proposition programmatique, un petit encart invite les visiteureuses à cliquer sur un bouton sur lequel est inscrit « Say no to Zo » (« Dites non à Zo »). Ce dernier renvoie vers un site qui reprends la charte graphique de la campagne de Mamdani et présente ce dernier dans un style maison des horreurs en mettant en avant des tweets et photos qui, supposément, prouve que Mamdani est un danger pour New York. Il serait anti-police, antisémite, anti-LGBTI+, communiste, anti-Italien·nes, opposé au parti démocrate et pro-crime. En bonus, quelques sources, provenant pour la plupart du New York Post, un journal possédé par Rupert Murdoch (sorte de super-Bolloré anglophone qui possède aussi Fox News) et qui soutient ouvertement Trump.

Et c’est bien là la spécificité de la campagne de Cuomo, une large partie de ses efforts sont dirigés dans une direction : s’en prendre à Zohran Mamdani et l’accuser de toutes les infamies. Les deux débats en ont été l’illustration parfaite. Cuomo a pu y accuser Mamdani d’être anti-Italien·nes pour avoir publier une photo de lui faisant un doigt d’honneur à une statue de Christophe Colomb en 2020, ou d’être antisémite pour son soutien à la cause palestinienne et pour ne pas avoir dénoncé le slogan « globalize the intifada » (« mondialiser l’intifada »), ce qu’il a fait pendant la campagne. Et ce n’est que deux exemples tant il serait long de faire la liste exhaustive des accusations qu’il a fait contre Mamdani uniquement lors de ces deux débats.

Cuomo s’inscrit bien là dans une stratégie éculée des démocrates centristes lorsqu’iels sont opposé·es à des candidat·es issu·es de la gauche du parti : avoir recours à l’identity politics (aussi appelée IdPol, signifiant politique identitaire). Hillary Clinton en avait abondamment fait usage en 2016 contre Bernie Sanders lors de la primaire démocrate pour la présidence. L’idée est assez simple pour des centristes qui ne parlent jamais autant des minorités (de genre, ethniques, sexuelles, etc) que lorsqu’iels font face à quelqu’un qui en parle vraiment. Ainsi, Clinton attaquait Sanders sur le Medicare for All (l’idée d’avoir une sécurité sociale pour toustes, à l’européenne) en demandant ce que cela apporterait en particulier aux personnes afro-américaines. Ou alors, face au fait que Sanders avait un fort soutien chez les jeunes hommes, elle l’accusait d’entretenir un boys club et d’être misogyne. Le fait qu’il était tout aussi soutenu par des jeunes femmes n’entrant pas dans l’équation.

Et ici, Cuomo use de cette stratégie jusqu’à l’épuisement. Mamdani dit être le candidat des classes populaires ? Cuomo appuie sur le fait que les parents de Mamdani ne sont pas de classe populaire (sans prendre le temps de rappeler qu’il est lui-même fils de gouverneur). Mamdani dit vouloir geler les loyers dans les logements soumis à un contrôle des loyers ? Cuomo s’interroge à voix haute pendant les débats sur comment est-ce que ça va bien pouvoir aider les familles afro-américaines et hispaniques ? Mamdani dit vouloir décriminaliser le travail du sexe pour les travailleureuses du sexe (pas pour les proxénètes) ? Cuomo sort une vidéo de campagne montrant en quoi c’est antimusulman de vouloir faire ça. Mamdani a dit du mal de Obama dans un tweet en 2013 (Mamdani avait alors 22 ans) ? Encore une petite vidéo au format micro-trottoir pour montrer que Mamdani n’aime pas la communauté afro-américaine.

Et à force de mettre autant d’énergie dans la diffamation, on commet immanquablement des « petites » erreurs. C’est ainsi que fin octobre, Cuomo a sorti une vidéo « parodique », faite par IA, qui mettait en avant le groupe fictif des « criminel·les pour Mamdani ». On y voyait un homme afro-américain voler une supérette après avoir enfilé un keffieh palestinien et une cagoule, un autre homme afro-américain dans une tenue de proxénète tout droit sortie des années 70 en train de faire du trafic d’êtres humains ou encore un homme frappant sa femme annonçant leur « soutien » à Mamdani. Entre les clichés racistes, islamophobes et anti-palestinien·nes, la vidéo a très rapidement été supprimé mais est symptomatique d’une campagne construite majoritairement sur les attaques personnelles qui flirtent avec la diffamation et l’islamophobie.

Car s’il y a bien un thème sous-jacent aux attaques de Cuomo, c’est bien l’islamophobie. Déjà, lors de la primaire, une PAC (organisation privée de soutien à une campagne électorale) de soutien à Cuomo avait diffusé une publicité anti-Mamdani qui lui donnait un visage antipathique, assombrissait sa couleur de peau et allongeait la taille de sa barbe. Et le pic de l’islamophobie fut atteint cette fois par Cuomo lui-même qui, lors d’une interview où il répétait encore ses attaques sur le supposé antisémitisme de Mamdani, a semblé en accord avec son interlocuteur lorsque celui-ci affirmait que Mamdani « s’enthousiasmerait d’un nouveau 11-Septembre ». Et de manière générale, il est assez clair que Cuomo n’a pas une once de respect pour Mamdani. Après tout, cela fait maintenant 7 mois qu’il est en campagne contre lui et il persiste encore à mal prononcer son nom de famille comme s’il venait de le découvrir (il l’appelle « Mamdami »).

Quant à l’aspect politique, Cuomo se limite à trois angles d’attaques. Le premier : l’expérience. Mamdani est jeune et inexpérimenté alors que lui est un politique de carrière et un manager compétent, ce qui apparemment justifierait son élection. Le second est un classique face à des candidat·es de gauche : dire que les propositions de Mamdani sont infaisables. Que ce soit la gratuité des transports, le gel des loyers ou la taxation des milliardaires, tout ça ne serait que des slogans de campagnes irréalisables. Et enfin, en accord avec sa tendance à la diffamation : Cuomo ne peut pas s’empêcher d’attaquer Mamdani sur des points de son programme qui n’existent pas. Cuomo s’oppose ainsi à l’allègement des peines pour les personnes coupables d’agressions et de violences physiques ainsi qu’au désarmement de la police et à la réduction de ses financements. Et peu importe si ces propositions n’existent que dans sa tête.

Alors que de leurs côtés, Sliwa et Mamdani se limitent à des attaques anciennes contre Cuomo. En premier lieu, la douzaine de femmes qui l’ont accusé d’agression sexuelle il y a quelques années. Face à ça, une réponse constante de Cuomo : c’étaient des attaques politiques et elles étaient toutes des menteuses. Peu importe qu’il ait reconnu des comportements inappropriés il y a quelques années, même cela n’existe plus pour lui aujourd’hui. Il prétend même que sa démission du poste de gouverneur, qui a lieu suite à ces accusations qui lui avaient valu la perte du soutien du parti démocrate, était intervenu car il voulait protéger l’État de New-York face à une campagne d’attaques politiques contre lui. Quant au fait que Trump a ouvertement dit qu’il aimerait voir Cuomo gagner, Cuomo fait comme si ça n’existait pas et prétends que sa victoire serait en fait le pire cauchemar de Trump. Et quand Trump dit vouloir arrêter Mamdani s’il gagne (et que des républicain·es au Congrès veulent le déchoir de sa nationalité), Cuomo utilise ça comme argument de campagne pour justifier qu’il ne sert à rien de voter pour quelqu’un qui sera arrêté immédiatement. Le fait que ça serait illégal et particulièrement autoritaire ne semblant pas être un problème pour lui.

C’est donc bien une campagne acerbe qui se joue entre un Cuomo concentré sur l’IdPol et la diffamation, un Mamdani qui essaye de rester sur son programme en traitant Cuomo comme une relique du passé et un Sliwa en partie invisibilisé car, étant le candidat républicain à New York, il est donné perdant d’entrée de jeu. Et en filigrane de cette opposition entre Cuomo et Mamdani, c’est un conflit interne du parti démocrate qui se joue devant plusieurs millions d’électeurices.

La lutte de l’establishment démocrate contre toutes les tentations de la gauche

L’attitude des grands noms du parti démocrate face à Zohran Mamdani est symptomatique de la révulsion qu’inspire la gauche du parti à l’establishment démocrate. En 2021, lors de la précédente élection municipale à New York, la primaire démocrate avait vu Éric Adams l’emporter. Et à peine avait-il gagné qu’il avait été reçu par Joe Biden à la Maison Blanche, et par Chuck Schumer (leader des démocrates au Sénat) et Nancy Pelosi (présidente de la chambre des représentants). Ces invitations avait alors fait office d’adoubement par le parti de leur candidat, publiquement soutenu par les plus hauts responsables du parti dans le pays.

Mamdani quant à lui, n’a été soutenu par personne. Kamala Harris, l’ancienne vice-présidente défaite par Trump en 2024, lui a apporté un soutien de fait sans le nommer il y a mois. Chuck Schumer, toujours leader des démocrates au Sénat, et par ailleurs sénateur pour l’État de New York, ne lui a pas apporté son soutien et a passé ces quatre derniers mois à répondre aux questions sur son non-soutien en disant qu’il allait « continuer à parler » à Mamdani. Et le leader des démocrates à la chambre des représentants (élu à New York), Hakeem Jeffries, a suivi la méthode de Schumer pendant des mois avant de finalement apporter son soutien à Mamdani du bout des lèvres le 24 octobre, soit la veille du début des votes. Une différence de traitement qui montre bien la frilosité de l’establishment démocrate face à Mamdani.

Une frilosité qui pourrait laisser des observateurices de la vie politique étasunienne quelque peu étonné·es. Après tout, après la défaite de 2024, ce même establishment décriait son incapacité à motiver les électeurices, sa difficulté à utiliser les réseaux sociaux et les nouveaux médias à son avantage ou sa perte de popularité chez les plus jeunes, notamment les hommes. Et voilà qu’iels se retrouvent avec Mamdani, un candidat avec une base militante extrêmement active et nombreuse, qui a été encensé dans son usage des réseaux sociaux (y compris par Cuomo, le seul compliment qu’il n’ait jamais adressé à Mamdani d’ailleurs) et qui est particulièrement populaire chez les plus jeunes. Il aurait pu être accueilli en sauveur tant il répondait à toutes les difficultés du parti démocrate au niveau national. Seulement voilà, Mamdani a un énorme défaut : il est issu du DSA et est donc à la gauche du parti et si l’énergie de sa campagne enchante les ténors du parti, son programme plaît beaucoup moins à celleux qui continuent à promouvoir une politique d’accompagnement du capitalisme financier.

Il faut bien voir que depuis la défaite de 2024, les ténors du parti et leurs consultant·es semblent se concentrer sur une stratégie double pour regagner en popularité. D’un côté, adopter un côté populiste à la Trump, comme le fait le gouverneur de Californie Gavin Newsom, pour essayer de casser leur image de technocrates avides en émotions. Et de l’autre, virer sur la droite politiquement en abandonnant certaines problématiques : fini le soutien aux personnes migrantes, il faut plus de fermeté (tout en restant humains attention). Fini aussi le soutien aux personnes trans car ça gênerait l’électorat, donc autant laisser ce terrain aux républicain·es dont la rhétorique anti-trans ne fait que s’amplifier. Une stratégie digne du Labour britannique qui, depuis son retour au pouvoir, semble s’être lancé dans un incroyable projet d’auto-sabordage à base de droitisation du parti qui lui vaut d’avoir une popularité plus basse qu’elle ne l’a jamais été dans l’histoire du parti. Comme quoi, on n’est pas obligé·es d’apprendre de ses erreurs ou de celles des autres.

Et Cuomo, lui-même peu enclin à apprendre de ses erreurs, ou à les reconnaître, a su trouver les mots pour représenter cette scission dans le parti. Car lors des débats, celui qui se présente en tant qu’indépendant, s’est amusé à rappeler qu’en réalité c’était lui le démocrate et non Mamdani, qui est un socialiste. Une remarque dont s’est amusé Mamdani, rappelant que sur les bulletins de vote, il était écrit « Zohran Mamdani » à côté de « Parti démocrate », et non « Andrew Cuomo ».

Car cette élection est bien la continuité d’une lutte interne au parti qui dure, sous sa forme actuelle, depuis 2016 et la candidature de Bernie Sanders. À ce moment-là déjà, et encore en 2020, les différent·es candidat·es démocrates lors des primaires présidentielles avaient fait bloc contre Sanders pour défendre le statu quo des démocrates centristes. Mais plus le temps passe et plus le contrôle des centristes du parti s’érode du fait de leur incapacité à lutter contre Trump et de leur absence de popularité. Après tout, leur dernière grande victoire avait consisté à gagner la présidence face à un Trump impopulaire et en présentant un candidat septuagénaire qui a finit son mandat dans la sénilité, mais qui voulait tout de même se représenter. Mais cette classe politique démocrate a toujours semblé plus intéressée de garder ses soutiens dans le milieu des affaires en mettant en place une politique pro-business que de proposer le moindre changement ou la moindre perspective politique enthousiasmante pour la population étasunienne.

Nous nous retrouvons à la veille d’une élection dont le résultat, et les retombées, auront à n’en pas douter un fort impact sur la politique étasunienne, particulièrement sur le parti démocrate. Est-ce que Mamdani confirmera son statut de grand favori et réussira l’exploit d’être passé, en un an, d’inconnu à 1% dans les sondages d’une primaire à maire de New York en battant un éléphant démocrate soutenu par Wall Street ? Et s’il l’emporte, comment réagira le parti démocrate, se résoudra-t-il à changer ou continuera-t-il à foncer dans le mur qu’il semble tant aimer ? Et si Trump met ses menaces à exécution et décide d’arrêter un élu juste parce qu’il ne l’aime pas politiquement, à la manière d’un Erdogan avec le maire d’Istanbul, est-ce que le parti démocrate saura faire front commun et s’y opposer avec la vigueur qu’un tel acte d’autoritarisme demanderait ?

Quoi qu’il se passe, il sera bon de tout de même apprendre les leçons qu’a à apporter la campagne de Zohran Mamdani. Cette dernière a su énergiser une importante base militante, lançant dans le militantisme des milliers de personnes, dernière un programme politique enviable porté par un message d’unité, de lutte contre les discriminations et l’injustice économique, et de soutien aux services publics. L’espoir qu’elle suscite est tout l’inverse des démons étasuniens dont l’expression a été exacerbé contre Mamdani, à l’image de ces républicains qui parlent de lui depuis des mois comme d’un possible nouveau 11-Septembre du fait de sa religion. Et New-York mérite mieux que de revivre les temps qui ont suivi le 11-Septembre et tout le poids de la suspicion et du rejet qu’ont alors subit les newyorkais·es de confession musulmane. Et avoir un Cuomo qui use de l’IA pour jouer sur la Red Scare et l’islamophobie, comme si le mur était encore debout et que les tours jumelles venaient de tomber, n’est probablement un futur enviable pour le parti et le pays.

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