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Billet de blog 2 octobre 2014

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Air France ou les risques du low cost

Le conflit chez Air France a donné lieu à un déluge de commentaires souvent acerbes contre les pilotes « nantis » qui auraient l’indécence de se plaindre alors qu’ils toucheraient des salaires faramineux.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le conflit chez Air France a donné lieu à un déluge de commentaires souvent acerbes contre les pilotes « nantis » qui auraient l’indécence de se plaindre alors qu’ils toucheraient des salaires faramineux.

La grève des pilotes s’est achevée alors que le même jour, certaines professions dites « protégées » ou réglementées (les pharmaciens, les médecins, les dentistes, les notaires, les huissiers) faisaient grève, également accusées de voler l’argent des Français. Sommées de le leur restituer. Manifestations, aussi, des retraités, le même jour, alors que sont annoncés des coups de canif ou de couteau contre la politique familiale appelée à se moderniser en 2015…

Tous contre tous donc ! Les jeunes contre les vieux, les médecins contre les malades, les pilotes contre les passagers et contre les autres personnels, les pilotes grévistes contre les pilotes non-grévistes…

Chacun et tous, au final, accusés de vouloir « Toujours plus », pour reprendre le titre délétère d’un ouvrage à gros tirage.

A défaut de s’attaquer à une finance devenue amie, le gouvernement n’a d’autre choix, comme les précédents, que de tenter de diviser pour régner.

Si la grève des pilotes d’Air France a pu durer si longtemps, c’est en raison du taux de syndicalisation très élevé des pilotes de l’entreprise et aussi, sans doute, de la très faible dispersion syndicale (deux syndicats) mais également parce que les pilotes d’Air France ont considéré que c’est l’avenir de leur entreprise que la direction compromettait.

Après le plan Transform 2015 et ses 8 000 suppressions de postes (dont 550 chez les pilotes), le plan Perform 2020, annoncé début septembre, prévoyait, entre autres, de développer une filiale low cost, Transavia Europe, avec de nouvelles bases en Europe ailleurs qu’en France et aux Pays-Bas, au Portugal et en Allemagne. Ces nouvelles bases auraient employé du personnel local, avec les contrats du pays dans lequel la low cost opère. La nouvelle entité, Transavia Europe, dont la création est finalement abandonnée suite à la grève, aurait ainsi permis de contourner la croissance du groupe Air France et de sa filiale low cost, croisance considérée comme contrainte par des accords de convention collective aux Pays-Bas et en France.

Les deux motifs de récrimination des pilotes d’Air France pendant leur grève auront été, pour l’un, le risque de concurrence interne au groupe Air France entre l’entreprise Air France et les deux filiales, Hop ! et Transavia, et, pour l’autre, une dégradation des conditions de travail des pilotes qui accepteraient de quitter Air France pour Transavia. D’où un conflit non résolu sur une dimension essentielle : le contrat unique de pilote demandé par les pilotes et refusé bec et ongles par la direction.

Il est remarquable ici de constater que pilotes et direction se sont accordé sur un constat commun : l’exploitation de Transavia France aux mêmes conditions qu’Air France n’engendrerait qu’un surcoût de 2 à 3%. Pourquoi alors la direction a-t-elle refusé un alignement apparemment peu coûteux et le contrat unique de pilote ?...

La réponse est à rechercher des deux côtés : celui du refus de la « cogestion » et celui des marges. L’adoption du contrat unique aurait signifié une forme de cogestion de l’entreprise par la direction et les pilotes. Que nenni ! Foin des discours sur les « parties prenantes » et la « gouvernance ». Le pouvoir, exclusif, reste du côté des seuls actionnaires.

Ce qui est cohérent avec le fait que l’augmentation de la marge de la compagnie est bien l’objectif central recherché par la direction d’Air France et ses actionnaires.

Quant au gouvernement, qui se targue de dialogue social, il n’aura cessé d’appeler à la fin de la grève. Il n’aura cessé de se montrer du côté de la direction et sera même allé jusqu’à refuser la nomination d’un médiateur.

Quelles conclusions tirer de cette grève ?

Alors que les économistes sont quasi-unanimes pour dénoncer les effets catastrophiques d’une guerre des prix, c’est partout que celle-ci est déclarée ou va l’être : le prix des médicaments fera l’objet d’une concurrence acharnée entre les pharmaciens et les opérateurs de la grande distribution. Concurrence entre les taxis réglementés et les voitures de tourisme avec chauffeur (VTC). Concurrence, au sein du groupe Renault, entre Dacia et la marque Renault, la première tendant à phagocyter la seconde. Concurrence à présent entre l’entreprise Air France et les filiales du groupe, Hop ! et Transavia, avec le même risque de phagocytage.

Alors que les effets de la guerre des prix sont connus, pourquoi celle-ci ? Parce que cette guerre est la conséquence de la double contrainte qui existe entre des consommateurs de plus en plus désargentés et des financiers/actionnaires qui ne relâchent en rien la pression qu’ils exercent pour maintenir, voire accroître leurs dividendes…au détriment des salariés et, par conséquent, des consommateurs réduits à rechercher des prix toujours plus bas.

Le low cost, que celui-ci concerne les services ou l’industrie, ne vise pas à satisfaire les attentes des clients, il est le signe et le facteur d’une crise que rien pour l’heure ne semble pouvoir arrêter.

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