Entretien avec Vassilis Peklaris (Aggelioforos)
Question : Nous nous trouvons un an après la mise en œuvre du mécanisme de soutien et du mémorandum. D'après vous, qu'est-ce qui a marché et où se situent les échecs ?
Réponse : Ce qui a marché, c'est la prise de conscience de l'impossibilité pour la Grèce de continuer sur la même trajectoire, celle qui a conduit le pays dans les difficultés qu'il affronte aujourd'hui. Ce qui a marché également, c'est la compréhension de la nécessité d'une meilleure collecte de l'impôt. Sans impôt qui entre, l'État ne peut assurer aucune mission.
Les échecs concernent tout le reste : en particulier la récession prévisible entrainée par les mesures d'austérité, la remise en cause du lien social par les mesures liées à la réforme du marché du travail.
Question : Avons-nous bien fait comme pays d'accepter le mémorandum ?
Réponse : Non. Car ce mémorandum signifie une mise sous tutelle du pays.
Question : Il y a un an, vous écriviez que la Grèce se trouve à la croisée des chemins. Est-elle toujours située au même endroit ou la Grèce a-t-elle pris un chemin et si oui, ce chemin est-il juste ?
Il y a un an, la Grèce a pris le chemin que lui suggéraient les grandes institutions internationales et les marchés financiers. Ce chemin a aggravé la récession, sans véritablement permettre de réduire le déficit public du fait de la contraction des recettes fiscales liées à l'activité économique.
Question : Ce que vous aviez écrit à propos de la récession, des sorties de capitaux, de la réduction des recettes s'est vérifié. Comment le pays peut-il sortir de la récession ?
En encourageant l'activité économique. Pour cela, il faut cesser de comprimer les dépenses publiques et privées (ménages) et lancer des investissements d'avenir dans des domaines prioritaires : l'éducation, la santé, le logement.
Question : En Grèce, existe le dilemme restructuration de la dette ou non. D'après-vous, qu'est-ce qui devrait être fait ?
La restructuration de la dette n'est ni une solution miracle ni ne doit être a priori écartée.
Une éventuelle restructuration n'a de sens qu'à deux conditions : qu'elle permette de desserrer les contraintes de court terme, qu'elle s'inscrive dans un projet d'ensemble.
Question : Où nous conduisent les nouvelles mesures d'austérité qui ont été annoncées ?
Vers une aggravation de la récession, une nouvelle hausse du chômage. Et par conséquent, une impossibilité de réduire les déficits publics. Des heurts sociaux très graves sont prévisibles.
Question : Pensez-vous que doivent être engagées des privatisations et à quelle hauteur ? Où ces privatisations nous conduisent-elles ?
Les entreprises de service public font partie du patrimoine de la Nation et ne devraient pas être privatisées. Elles sont un moyen par lequel peut s'exprimer la solidarité et la justice sociale. Elles sont aussi un levier potentiel du développement économique La question peut se poser autrement pour les participations publiques dans le secteur concurrentiel.
Question : Existe-t-il un espoir de reprise et comment celle-ci peut-elle venir ?
Non, pas vraiment. Sauf à admettre un changement de cap économique.
Question : Comment les citoyens doivent-ils se situer ? En résistance, en coopération ? Un nouveau début ? Lequel est possible ?
Les citoyens doivent se rappeler que dans une démocratie véritable, ils détiennent le pouvoir.
Leur principal pouvoir est celui de produire collectivement un projet. Ce projet manque manifestement à la Grèce aujourd'hui car la réduction des déficits ne constitue pas un projet.
Le projet dont la Grèce a besoin comporte deux orientations non séparables : il doit être démocratiquement décidé par les Grecs eux-mêmes, il doit assurer le développement durable du pays. Ceci signifie qu'il doit répondre aux besoins des Grecs, être pensé dans un souci d'équité et de justice sociale, soutenir des activités qui ne pèsent pas sur la Nature,
Question : Comment voyez-vous la situation de la Grèce dans 10 ans (2020) ?
La Grèce dispose de tous les moyens pour se développer à condition qu'elle rejette les mesures de court terme imposées de l'extérieur qui asphyxient le pays. Le peuple grec doit redevenir maître de son destin collectif. Mais il doit changer son rapport au bien public, à la Nature. Il doit aussi reconsidérer son rapport au travail qui n'est pas une contrainte mais une source de liberté. Il doit remettre l'argent à sa place : celui de moyen et non de fin.
Les Grecs doivent se souvenir d'un certain nombre de grands principes qu'ils ont contribués à édifier. Rappelons quelques-uns de ces principes.
Les richesses d'une Nation comme celles d'un individu ne sont pas toutes matérielles, a fortiori financières.
Il ne faut pas que la Grèce s'appauvrisse alors que certains Grecs continuent de s'enrichir.
Historiquement, la démocratie en Grèce a été fondée sur le principe de l'autonomie. Ce principe trouve sans doute son origine et sa force dans une mythologie qui refuse l'espoir d'une autre vie ailleurs que sur Terre. Ainsi, les Grecs ont-ils appris à se battre pour que leur vie sur cette Terre soit plus belle et libre.
Aujourd'hui, les Grecs doivent reprendre l'écriture de leur propre histoire et pour cela ils doivent relire leurs philosophes, Aristote en particulier.
"L'Homme est le seul animal qui rit". Le Grec doit retrouver son rire libre et ne doit pas se laisser assombrir par une pensée triste qui lui est étrangère.
Interview publiée par le journal "Aggelioforos" le 1er mai 2011
http://www.agelioforos.gr/default.asp?pid=7&ct=1&artid=90757