Depuis trois ans, la Grèce fonctionne comme un laboratoire expérimental où sont testées, grandeur nature, des politiques qui ne fonctionnent pas : l’activité économique est au plus bas, le chômage a explosé, la dette reste à un niveau désespérément élevé. Et pourtant, le gouvernement actuel continue sa politique d’austérité et de privatisations, et escompte même pouvoir apparaître bientôt comme le « bon élève » de l’Europe.
Le pari de ce gouvernement, d’ici 2015, est de paraître en mesure de présenter un bilan positif.
Une croissance qui serait repartie à la hausse, ce qui est d’autant plus facile que le pays aura vu son taux d’activité chuter considérablement pendant plusieurs années ; un déficit de la balance commerciale qui se réduirait grâce à un recul des importations lié à l’effondrement de la demande intérieure ; un possible recul du chômage grâce à la multiplication des emplois précaires et à la baisse du coût du travail ; un rétablissement apparent des comptes publics grâce aux hausses d’impôts qui n’épargnent que les plus riches et à l’écrasement des dépenses qui concernent directement les bien-être des Grecs et de leur famille (dépenses d’éducation et de santé, retraites).
A l’opposé de la politique actuelle et des souffrances qu’elle génère, du déclin du pays qu’elle organise ne laissant aucun espoir à une jeunesse obligée de choisir à nouveau l’exil, ce dont la Grèce et l’Europe ont besoin est un nouveau modèle de développement.
Ce modèle de développement doit exprimer la confiance du peuple dans son destin, dans sa capacité à se prendre en mains. La Grèce souffre depuis trop longtemps d’un destin qui lui échappe, lui est imposé de l’extérieur. Il est temps pour la Grèce de définir un projet qui lui soit propre en comptant sur ses propres forces. Ce faisant, la Grèce pourrait servir de référence pour nombre de pays européens qui ont perdu une grande part de leur souveraineté, voire de leur identité.
La première des forces sur laquelle la Grèce peut compter est celle qu’elle a inventée : la démocratie. La démocratie représentative a, partout, montré ses limites dès lors qu’elle n’est pas appuyée sur la seule vraie forme de démocratie, celle que les Grecs ont inventée : la démocratie directe. Cette démocratie directe doit revivre partout : dans la Cité, dans les lieux où s’expriment des relations de proximité, dans tous les lieux où les hommes vivent, travaillent ou exercent une activité.
Le travail (ergassia) est une deuxième dimension du modèle de développement que la Grèce doit inventer. Le travail dont il est question ici n’est pas la servitude. Les Grecs ont à juste titre distingué le travail en servitude, « douleia », du travail-œuvre, « ergassia ». La mère de toutes les crises que les pays capitalistes traversent actuellement ne réside pas dans la finance, elle réside dans une conception du travail qui perdure assimilant le travail tantôt à une peine, tantôt à un coût mais qu’il convient de réduire. Ce, alors que le travail est à l’origine de la création de richesse réelles et constitue la source vivante de toutes les formes d’innovation. C’est cette conception du travail vivant, synonyme d’expérience et de compétences, qu’il convient de promouvoir partout, en particulier dans les entreprises mais aussi dans les administrations publiques. Pour cela, la Grèce devra consentir dans la durée un important effort de formation et de qualification en le considérant comme une priorité nationale, ce qui signifie qu’il ne saurait être laissé à la charge des familles.
Contrairement au schéma que tentent d’imposer le gouvernement grec actuel et la Troïka, la Grèce doit développer ses activités productives non en les orientant vers les marchés internationaux mais vers les besoins de sa population. Il est tout à fait exact que la Grèce est trop dépendante de ses importations mais l’unique façon de réduire cette dépendance consiste en une orientation des activités productives du pays vers les besoins fondamentaux de sa population : besoins de nutrition, de santé, de logement, d’habillement, de mobilité. Dans tous ces domaines et d’autres encore, les entreprises grecques, avec l’appui d’une politique industrielle déterminée qu’un nouveau gouvernement progressiste devra mettre en œuvre, trouveront les débouchés pour croître et entraîner le développement de la base productive dont le pays a impérativement besoin et sans laquelle aucune souveraineté politique n’est possible.
Le développement de la base productive du pays ne saurait se faire au détriment de la nature. Le modèle de développement que nous appelons de nos vœux doit tourner le dos au productivisme et au pillage de la nature. La nature en Grèce est exceptionnellement belle et riche. Les Grecs doivent la considérer comme un bien commun qu’ils doivent protéger et non dégrader. De meilleurs produits dans toutes les activités répondant aux besoins fondamentaux des Grecs peuvent être proposés sans que leur production et leur utilisation ne pèsent sur la nature : productions agricoles biologiques ou issues de l’agriculture raisonnée, logements économes en énergie, vêtements issus de productions textiles respectant la nature, transports sobres et, à chaque fois que cela est possible, réduits en distance, devront être favorisés. La conception et la production de ces produits respectant la nature mobiliseront des compétences élevées et nombreuses, fournissant les emplois qualifiés dont les Grecs, les plus jeunes d’entre eux, en particulier, ont besoin.