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Billet de blog 10 avril 2013

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Chypre, un paradis fiscal en moins ?

Pendant deux décennies, la croissance de l’économie chypriote a été basée sur l’expansion de son secteur financier, de ses banques. Chypre a fonctionné comme un « paradis fiscal ». Ainsi, le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené à 10% (contre 33% en France) et les formalités d’ouverture ou de fermeture de comptes bancaires auront longtemps été des plus faciles…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pendant deux décennies, la croissance de l’économie chypriote a été basée sur l’expansion de son secteur financier, de ses banques. Chypre a fonctionné comme un « paradis fiscal ». Ainsi, le taux de l’impôt sur les sociétés a été ramené à 10% (contre 33% en France) et les formalités d’ouverture ou de fermeture de comptes bancaires auront longtemps été des plus faciles…

Le secteur financier chypriote a ainsi été à la base de son expansion, mais il convient aussi de rappeler que la fiscalité très favorable réservée aux « investisseurs » a constitué une pierre angulaire de la négociation d’adhésion de l’île à l’Union européenne en 2004.

« Preuve » de l’efficacité du modèle financiarisé chypriote : les avoirs russes ont pu monter jusqu’à 25 milliards d’euros alors que le PIB de l’île n’est que de 18 milliards. Les mêmes Russes (ou presque) ont utilisé l’île comme support de leurs transactions liées au gaz, au pétrole, aux métaux ou encore à la chimie.

Notons cependant que, si le bilan des banques représente 8 fois le PIB de l’île et si le système financier contribue, selon les estimations les plus hautes, à 45% du PIB, la situation de Chypre ne diffère pas vraiment de celle d’autres économies européennes comme l’Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ou l’Autriche… pour ne pas parler de celle dont on se souvient, l’Islande.

Les dégâts constatés à Chypre depuis trois semaines, s’ils sont incontestablement dus à une hypertrophie financière de son économie, peuvent, en partie, être considérés comme une conséquence directe de la crise grecque : les banques chypriotes ont massivement acheté la dette grecque qui a été fortement dépréciée en mars 2012. Le taux de créances douteuses de la filiale à Athènes de Laïki est de 40%...

L’enchaînement des plans depuis la mi-mars

Un premier plan de « sauvetage » (16 mars) préparé par l’Eurogroupe est abandonné suite au refus de le voter du parlement chypriote. Ce plan prévoyait une taxation de l’ensemble des comptes bancaires (y compris ceux inférieurs au seuil de 100 000 euros pourtant garanti dans la zone euro). Le véritable objectif de ce premier plan était de tenter de préserver la place « offshore » de Chypre en évitant de taxer plus lourdement les titulaires de gros comptes.

Un second plan de sauvetage est adopté le 25 mars par la Troïka et les dirigeants chypriotes, sans être repassé par le parlement. La décision est prise de démanteler la seconde banque du pays, la Laïki (8 000 salariés). La première, Cyprus Bank, sera restructurée mais 9 milliards d’euros de créances auprès de la BCE lui ont été transférés, hypothéquant son avenir.

En contrepartie d’une aide de 10 milliards d’euros, inférieure à celle qu’elle demandait (17 milliards), Nicosie semble avoir bel et bien sacrifié son secteur bancaire.

L’aide fournie à l’île, d’un montant de 10 milliards d’euros donc, proviendra essentiellement du "mécanisme européen de stabilité" mais comprendra également un apport (1 milliard d’euros) du Fonds monétaire international (FMI). Le montant de cette aide aurait été calculé pour « permettre à la dette de Chypre de rester soutenable », ont expliqué les dirigeants de l'Eurogroupe  (soit autour de 100 % du PIB d'ici à 2020).

Suite à l’accord, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu'elle ne mettrait pas fin à ses apports de liquidités aux banques chypriotes.

La principale mesure du plan annoncé le 25 mars consiste en une taxation des comptes de plus de 100 000 euros, allant jusqu’à 60% de leur valeur. Le seuil de 100 000 euros apparaît assez bas au regard de la taxation prévue et devrait concerner des franges importantes de la population chypriote, même si les plus petits épargnants sont exonérés.

Mais quid véritablement des titulaires des gros comptes dont on a pu dire que c’était le souci de les épargner qui avait motivé le premier plan alors que le souci inverse aurait été à la base du second ?

Rappelons que, selon les déclarations du président de l’Eurogroupe, les investisseurs privés, les actionnaires des banques, les créanciers obligataires et les détenteurs de dépôts non garantis (sous-entendus les dépôts supérieurs à 100 000 euros) devraient être ponctionnés plutôt que le contribuable. Ces déclarations ont jeté un coup de froid sur les marchés financiers mais ceux-ci se sont vite repris lorsqu’il est apparu que certaines mesures présentées comme exceptionnelles –tel le contrôle sur les mouvements de capitaux– ne dureraient en principe que quelques semaines. Les capitaux russes ou autres, contrairement à ce qu’ont pu dire les dirigeants chypriotes et européens, ont pu quitter l’île discrètement avant d’être vraiment inquiétés comme le relèvent Martine Orange sur Mediapart ou Marie de Vergès dans Le Monde. Mieux, les filiales dans l’île des banques étrangères ne sont pas touchées par le plan. Ainsi, par exemple, les 30 milliards d’euros de crédit accordés ces derniers mois par les banques russes aux filiales de plusieurs entreprises… russes implantées à Chypre sont sains et saufs (Marie Jégo, Moscou est désormais d’accord pour renégocier les conditions de son prêt à Nicosie, Le Monde, 27 mars).

Au-delà de l’accord ?

Au-delà des annonces faites le 25 mars, un prochain protocole d’accord accompagnant le plan d’aides devrait prochainement être rendu public fixant les orientations à plus long terme. Il est très probable que ce protocole comprendra (comme en Grèce) des privatisations et des hausses d’impôt. Comme le dit Nicolas Véron, chercheur chez Bruegel et au Peterson Institue à Washinton, « la règle générale, c’est surtout que ce sont les petits qui souffrent. Les grands s’en sortent toujours ». Comme en Grèce, le pays est contraint de dégager à compter de 2018 un surplus budgétaire primaire (avant paiement des intérêts de la dette) de 4% du PIB, un objectif quasi-inatteignable quand on imagine la récession qui l’attend.

Quelles leçons générales tirer de la crise chypriote ?

Elles semblent être au nombre de trois :

- celle tout d’abord du caractère artificiel de toute croissance fondée sur le secteur financier, l’économie « casino ». Paradis fiscal, Chypre se noie aujourd’hui dans l’écume de la finance ;

- celle ensuite de la perte de souveraineté d’un nouvel Etat de la zone euro et le rôle-clé joué, une fois de plus, par le FMI, la BCE et la Commission européenne ;

- celle, enfin, de la lourdeur des mesures envisagées, mesures qui vont frapper durablement l’économie et la société chypriotes, en particulier les plus modestes…

Quand seront abandonnées, enfin, les politiques d’austérité qui font payer aux plus pauvres une crise dont ils sont les victimes tout en enfonçant les pays dans la récession ?

Combien de temps faudra-t-il encore attendre pour que soient décidées et mises en œuvre des mesures non seulement d’interdiction des paradis fiscaux mais encore de régulation de la finance empêchant celle-ci de se comporter comme un gaz, volatil, se plaçant mais ne s’investissant pas ? La remise à demain de telles mesures ne peut que jeter un doute sur la volonté politique de remettre la finance à sa place.

Les annonces faites par François Hollande consistant à exiger des banques la transparence de l’existence de leurs filiales « partout dans le monde, pays par pays » a de quoi faire peur, ex post. Cette transparence n’existait donc pas ? Le fisc français ignorait-il ces filiales ?

Imposer l'échange automatique de renseignements entre pays membres de l’Union est un premier pas dont on ne peut que s’étonner qu’il n’ait pas été franchi déjà depuis longtemps.

Il n’est pas sûr qu’il suffise pour porter un coup « fatal » à la spéculation et à la volatilité du capital. Un premier pas donc…Il n’est que temps !

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