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Billet de blog 10 novembre 2010

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Un conflit qui s'achève et qui interroge la démocratie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec l'arrêt de la grève dans les raffineries et en dépit de mouvements qui persistent ici et là (notamment dans le secteur de l'éducation et de l'enseignement supérieur), il semble bien que l'on s'oriente vers la fin du conflit sur la réforme des retraites.
Plusieurs arguments auront été d'abord employés pour convaincre l'opinion publique du caractère inutile, voire stupide de la contestation. Dans un second temps, l'argumentation, orientée principalement contre les grévistes, s'est faite plus violente.
Une contestation stupide ?
Les grévistes et manifestants auront été posés, dans un premier temps, comme incapables de comprendre que cette réforme devait permettre de sauver la retraite par répartition. Cependant, au même moment que les cortèges défilaient en France, à Bruxelles, la Commission européenne ouvrait discrètement un débat sur les fonds de pension dans la perspective de l'instauration d'un système mixte alliant un financement par répartition à un système par capitalisation « à l'américaine ». A Paris, on annonçait la création, le 1er janvier prochain, avec l'appui de la Caisse nationale de prévoyance (CNP), filiale de la Caisse des dépôts de consignation (CDC), d'une société d'assurance du nom de Sevriana dont la mission est de développer la retraite par capitalisation.
Si stupides que ça les grévistes ? La réponse étant devenue incertaine, un argument ultime aura été employé pour discréditer le mouvement social : le coût des grèves et le risque que celles-ci auraient fait peser sur une croissance fragile.
Une contestation coupable !
C'est donc la France et son économie que les grévistes et les manifestants auraient failli atteindre mortellement dans leur funeste entreprise de contestation. Ils auraient agi comme des terroristes ou des casseurs de croissance, coupables de l'augmentation future du chômage. De là où se situent les élites qui nous gouvernent, cela aura été vraiment à se désespérer du peuple que d'observer que ces voyous de l'économie auront continué à bénéficier du soutien très large (au moins passif) de l'opinion publique.
Et un quotidien du soir de ramener cependant les choses à une plus juste proportion en titrant « bilan des grèves : une simple éraflure économique » (Le Monde, 30 octobre 2010).
A l'heure où le mouvement social semble s'éteindre sans avoir atteint la victoire espérée, quels enseignements tirer d'un conflit ayant fait descendre des millions de Français dans la rue à plusieurs reprises ?
Nous en retiendrons trois.
Les trois enseignements à tirer du conflit
Le premier est que si un coût ou un prix a été supporté, celui-ci l'a été par ceux qui ont accepté de perdre une part de leur salaire et donc de rogner sur l'essentiel pour tenter de s'opposer à une réforme perçue comme injuste parce qu'accroissant les inégalités. Le corollaire cet enseignement est une invite aux experts de Bercy et ceux qu'ils servent de revoir leur bases de calcul pour les rendre tout simplement moins indécentes.
Le deuxième enseignement concerne les syndicats et les partis de gauche. Le moins que l'on puisse dire est qu'ils n'auront pas su ou voulu donner au mouvement social une perspective dont celui-ci avait besoin pour sortir victorieux du conflit. On n'insistera pas sur les atermoiements du Parti socialiste autour de la question du report de l'âge de la retraite ni sur les déclarations contradictoires de ses dirigeants. Cela n'aura été que trop visible. On pourra également, comme cela est fait sur certains blogs, se poser des questions sur l'étrange défaite de la grève des raffineries et les questions nombreuses qu'elle pose alors que l'intersyndicale semblait soudée et déterminée à ne pas céder.
Le troisième enseignement, par anticipation celui-ci, est qu'il paraît peu probable, au vu de ce qui s'est passé, que d'ici 2012, les partis de gauche et les syndicats soient parvenus à produire une perspective d'ensemble, c'est-à-dire un projet politique redonnant de l'espoir et le goût de l'avenir.


Faire revivre la démocratie partout
Que faire alors face aux multiples manifestations de la « Grande Régression » (titre du nouvel ouvrage de J. Généreux) organisée par un capitalisme financiarisé dont le conflit des retraites marque le choc inévitable et généralisé entre le monde du travail et la finance ?
La réponse tient en une proposition : faire (re)vivre la démocratie partout. Le peuple, qui n'est ni une foule ni une masse, le demos, doit retrouver sa voix et produire lui-même le projet que ses représentants ne sont pas aptes à formuler. Tour à tour infantilisé et culpabilisé, le peuple doit trouver les moyens de son autonomie, c'est-à-dire sa capacité à définir les normes, les règles et surtout la finalité des sphères sociale, économique et financière.
L'enjeu aujourd'hui est de dépasser les postures de résistance et ne plus attendre une hypothétique solution politique qui se présenterait sous la forme d'un appel à voter pour tel parti plutôt que tel autre. Si voter est assurément un droit (ou plutôt une conquête) ainsi qu'un devoir, si tous les partis ne se valent pas, voter ne peut aujourd'hui suffire pour produire un changement significatif et risque fort de mener à une énième alternance sans alternative.
C'est au peuple souverain lui-même qu'il revient de définir les voies et les moyens du changement. Ici réside peut-être la principale leçon du conflit qui s'achève et c'est sans doute pour éviter que cette leçon ne soit tirée que nos gouvernants auront assimilé les manifestants et grévistes à des terroristes ou des casseurs. De tous temps, ces qualificatifs auront été employés par ceux qui détenaient le pouvoir ou la force pour désigner aux yeux du « bon peuple » ceux dont les actes et, plus grave, la pensée étaient jugés comme subversifs.
Les vrais terroristes, les casseurs de l'économie et ceux qui portent atteinte au lien social sont cependant ailleurs. Ils servent la finance ou en sont les acteurs. Il se pourrait qu'un jour il soit nécessaire de les juger pour crime économique et social, voire crime envers la nature, pour avoir servi leurs intérêts contre ceux de tout un peuple et singulièrement contre ceux de sa composante produisant les richesses réelles.


Dépasser l'obstacle des seules postures de résistance et de l'attente d'une réponse instituée
Reste une question : comment peut se produire un tel basculement vers une démocratie authentique ? Cette interrogation, que certains s'empresseront de soupçonner comme relevant du populisme, est tout sauf évidente. Nous pensons avoir identifié le principal obstacle à sa formulation : l'enfermement dans des postures de résistance ou de dénonciation et l'attente d'une réponse instituée par ceux qui parlent au nom du peuple. La prise de conscience de ce double obstacle pourrait, paradoxalement, être le principal résultat du conflit qui s'achève.

Article publié sur Marianne2.fr le 6 novembre 2010"

http://www.marianne2.fr/Retraites-un-conflit-qui-interroge-la-democratie_a199306.html

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