Les barbares, pour les Grecs de l'Antiquité, étaient ceux qui ne parlaient pas le grec…
Les barbares sont de retour.
Les barbares ont pris le pouvoir à Athènes.
Cette nuit, de nombreux bâtiments de la capitale grecque ont brûlé, Athènes a été le théâtre de très violents affrontements entre la police et les manifestants.
Le premier ministre grec, Lucas Papademos, peu avant le vote décisif du parlement adoptant un nouveau plan d'austérité, a stigmatisé les fauteurs de trouble, estimant que «violences et destructions n'ont pas de place en démocratie». Qualifiant le plan de «seule solution réaliste», M. Papademos avait appelé les députés à «prendre leurs responsabilités» et à confirmer la voie du maintien dans la zone euro.
La question cependant mérite d'être posée: quels sont les auteurs des violences et des destructions que dénonce le premier ministre grec?
Plutôt que les manifestants ou la «rue», ne s'agit-il pas plutôt du premier ministre grec lui-même et de ses acolytes du «gouvernement de la honte»?
La semaine dernière, la presse internationale (française, en particulier) évoquait les «atermoiements» grecs et titrait que le gouvernement grec serait pris en étau entre la Troïka (FMI, BCE et l'Union européenne) et la «rue».
La Grèce pourrait bénéficier d'un effacement «sans précédent» de sa dette «à deux conditions». La première, suggérée par les gouvernements allemand et français, est qu'elle inscrive dans sa loi la priorité donnée au service de la dette. Athènes n'aurait le droit d'engager aucune dépense avec les recettes fiscales et l'argent emprunté tant que la Grèce n'aura pas honoré ses dettes. Pour être bien sûr qu'aucun «dérapage» ne se produise, une partie des aides accordées à la Grèce serait versée sur un compte séparé, réservé au remboursement de la dette. Avec cette première condition, c'est peu dire que le pays est, de facto, sous tutelle et que la souveraineté nationale est menacée. Rappelons que l'effacement de la dette dont il est question permet théoriquement de ramener la dette du pays à 120% en 2020… c'est-à-dire à son niveau de 2009, avant que le jeu de massacre ne commence avec le premier plan d'austérité.
La seconde condition de l'effacement de la dette est une nouvelle baisse des salaires et des retraites, elle aussi sans précédent: baisse de 22% du salaire minimum, réduction de 35% du salaire des fonctionnaires, diminution de 15% des retraites dans les entreprises appartenant à l'État…
Mais cette baisse serait réalisée pour le plus grand bien des Grecs sommés de rétablir leur compétitivité. Mais de quelle compétitivité s'agit-il? Si les salaires en Grèce ont bien augmenté depuis la fin des années 1990 plus vite qu'ils ne l'ont fait en Allemagne (le fameux «modèle» allemand…), ils demeurent deux fois inférieurs. Surtout, la baisse des salaires ne peut pas améliorer la compétitivité de produits qui n'existent pas! La base productive grecque a, en trois décennies, été laminée. Le pays a perdu ainsi ses atouts dans le textile-habillement, l'industrie du bois et même l'agro-alimentaire! Pour ne pas parler des chantiers navals grecs coulés avec le renfort des armateurs au bénéfice des chantiers chinois.
La baisse des salaires n'a, en réalité, aucun rapport possible avec l'amélioration de la compétitivité. Son seul objectif est de réduire le déficit commercial énorme d'un pays qui exporte peu et importe l'essentiel des produits industriels qu'il achète. Dans cette perspective, la baisse des salaires et, plus généralement, celle de tous les revenus des ménages, a comme effet recherché la baisse de la consommation. Celle-ci diminuant, les importations devraient mécaniquement se contracter et le solde commercial se rétablir.
Le seul problème, que le patronat grec a bien identifié, refusant pour la première fois les mesures d'austérité, est que c'est toute l'activité économique du pays qui va être concernée et non les seules importations. La récession ou plutôt la dépression à l'œuvre depuis cinq ans va donc s'amplifier considérablement et avec elle le chômage qui atteint déjà plus de 20% de la population et près d'un jeune sur deux. Le Moyen-âge social est bien en vue!
Les barbares ne sont pas les manifestants qui ont protesté contre le nouveau plan du gouvernement et de la Troïka (FMI en tête), ce sont ceux, Grecs comme non-Grecs, qui imposent au peuple grec une potion mortifère.
Les barbares sont bien de retour à Athènes et ils ne constituent en rien une solution…
De quoi méditer le sens du poème du grand poète grec Constantin Cavafis «En attendant les barbares» (1904).