« L’Amour médecin », Acte 2
Une pièce de Molière, 1734
Dialogue entre deux personnages…
SGANARELLE.- Est-ce que les médecins font mourir ?
LISETTE.- Sans doute : et j’ai connu un homme qui prouvait, par bonnes raisons, qu’il ne faut jamais dire : "Une telle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur la poitrine" : mais "Elle est morte de quatre médecins, et de deux apothicaires."
SGANARELLE.- Chut, n’offensez pas ces messieurs-là.
Comme toujours en pareille circonstance, toute ressemblance avec des personnages ayant existé…
Avec un peu d’imagination toutefois :
Dans le rôle du malade guéri qui meurt : La Grèce et les Grecs
Dans le rôle des quatre médecins : La Banque centrale européenne, la Commission européenne, le FMI et l’Allemagne
Dans le rôle des deux apothicaires : Goldman Sachs et JP Morgan
Emporté par sa joie d’affronter bientôt les élections, le gouvernement grec raconte désormais une success story qui trouve de nombreux échos ravis dans plusieurs capitales européennes :
- le déficit public a laissé la place à un excédent
- le déficit des échanges extérieurs se réduit, signe que l'économie grecque aurait retrouvé une part de sa compétitivité
- le chômage recule
- la croissance serait sur le point de revenir après six années de dépression économique
- enfin, la Grèce ferait son grand retour sur les marchés financiers et pourrait donc désormais se passer des financements décidés par la Troïka.
D'où la représentation triomphale d’un gouvernement qui, à force d’efforts, aurait vaincu la crise et aurait le bonheur d’annoncer à son peuple harassé la fin de l'austérité.
Cette success story est une narration trompeuse dont le premier destinataire est le peuple grec qui doit s’exprimer bientôt dans le cadre d'élections municipales et européennes.
Nous proposons en lieu et place de cette narration fallacieuse un bilan démythifié de plus de quatre années d'austérité.
Le déficit public aurait laissé la place à un excédent…
L’excédent qu’évoque le gouvernement est celui du solde budgétaire hors intérêts liés à la dette. Si l'on tient compte de ces intérêts, le solde budgétaire reste négatif.
Surtout, l'amélioration apparente des comptes publics a été obtenue au prix d'un écrasement de la dépense publique. Les grands sacrifiés sont l'éducation et la santé dont les budgets ont reculé de 30%.
Par ailleurs, comme cela a souvent été souligné, la baisse de la dépense publique a amplifié le recul de la demande et a constitué un puissant facteur récessif pour l’ensemble de l’économie.
Le déficit des échanges extérieurs se serait réduit, signe que l'économie grecque aurait retrouvé une part de sa compétitivité…
La réalité est moins une reprise des exportations que la forte contraction de la consommation intérieure et, par conséquent, des importations.
La baisse de la demande publique, de la demande privée des ménages (dont les revenus se sont effondrés), de l'investissement des entreprises comme de l’Etat ont provoqué une récession économique et une forte baisse des importations.
Contrairement au mythe de la compétitivité, la baisse des salaires n'a pas relancé les exportations mais a eu pour effet de réduire la consommation et les achats de produits importés.
Le déficit de la balance commerciale s'est donc en partie résorbé mais de la pire des façons.
La croissance serait sur le point de revenir après six années de dépression…
Rappelons d'abord que la Grèce a enregistré une profonde dépression suite à la politique qui a été conduite : - 25% du Pib.
Cette dépression correspond à ce que certains ont désigné comme étant une dévaluation intérieure (on observera que cette expression n'est pas vraiment appropriée car les prix intérieurs ont peu baissé jusqu'à ce jour).
Après six ans de dépression, un retour de la croissance ?
Le gouvernement place de grands espoirs du côté du tourisme et de l'investissement étranger grâce aux entrées potentielles de capitaux profitant des bonnes affaires à saisir (privatisations) et des opportunités offertes par la dérégulation du marché du travail et celle du droit de l’environnement.
Grâce à la grande vente aux enchères de la force de travail du peuple grec, des ressources naturelles du pays et des actifs publics que le gouvernement organise, la prévision de croissance du gouvernement est de 0,6% pour 2014. A ce rythme-là, il faudrait près de 40 ans pour effacer le recul du Pib… mais la Grèce et les Grecs ne survivraient pas à une telle médication.
Le chômage reculerait…
Le taux de chômage serait passé de 27,8% à 26,7%. A l’évidence, ce n’est pas la reprise de l’activité qui explique la légère baisse du taux de chômage mais la multiplication des aides à l’emploi. L’Agence nationale pour l’emploi (OAED) a ainsi lancé plusieurs programmes (essentiellement financés sur fonds européens) dont l’objectif est de faire baisser le taux de chômage dans un délai court (avant les élections). Les emplois soutenus sont temporaires et concernent près de 300 000 personnes. Parmi les programmes de l’OAED, une mesure vise à subventionner l’emploi dans le secteur privé. Le principe est qu’une entreprise embauche pour un an un chômeur inscrit sur les listes de l’agence, qui paie en retour la plus grosse partie de son salaire et les cotisations sociales. Seul un petit reliquat reste à la charge de l’employeur.
Nous sommes assez loin ici du fonctionnement qu’évoquent les thuriféraires de l’économie de marché.
Enfin et surtout, la Grèce ferait son grand retour sur les marchés financiers, pourrait donc désormais se passer des financements décidés par la Troïka…
Début avril, le gouvernement grec a ainsi lancé un emprunt obligataire sur 5 ans de 2,5 milliards d'euros au taux avoisinant 5%.
Cet emprunt a effectivement été souscrit…
Quelle était la principale cible ? Ni les banques, ni les ménages mais les Hedge Funds, les fonds spéculatifs qui depuis plusieurs mois ont montré leur intérêt pour les pays dits de la “ périphérie ” de la zone Euro.
Qui a organisé l'opération ? Six grandes banques privées, dont la plupart ont leur siège à Wall Street.
Six grandes banques qui, au passage, encaisseront de confortables commissions : JP Morgan, Morgan Stanley, Bank of Amerika-Merrill Lynch…et Goldman Sachs, la banque qui a “ aidé ” au maquillage des comptes grecs en 2001 (ainsi que HSBS et Deutsche Bank).
Le gouvernement grec a choisi ce marqueur comme principal signe de succès de la politique qu’il conduit.
Laissons-le-lui !
Dans la vie réelle, le bilan de la politique suivie se résume à quelques chiffres que le gouvernement feint d’ignorer… outre le recul de 25% du Pib :
- Un taux de chômage qui concerne plus du quart des Grecs en âge de travailler, en dépit des mesures artificielles prises pour le faire baisser avant les élections, taux qui est de 60% pour les jeunes
- Des salaires et des retraites qui se sont effondrés : le salaire minimum brut est passé de 751 euros en 2009 à 586 euros en 2012. Il est de moins de 500 euros pour les moins de 25 ans
- Près du quart de la population grecque vit désormais en dessous du seuil de pauvreté
- 2 à 3 millions de personnes ne sont plus couvertes par aucun dispositif de protection sociale et sont par conséquent dans l’impossibilité de se soigner !
N’en déplaise au gouvernement, la Grèce et les Grecs vont mal mais ne veulent pas mourir.
La politique actuelle, contrairement à ce que prétend éhontément l’actuel gouvernement, loin d’être en train de réussir, enfonce le pays dans la crise.
Cette politique bénéficie cependant aux nantis qui en sont les réels bénéficiaires, tant en Grèce qu’ailleurs.
Comme partout mais davantage qu’ailleurs, les inégalités sociales se sont accrues en raison de la paupérisation d’une partie très importante de la population, du laminage des classes moyennes.
Et, s’agissant de la dette, il y a bien ceux qui la payent et ceux qui la détiennent.
De l’aveu même du FMI, la dette de la Grèce est devenue « insoutenable ». En clair, même une croissance retrouvée ne permettrait pas de la réduire.
C’est pourquoi la dévalorisation de l’essentiel de son encours et l’arrêt définitif de tout paiement des intérêts de celle-ci constituent aujourd’hui deux décisions face auxquelles un nouveau gouvernement ne doit pas trembler. A la fois parce que la dette rend impossible tout projet pour la Grèce et parce qu’elle est un des vecteurs principaux du creusement des inégalités, de l’extension de la pauvreté.
Gabriel Colletis, Professeur d’Economie à l’Université de Toulouse (France)
Auteur d’un livre à paraître très prochainement
Exo apo tin Krisi. Gia mia chora pou mas axizei !
(Sortir de la crise. Pour un pays que nous méritons !)
Editions Livanis, Athènes