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Billet de blog 26 février 2010

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Garantir une recherche économique pluraliste

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Garantir une recherche économique pluraliste

Les Echos, no. 19653

Idées, lundi 24 avril 2006, p. 19

Le point de vue de

GABRIEL COLLETIS

Gabriel Colletis

Professeur de Sciences économiques

Université de Toulouse 1-Capitole

http://w3.univ-tlse1.fr/LEREPS/

Mieux mobiliser le potentiel de recherche et le mettre à la disposition du développement économique constituent des objectifs difficilement contestables dans leur énoncé général. L'organisation de la recherche telle qu'elle est actuellement envisagée reposerait sur une forte distinction entre recherche « finalisée », concentrée dans des PRES (pôles d'enseignement supérieur et de recherche) adossés si possible à des pôles de compétitivité, et recherche scientifique, dont l'organisation et les moyens seront concentrés dans des « campus » appuyés sur des fondations de coopération scientifique. Ces campus, en nombre très limité, devront avoir comme objectif une « lisibilité internationale » très forte.

Le gouvernement pourrait se satisfaire d'un paysage dont il aurait contribué puissamment à dessiner les contours : une recherche finalisée appuyée sur des effets de proximité spatiale et des complémentarités avec le potentiel propre des entreprises, une recherche scientifique de renommée internationale.

La concentration exceptionnelle de moyens sur un nombre limité de campus provoque une contestation forte chez certains universitaires. Mais d'autres tentent de tirer avantage de ce nouveau cadre. Dans la discipline de l'économie, un campus a déjà été annoncé par le gouvernement avec la création de l'Ecole d'économie de Paris. Des économistes toulousains, ceux regroupés autour de l'Idei (Institut d'économie industrielle), tentent également de créer leur propre campus, alors qu'un autre se dessine déjà sur le même territoire (Aerospace).

Un des motifs invoqués pour lesquels il serait louable de vouloir créer un pôle de recherche à dimension mondiale en économie est qu'il ne serait pas bon que les idées nouvelles en sciences sociales soient produites ou publiées quasi exclusivement par les grandes universités américaines. On peut cependant être pour le moins surpris qu'il n'y ait pas eu de véritable « concours » pour la création de cette première école d'économie labélisée.

Une question encore plus importante surgit : en matière de sciences sociales, la meilleure garantie du pluralisme des idées n'est-elle pas donnée par le pluralisme des méthodes de recherche et des paradigmes scientifiques ? Ne faut-il pas s'interroger sur le prix de cette « visibilité internationale » ? On sait que celle-ci passe pour les laboratoires par l'obtention d'un grand nombre de publications dans les meilleures revues scientifiques (pour leur majorité de langue anglaise).

Il ne saurait être question de mettre ici en cause les critères de classement de ces revues. On peut toutefois s'interroger sur le pluralisme des idées qu'elles diffusent. La majorité des articles qui y sont publiés font l'hypothèse que l'économie peut être comprise comme une agrégation d'individus égoïstes et « rationnels ». La démonstration mathématique est plus que jamais considérée par ces prestigieuses revues d'économie comme le seul type d'argumentation véritablement convaincant. Cette mathématisation toujours plus poussée garantit-elle la fiabilité des théories économiques ? Des travaux dans les domaines de la macroéconomie, des politiques budgétaires et monétaires ont eu une portée théorique considérable, mais leur transposition directe dans la pratique des politiques monétaires aurait consisté pour le moins en un exercice d'apprenti sorcier. En économie, la mise en équations de l'argumentation ne garantit pas nécessairement la pertinence ou l'utilité sociale des idées véhiculées. Ces équations ne sont, du reste, que la traduction dans le langage mathématique d'hypothèses sur le comportement des hommes en société. On pourra donc convenir que le pluralisme de ces hypothèses est nécessaire, de même qu'il devrait y avoir de la place pour des approches de l'économie qui s'enrichissent des apports de la sociologie, de l'histoire ou du droit ou encore de la psychologie.

Lorsque l'on fait le bilan des idées nouvelles apparues dans les sciences économiques, on constate que c'est lorsqu'ils s'inspirent des autres sciences sociales et des sciences humaines que les économistes font des découvertes novatrices.

On peut considérer les mathématiques appliquées à l'économie avec grand intérêt, mais aussi avec le recul qui permet de ne pas les considérer comme une fin en soi. De nombreux chercheurs en économie veulent travailler dans des conditions permettant la reconnaissance de leurs travaux, même lorsque ceux-ci n'empruntent qu'à titre complémentaire à la formalisation mathématique. C'est aussi la demande exprimée par la société et par les étudiants, en France comme partout dans le monde, que cette économie pluridisciplinaire dans ses inspirations et ouverte dans ses hypothèses et comme dans ses méthodes puisse continuer à s'affirmer. Il importe donc de promouvoir l'existence de laboratoires ayant de telles pratiques en évitant que ceux-ci ne soient négligés au nom d'une conception étroite de la scientificité et de la visibilité internationale.

Note(s) :

GABRIEL COLLETIS est professeur à l'université de Toulouse-I, directeur du Lereps.

Catégorie : Éditorial et opinions

Sujet(s) uniforme(s) : Enseignement supérieur

Sujets - Les Echos : RECHERCHE; POLITIQUE ECONOMIQUE; POLITIQUE INDUSTRIELLE

Lieu(x) géographique(s) - Les Echos : FRANCE

Type(s) d'article : IDEES

Taille : Moyen, 577 mots

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