L'avenir de Midi-Pyrénées passe par un meilleur équilibre de ses activités productives
24 Février 2002
La Dépêche du Midi
Gabriel Colletis
Professeur de Sciences économiques
Université de Toulouse 1-Capitole
http://w3.univ-tlse1.fr/LEREPS/
En ce début d'année 2002, Toulouse et la région Midi-Pyrénées dans son ensemble sont frappées dans leur élan. Après plusieurs décennies de croissance facile, la région et sa capitale sont, coup sur coup, affectées par le fort ralentissement des activités du transport aérien et le contrecoup prévisible sur la construction aéronautique, et par la catastrophe due à l'explosion de l'usine AZF.
Partagés entre la colère ou l'indignation - de nombreux logements touchés, trois mois après l'explosion, restent toujours inhabitables - et l'inquiétude - les six entreprises du pôle chimique toulousain qui emploient directement et indirectement plusieurs milliers de salariés sont toujours en arrêt -, les Toulousains et avec eux la population de Midi-Pyrénées envisagent l'avenir proche ou à moyen terme avec sans doute bien peu d'optimisme. Par ailleurs, les prévisions de croissance en France et dans le monde pour l'année qui commence ne peuvent qu'accentuer ce sentiment.
Comme dans toute période de crise, l'heure n'est cependant pas aux décisions hâtives mais plutôt à la réflexion afin de discerner les enjeux qui commandent l'avenir.
La nécessité d'un développement multipolaire
Un enjeu récurrent, et ayant donc fait l'objet de nombreuses déclarations, d'une importante littérature, mais aussi de quelques actions de politique publique menées par le Conseil régional et l'Etat, est celui du rééquilibrage du territoire régional.
Ce rééquilibrage, à l'évidence, ne peut se faire par un affaiblissement de la capitale régionale. De ce point de vue, les difficultés les plus récentes de l'aéronautique et de la chimie constituent une mauvaise chose pour Toulouse mais aussi pour l'ensemble de la région.
Avec 40 % des actifs de la région et près de 50 % de la masse salariale, Toulouse et son agglomération sont trop lourds, non pas par leur poids propre, mais par le poids insuffisant d'agglomérations comme Castres - Mazamet, Montauban, Albi-Carmaux, Tarbes,... L'avenir de Midi-Pyrénées passe par un véritable développement multipolaire. Il "manque" ainsi à la région des villes comme Grenoble ou même Saint-Etienne en Rhône-Alpes dont le rapport de taille par rapport à Lyon est de 1 à 3, alors qu'il est de 1 à 6 entre les villes citées plus haut de Midi-Pyrénées et Toulouse.
Le rééquilibrage spatial des activités constitue cependant un enjeu bien connu. Celui-ci, néanmoins, ne se décrète pas et semble d'ailleurs assez peu sensible aux opérations de redistribution ou de réallocation de ressources, de toute manière très difficiles à mettre en œuvre en période de fort ralentissement de la croissance.
L'aéronautique : un secteur déterminant mais qui ne peut à lui seul résumer l'avenir
Il est un autre enjeu qui, selon nous, est tout aussi important que le précédent et qu'il recoupe en partie. Il s'agit de l'équilibre sectoriel des activités.
Comme on le sait, Midi-Pyrénées est une des premières régions exportatrices françaises, avec un taux de couverture des importations par les exportations, exceptionnel, de 165 % en 2000.
Cette performance, dont on ne peut a priori que se féliciter, a, cependant, un prix très élevé : 70 % des exportations de Midi-Pyrénées sont le fait d'un seul secteur, celui de la construction aéronautique et spatiale. Le deuxième secteur exportateur est celui constitué par les industries fabriquant des composants électriques et électroniques, avec 3,6 % seulement du total des exportations régionales, suivis par les industries agricoles et alimentaires, et le textile - habillement - cuir (respectivement 3% et 2,9 % de ce même total).
Si l'aéronautique et le spatial constituent, par les caractéristiques de leur production et la nature de leurs marchés, des activités fortement exportatrices (85 % de la production est exportée), il n'en demeure pas moins que la performance exportatrice de la région est trop liée à une activité fortement cyclique et dont la conjoncture est très dépendante des marchés étrangers, notamment américains. Le risque serait plus important encore si, au sein de ce secteur, un produit (l'A 380), fut-il prestigieux, devait concentrer une part d'effort trop importante.
Le développement équilibré de la région passe donc également aujourd'hui par un meilleur équilibre sectoriel de ses activités.
La nécessité d'une structure productive diversifiée
Outre l'aéronautique, le spatial et les activités, en partie liées, comme la mécanique et la métallurgie, quatre autres pôles importants méritent d'être soutenus et même promus : les industries agro-alimentaires, le textile - cuir - habillement, le pôle chimie - pharmacie - santé – biotechnologies, le secteur des composants électriques et électroniques.
Les industries agro-alimentaires constituent le premier secteur industriel régional par le nombre des emplois industriels occupés (15 % des emplois salariés de la région contre 12 % pour l'aéronautique). Il s'agit cependant souvent d'activités insuffisamment valorisées sur le plan de la transformation locale, 11 % seulement de la production étant exportée. L'enjeu est donc ici celui d'un contenu plus fort en valeur ajoutée de la production locale.
Le textile - cuir - habillement midi-pyrénéen, malgré les très fortes pertes d'emplois des quinze ou vingt années, reste le troisième pôle français de ce secteur. L'avenir d'une agglomération comme Castres - Mazamet, même s'il ne dépend plus aujourd'hui que du seul secteur textile, ne se fera pas en acceptant le déclin ou la désorganisation de cette filière qui devra évoluer davantage vers des productions plus technologiques, à l'image du textile lyonnais.
Le pôle chimie - pharmacie - santé - biotechnologies, enfin, est incontestablement un pôle indispensable dont la remise en cause ne saurait être envisagée sans conséquence sur l'équilibre sectoriel des activités. L'enjeu, pour la chimie, est, bien sûr, celui d'une plus grande sécurité des activités. La reconversion du site chimique toulousains vers la chimie fine peut être envisagée dans cette perspective. La difficulté est ici que le profil industriel d'AZF comme celui de la SNPE et de ses filiales ne s'y prête pas facilement.
L'activité pharmacie - santé, quant à elle, avec les laboratoires Pierre Fabre, possède une forte implantation en région, dans le Tarn. Quoique historique, cette implantation dans les termes actuels ne peut être considérée de manière certaine comme pérenne. L'enjeu est ici de penser ou créer les conditions d'un ancrage territorial durable des activité
Le secteur des composants électriques et électroniques, avec 6 % de l'emploi salarié régional, constitue le cœur d'un ensemble très large d'activités liées aux technologies de l'information et de la communication. Toulouse est ainsi un des centres mondiaux de l'architecture électrique et électronique du véhicule. Les compétences acquises dans les télécommunications spatiales peuvent aujourd'hui servir d'appui pour le développement des matériels de téléphonie et de télécommunications civiles. L'existence d'un important potentiel de recherche autour de l'Institut National Polytechnique de Toulouse (INPT) et de l'Université Paul Sabatier (UPS) constitue un atout incontestable dont l'efficacité tient de la qualité des relations tissées avec le milieu industriel dans son ensemble.
Un développement durable fondé sur la diversité
Le développement territorial mais aussi l'équilibre sectoriel d'activités diversifiées constituent un défi majeur que la région Midi-Pyrénées devra relever dans les prochaines années. Les difficultés, on l'espère passagères, de l'aéronautique, ainsi que le terrible événement du 21 septembre dernier auront été, malgré tout, porteurs d'enseignements s'ils permettent de rappeler le principe simple d'après lequel des risques et des potentiels répartis sur plusieurs activités valent toujours mieux que miser sur une activité unique ou même principale, fut-elle de haute technologie ou considérée comme d'avenir.
En d'autres termes, il apparaît aujourd'hui, plus nettement que jamais, que le développement de la région passe par celui de ses territoires dans leur diversité, mais aussi, et ceci est peut-être plus clair désormais, par une répartition mieux équilibrée de ses activités productives.