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Billet de blog 29 juillet 2012

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Accompagner la croissance... ou oser le développement ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Tribune publiée dans Le Monde.fr le 14.06.2012
http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/14/accompagner-la-croissance-ou-oser-le-developpement_1717743_3232.html?xtmc=colletis&xtcr=1

"Les leçons de rigueur de Bruxelles à la France", titrait Le Monde dans son édition du 31 mai. La Commission européenne critique non seulement les déficits publics mais aussi, ce qui semble nouveau, du moins pour la France, les déséquilibres macroéconomiques -celui du commerce extérieur, en particulier- qui devraient, selon elle, être réglés par le biais de réformes structurelles.

Une fois que l'on a ouvert la boîte de Pandore des réformes structurelles, on constate cependant qu'il existe d'énormes divergences dans ce que l'on entend par "réformes structurelles"...

DES DOUTES CROISSANTS SUR LES EFFETS DES POLITIQUES D'AUSTÉRITÉ

Les politiques dites d'austérité constituent un ensemble hétéroclite mélangeant un cocktail de mesures ayant un effet immédiat (baisse des dépenses publiques, réduction des salaires et des pensions, etc.) et aussi des dispositions de long terme (privatisations, réformes du droit du travail). Cette combinaison se situe principalement sur le court terme mais comporte des propositions de réformes structurelles.

Les effets récessifs des mesures ayant un effet immédiat sont aujourd'hui de plus en plus nettement admis. Le signal déclencheur du revirement de la doxa est celui constitué par les déclarations d'Olivier Blanchard. Le chef économiste du FMI a ainsi souligné en avril dernier les contradictions qui nuisent à l'efficacité des thérapeutiques budgétaires et financières engagées dans les pays avancés. "Les marchés semblent quelque peu schizophrènes", a ironisé Olivier Blanchard. "Ils demandent des resserrements budgétaires, mais ils réagissent négativement quand cela affecte la croissance".
Le corollaire des doutes désormais très forts sur le bien-fondé des politiques d'austérité pourrait être un doute tout aussi fort sur la portée des mesures de soutien de l'activité.

LES POLITIQUES STRUCTURELLES "D'AJUSTEMENT" : RELANCE PAR L'OFFRE ET L'EMPLOYABILITÉ COMPÉTITIVE

L'objectif des politiques visant à relancer l'offre et l'employabilité compétitive (pour reprendre la terminologie de Laurence Parisot, la patronne du Medef) revient à tenter de faire des pays européens des lieux de relocalisation de l'industrie et de l'emploi, comme l'illustre l'exemple de la Grande-Bretagne (ou encore celui des États-Unis).

Flexibilité, baisse du coût du travail, développement d'emplois faiblement qualifiés par un abaissement des charges, encouragement au temps partiel, déconstruction du droit du travail constituent les maîtres-mots des réformes du marché du travail. Sans atteindre le plein-emploi, cet arsenal de réformes pourrait permettre de rétablir une situation apparemment plus satisfaisante en termes de taux d'emploi et de taux de chômage tout en ne dégradant pas les profits. Il y a cependant fort à parier que dans cette perspective se développerait un "mal-emploi", à l'image de ce qui est aujourd'hui observable en Allemagne où ont été créés des millions de "minijobs" rémunérés à 400 euros par mois.

Les politiques structurelles synonymes de redressement productif

Les politiques structurelles que nous évoquons à présent sont celles qui permettraient d'engager une mutation en profondeur répondant à la grande crise que le capitalisme traverse depuis plusieurs décennies.

Le cœur du redressement productif et d'un nouveau modèle de développement consiste en un New Deal productif articulant travail, renouveau des activités productives et protection de la nature.

Les entreprises et les emplois des pays développés ne peuvent plus désormais être protégés par le rempart de la productivité. En raison de coûts salariaux à l'unité produite plus faibles, les pays émergents vont concurrencer de façon sans cesse plus redoutable toutes les activités pour lesquelles la compétitivité se joue principalement sur les prix. Il est donc nécessaire, partout où cela est possible, de miser sur l'innovation, la différenciation des produits, leur capacité à répondre aux besoins, la qualité. Dans le même temps, les nouvelles productions (produits, manières de produire, usages) devront alléger le poids des activités économiques sur la nature.

Pour cela, à l'opposé d'une dérégulation plus forte encore du marché du travail visant à accentuer la concurrence des travailleurs entre eux, un New Deal pourrait être proposé. Les termes de ce New Deal seraient, du côté des entreprises, la quête privilégiée d'une compétitivité hors prix, le développement de l'innovation sous toutes ses formes, la conception de produits impliquant une économie des ressources naturelles (jusqu'à leur recyclage), et la reconnaissance des compétences de ceux qui travaillent. Cette reconnaissance signifierait que les salariés ne seraient plus considérés comme une force de travail, un coût ou encore une variable d'ajustement.

Du côté des salariés, ceux-ci s'engageraient à mobiliser leurs compétences individuelles et collectives, leur subjectivité et leur sens de l'esthétique. Les salariés accepteraient le principe général de mobilité entendu comme potentiel de redéployabilité des compétences d'un projet à un autre. Le travail bien fait, résolvant des problèmes inédits et imaginant des solutions innovantes, se substituerait au travail vite fait et à la tentation d'un retour en force du taylorisme.

Il est clair que ce New Deal implique des réformes profondes dans de nombreux domaines et un effort considérable de rénovation des systèmes d''éduction et de formation qui devront aussi disposer de moyens accrus.

Le droit devra aussi consacrer l'entreprise comme institution à part entière, c'est-à-dire distincte de la société de capitaux laquelle rassemble les intérêts des actionnaires. La reconnaissance de l'entreprise comme catégorie du droit devrait permettre celle, authentique cette fois, de toutes les parties prenantes. Une véritable démocratie salariale pourrait donc émerger progressivement de même que serait promue sur une base sincère et vérifiable la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise, ce nouvel objet juridique.

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